orphelins de l'Éden

3.30.2009

sur le fleuve

Dans l'autobus aujourd'hui, à mon retour de la journée de boulot, j'ai rencontré J-P, celui qui aimerait tant être Français. Il m'a appris que lui et sa mère ont trouvé un logement, lui qui la dernière fois que nous nous étions croisés il y a trois semaines environ angoissait tant à l'idée qu'ils ne trouvent pas avant le 1er mai, date où ils doivent quitter leur logis actuel. Il y a trois semaines, je l'avais encouragé à ne pas perdre espoir, à croire au fait que tous les morceaux tomberaient en place au bon moment. J'étais donc heureuse d'apprendre que mon positivisme avait été exaucé et que tout s'était bien terminé pour lui.

J-P est un véritable baromètre des émotions. Lorsqu'il est content, son sourire se fend d'une oreille à l'autre et ses bras s'agitent en battant l'air parce que souvent, le rire le secoue dû à un trop plein de bonheur. Mais au contraire, lorsqu'il s'en fait, il se tasse sur lui-même, son visage s'assombrit et ses doigts viennent se porter sur ses lèvres scellées par le tourment. Aujourd'hui, j'ai un peu causé cet état lorsque je lui ai parlé de sa situation professionnelle. Puisqu'il déménage à Montréal, il ne pourra plus bénéficier des services de l'agent gouvernemental de liaison posté à Longueuil qui a établi le contrat avec son employeur actuel. Parce que J-P est handicapé, son employeur reçoit une subvention gouvernementale, un genre de "merci beaucoup d'intégrer une personne à capacités réduites". Dans le cas de J-P, son employeur tient tellement à cette subvention qu'il n'a pas augmenté son salaire depuis les dix dernières années et ce, même s'il fait un excellent boulot. Discrimination? Oui, très certainement.

Recroquevillé dans son siège, J-P m'a écouté lui expliquer que s'il ne prenait pas les démarches dès maintenant pour que son dossier ne soit transféré à un homologue de son agent, celui-là posté à Montréal, il pourrait avoir la mauvaise surprise de devoir attendre un an sur une liste à partir de janvier prochain, moment de renouvellement de son contrat, avant de pouvoir retrouver un emploi. Le délai d'un an, c'est J-P qui m'a dit que c'était ce qui lui était arrivé lors du dernier déménagement. Il a tellement été échaudé par cette mauvaise expérience, ça aussi jumelé au fait de savoir pertinemment bien que son employeur n'accepte de l'avoir dans ses rangs qu'à cause de la subvention, qu'il avait plutôt l'intention de ne pas dire à son agent de liaison qu'il avait déménagé.

J-P est intelligent. Oui il parle drôlement et sa physionomie contractée rend ses mouvements brusques, mais il a de la jugeote, autant que vous et moi. Seulement, il est différent et il se le fait dire depuis toujours qu'il l'est. Il a grandi dans une société qui lui a collé une étiquette disant qu'il était diminué et donc qu'il devait être reconnaissant pour ce qu'on lui donnerait comme opportunité. Dis merci à cette main qui te nourrit bien que tu ne répondes pas aux critères de performance habituellement requis pour l'être en temps normal.

Normal. J-P n'a jamais été normal. Ni dans les yeux des gens qui l'entourent, ni dans son corps. Il voit bien qu'il n'est pas comme la majorité, il le vit, il le sait mieux que tout le monde ce que c'est d'être dans ce corps qui crée ce fossé. Et pourtant, quand je lui parlais aujourd'hui dans l'autobus, j'ai réalisé que je ne dois plus faire d'efforts pour comprendre ce qu'il me dit, que mon esprit peut suivre le flot de ses paroles sans monter son niveau d'attention d'un cran. Je me suis fais la réflexion que notre conversation au débit tout à fait naturel devait paraître étrange pour ceux qui écoutaient malgré eux. Mais non, ai-je poursuivi dans cette réflexion, cette conversation au débit naturel, elle devait leur paraître tout à fait normale parce que justement, nous nous parlions amicalement, avec intérêt, sans inconfort.

Je ne verrais plus J-P dans l'autobus à partir de la mi-avril. Mais la dernière fois que nous nous sommes vus, il y a trois semaines, nous avons échangé nos courriels parce que lorsque je lui ai appris ma grossesse, il a tout de suite voulu que nous gardions contact afin que lui transmettes des photographies de petit être né. Normal. Pas tout à fait. J-P a cette spontanéité qui émeut et qui a toujours égayer nos rencontres. Si tout le monde était comme J-P, cet équilibre dont il était question la dernière fois que je suis passée ici, il serait plus simple à réaliser. Le tissu social serait fort d'une vérité simple. Aimons-nous les uns les autres. Sans chichi, sans artifice, sans effort. Tout bonnement.

3.29.2009

unique et semblable

C'est parce que j'ai participé à une réunion de famille hier soir que j'ai rêvé à une scène similaire. Nous étions nombreux, une salle pleine de gens attablés, quand j'ai pris la parole suite à une réplique lancée par quelqu'un. Tiens cette personne pourrait très bien être Cd., le conjoint de Pl., la soeur de Cl., maman de M. Cd. est un boute-en-train qui égaie une atmosphère en un rien de temps. Bref, ça aurait très bien pu être lui, dans mon rêve, qui a dit quelque chose qui m'a donné l'élan pour étayer le sujet de l'argent contrefait. Alors me voilà, debout parmi les convives attentifs, à expliquer en quoi cet acte criminel de fabriquer de la fausse monnaie mine l'économie de la société. À un moment, je pose même la question à l'assemblée: qui d'entre vous avez déjà tenu dans vos mains un faux billet? Du groupe, un quart lève sa main. Une personne sur quatre, pensais-je, et ça c'est seulement ceux qui ont réussi à détecter le subterfuge.

Étrange comment l'esprit va prendre des éléments du jour qui vient de passer pour les mixer avec des informations flottantes dans la mémoire pour livrer le cocktail songe. Dans mon cas, les mixtures sont depuis longtemps farfelues parce que nourrir mon vidéo nocturne à longueur d'heures dormies, ça demande une certaine gymnastique de l'imagination. Ainsi, une nuit comme celle que je viens de passer, ça signifie deux ou trois atmosphères, déclinées subtilement pour bourrer l'écran de la semi-conscience. Par exemple, le dernier univers d'avant me lever ce matin, comportait principalement un lieu de restauration rapide, avec comptoirs, et une armée d'employés tout de noir vêtu. Ce lieu se trouvait au sous-sol et les étages supérieures donnaient toutes sur un coeur ouvert, une aire s'élevant jusqu'au plafond. J'ai circulé dans cet espace multi-étagé pendant environ deux heures, de mon pipi du matin de 6 h 41 à mon lever vers 7 h 59. J'ai rencontré des gens que je ne connais pas réellement, j'ai joggé sur une passerelle en grillage solide, j'ai pris des photographies de l'espace resto parce que je savais que l'endroit fermait bientôt. Bref, je me suis réveillée sans avoir l'impression de devoir commencer ma journée. Je me suis réveillée avec ce corps qui devait à présent se mouvoir ailleurs, le temps de quelques heures.

Dimanche au ciel gonflé de pluie. Quatre semaines, jour pour jour, que je sais que tu existes petit être. Nous vivons notre septième semaine et hier, à la réunion de famille du côté de la maman de M., nous avons reçu une foule de voeux de bonheur et de souhaits de belle grossesse. J'ai perçu plusieurs regards sur mon abdomen, à la recherche d'un renflement notable. Mais non, mon corps n'a pas encore commencé à se transformer. À part peut-être à mes yeux, ceux qui se portent sur lui à tous les jours. Eux remarquent que mon ventre est un peu plus enflé que normalement et que mes seins s'alourdissent petit peu par petit peu. Ça ton papa aussi l'a bien vu.

Pendant le repas, j'étais assise à côté de Cr., une cousine de M. La dernière fois que nous nous étions croisées, c'était en septembre, lors d'une réunion semblable avec pour prétexte heureux un anniversaire. Cr. avait alors annoncé sa deuxième grossesse, avec son petit Js. dans les bras. Son petit homme était là hier, installé dans sa chaise haute, grand de ses quinze mois et elle s'en occupait tout naturellement. Elle et son amoureux, J-N. Et une foule d'autres gens qui voulaient chasser ses pleurs, le divertir de sa fatigue. Ses grands-parents, sa tante, quelques proches parents. Lorsque nous sommes partis autour de 22 h, Js. ne dormait toujours pas, trop conscient de cette occasion exceptionnelle de pouvoir étirer le jour. Il paraît qu'habituellement Js. se met au lit lui-même quand sa maman lui dit que c'est l'heure du dodo. Peut-être qu'il rêve toutes les nuits lui aussi et qu'il plane dans des univers assez stimulants pour combler ces heures d'allongement solitaire. Peut-être qu'il aime être enveloppé au chaud tout simplement et se laisser aller à l'engourdissement du sommeil. Peut-être se regénère-t-il présentement pour devenir des années plus tard comme un de ses grands-oncles capable de recharger ses batteries avec une poignée d'heures de sommeil par nuit seulement.

Cinq heures c'est une bonne nuit pour Nr., le fêté d'hier. Nous étions là pour souligner ces cinquante ans. Pendant leur discours à l'attention de leur père, ses filles ont mentionné combien elles étaient fières de lui et contentes de le voir enfin arriver au bout de toutes ces années d'études. Nr. complétera sa deuxième maîtrise en juin. Il est de ce genre d'individus qui accomplissent beaucoup dans leur journée. Conciliation de la famille, du travail, des études. Dans son cas, le fait de dormir si peu d'heures par nuit a sûrement contribué à ce rythme éreintant, mais ô combien gratifiant.

L'esprit occupé n'est pas un esprit laissé à lui-même et un esprit laissé à lui-même doit apprendre à s'apaiser pour éventuellement créer. Tout n'est qu'une question d'équilibre et chacun porte en lui les doses propices à l'accomplissement d'un tel état. Seulement, il n'y a pas deux dosages pareils. Nous sommes tous livrés à nous-mêmes. Tous livrés à nous-mêmes, mais aussi tous branchés à la source. À nous de nous épauler au nom de cette mission parfois et souvent trop immense, trop intimidante, trop overwellming. À nous de jongler, en plus d'être funambules.

3.27.2009

quadrature du cercle

J'ai été paresseuse cette semaine. Je n'ai pas beaucoup travaillé à nourrir mon espace blogue. Je m'en excuse. Parfois, l'inspiration n'opère pas aussi facilement. Parfois aussi la semaine de travail l'emporte sur les moments d'évasion créative. Disons que cette fois-ci, c'était un mélange des deux.

L'inspiration. Un rien peut embraser l'égérie et ainsi la transformer en feu de Bengale qui signale l'esprit. Eh oh! Là, vois-tu, une idée, une pointe d'un iceberg à explorer, une particule d'un tableau à déployer dans son ensemble. L'inspiration, soeur de l'intuition.

Adolescente, j'ai écrit un poème portant sur l'inspiration, un espèce d'hommage mélodramatique, tout à fait syntonisé à ma persona Nelligan. Parce que ma première voie d'expression écrite fût des poésies structurées, rimées, pédantes, déconnectées, calquées maladroitement sur les oeuvres sublimes des poètes maudits. Leur perdition par l'écriture m'avait si profondément touchée que je croyais qu'il me fallait connecter à tout prix avec cette névrose pour véritablement livrer par des mots ma vision du monde.

Mais quelle vision justement. À quatorze ans, je n'avais que de grands thèmes d'étamper sur ma peau: la mort, l'amour, l'amitié. La mort de mon père, l'amour auprès de Tr., l'amitié auprès de mes trois complices, entre autres.

Pendant mes années à l'école secondaire, j'ai eu trois très bonnes amies. Nous étions un quatuor équilibré. Malgré que l'adolescence soit souvent une période de rivalités et de jalousies, je peux dire que j'ai eu la chance de ne pas vivre ces embarras nés d'insécurités. J'ai eu l'opportunité d'être entourée de trois filles aux personnalités solides, créatives, trois filles belles et intelligentes, trois filles totalement différentes l'une de l'autre, mais totalement essentielles à notre dynamique de groupuscule. Nous étions quatre.

Il y avait Ct., que j'avais rencontrée dans ma cinquième année primaire, ma première à Montréal. Ct. est devenue ma meilleure amie. Aujourd'hui, nous dirions ma best. Elle habitait près de chez moi et déjà à cette époque, je me souviens avoir été souvent chez elle. Je me souviens de la petite cuisine dans laquelle sa mère, Dn., concoctait toujours des repas extraordinaires. Cet amour de bien nourrir sa famille avec une constance sans faille, c'est elle qui me l'a transmis je crois. Non que maman ne cuisinait pas pour nous, bien au contraire. Mais disons qu'il y avait un je-ne-sais-quoi s'apparentant au plaisir à accomplir la tâche lorsque Dn. besognait au fourneau qui m'inspirait. Ct. vivait dans une famille unie et j'aimais me retrouvée là, parmi eux. Ct. pratiquait le piano avec beaucoup de discipline. Elle était studieuse, structurée, rieuse, née sous une bonne étoile.

En sixième année primaire, j'ai changé d'école pour aller faire du ballet à tous les jours sur le Plateau. Là, j'ai rencontré An., une autre maille du quatuor. La première image que j'ai d'An., c'est qu'elle tenait un livre et qu'elle lisait, très absorbée. C'est elle qui m'a transmis le goût des mots. An. habitait avec sa mère, dans une ambiance totalement opposée à ce que je retrouvais chez Ct. An. était pour ainsi dire laissée à elle-même. Sa mère l'avait amenée très tôt à développer une indépendance d'esprit et de corps. C'est chez An. que je me suis rasée pour la première fois les jambes.

J'ai à nouveau changé d'école au cours de ma première année au secondaire. Si je me souviens bien, A., la troisième maille du quatuor, n'est rentrée dans ma vie qu'en deuxième secondaire. Entre-temps, j'avais retrouvé Ct. et An. m'avait suivie dans cette nouvelle école. Ct. et An. ont noué amitié et puis A. a intégré notre dynamique parce qu'elles étaient comme nous sans doute. Nous étions de petites revendicatrices, des semblants de rebelles. Nous voulions être originales avec brio. Bien sûr, d'année en année, nos personnalités se sont solidifiées, nos valeurs ont plongées leurs racines dans nos expériences respectives et notre lien a toujours tenu bon. Nous avions une dynamique intéressante, sans tension. Bien sûr, il y a eu quelques chicanes, mais des pacotilles qui se sont réglées très rapidement. Étrangement, nous sommes toujours demeurées unies pendant ces années, même si parfois, l'une s'éloignait du noyau pour cause de relation amoureuse ou de choix de vie nouveau. Unies, mais solitaires, individuellement fortes.

C'est peut-être pour ça que lorsque sont arrivées les années post-secondaire, le noyau s'est désagrégé, que la dynamique a cessé d'opérer. Nous nous sommes retrouvées chacune dans nos vies, dans un autre moment de nos vies. Ct. et moi avons perdu contact peu à peu. An. est restée dans ma vie pendant quelques années encore, mais parfois des mois passaient avant que j'aie de ses nouvelles. A. et moi avons fréquenté le même collège, mais au final, nous avons suivi des formations différentes et lorsqu'elle a terminé ses études avant moi, nous nous sommes séparées pour ne nous recroiser que de façons sporadiques dans la ville.

Avec du recul, je peux dire que j'ai été chanceuse d'avoir été si bien entourée pendant les années charnières de la construction de ma personnalité. Mes amies ont été inspirantes. Elles m'ont insufflé des valeurs que je porte encore en moi. Quand je pense à elles, je sais que j'ai été honoré par leur passage dans ma vie. Elles ont été des muses, des pairs incomparables. Je leur dois beaucoup de moi-même. Merci, où que vous soyez.

3.25.2009


Au pied des gratte-ciel d'acier renaissent les perce-terre printaniers.



À vos yeux chers amis, l'émerveillement est bref et subit.

3.23.2009

voguer toutes voiles ouvertes

S'il me fallait décrire cette journée, il me faudrait des milliers de mots. Je me transformerais en Balzac et vous suivriez à la milli-secondes chacun de mes coups d'oeil. Je pourrais vous transporter avec moi dans le nord de l'Île de Montréal où j'ai rencontré mon ostéopathe à qui j'ai annoncé la bonne nouvelle de petit être. Nous irions nous planter le temps d'un merci à Dieu au centre de ce triangle formé par trois arbres massifs dans le parc Ahuntsic. Vous verriez comme moi cette jeune femme d'une trentaine d'années assise sur un banc dans le métro en rentrant de mon quart au onzième. Vous verriez à quel point l'autre femme assise un peu plus loin, celle-là âgée d'une cinquantaine d'années, pourrait être une projection future de cette jeune femme ou vice versa, la jeune une projection de la plus âgée. Tous ces mots que j'utiliserais pour décrire cette journée comme toutes les autres, ils feraient en sorte que vous seriez capable de me suivre au travers mes yeux, branchés sur mes cellules grises, synchronisés à mes prises de décision.

Par exemple à celle de sortir ma poire de mon sac à lunch en marchant, chose que je ne fais jamais. Je ne mange jamais en marchant. Bon à part un cornet de crème glacée par un magnifique jour d'été. Dans ce cas-là, mes pas sont lents et je me concentre surtout sur mes lèchements qui ramassent les gouttes laiteuses. Ma langue sur le cornet râpeux. La saveur délicieuse des parfums se développant sur mes papilles. Le soleil bon qui enveloppe mes bras, mon visage, mes mollets.

Les mots. Comme ils sont capables de nous mettre là où ils le veulent. Il suffit de bien les choisir, de bien les agencer pour qu'ils transmettent une impression, des sensations. Moi, les descriptions dans les romans que je dévore les uns après les autres, je les jalouse souvent. Je sais qu'en tant qu'auteur, je n'ai pas beaucoup de talent pour évoquer des scènes par comparaison, vous savez ce genre d'astuce littéraire qui font que vous lisez quelque chose de totalement originale comme association, mais qui vous touche de manière universelle parce que justement le choix de mots est tellement bien que vous connectez tout de suite à la description, que vous sentez tout de suite, que vous voyez tout de suite, que vous comprenez tout de suite l'intention de l'auteur en utilisant ces mots parfaits. Malheureusement, je ne trouve aucun exemple dans le livre que je traîne ces jours-ci dans mon sac, parce que c'est une brique de plus de 500 pages et que la typographie est minuscule et qu'il est 20:51 et que j'ai ma journée dans le corps. Mais je sais qu'à un moment pendant ma lecture, j'ai dû m'arrêter de lire tellement la dernière phrase que je venais de parcourir était forte. Merde. Pourquoi n'ai-je pas écorné le coin de la page comme j'en ai eu l'intuition de le faire? J'aurais tant aimé vous la livrer pour appuyer ma digression à propos des mots parfaitement choisis dans un agencement totalement nouveau pour traduire quelque chose d'universel. Le véritable talent d'un auteur. Celui de se démarquer. De penser autrement. De formuler le monde avec un langage à l'intérieur d'un langage.

Je parle et j'écris le français. Mais quand j'écris, je joue avec la langue autrement. Je me permets des fantaisies. Je laisse libre cours à une voix qui ne peut que s'exprimer par l'écrit. Parce que lorsque je m'exprime oralement, je soigne ma langue parlée bien sûr, ce cher français que j'ai si durement appris à maîtriser un peu plus chaque année. Et bien sûr qu'il me reste toute une vie pour étoffer mon vocabulaire, rendre mon discours aussi fluide que mon esprit, traduire mon essence en utilisant tout le potentiel de précision du français. Mais l'écrit et l'oral se distinguent. Quand je parle, j'ai la possibilité du mouvement pour amplifier, l'appui de mon énergie pour incarner mes dires. Quand j'écris, tout doit transpirer par les seuls mots. Beaucoup plus difficile à accomplir. Écrire est donc le travail de toute une vie. Si une journée me prendrait des milliers mots, combien pour toute cette vie? Pas important. L'important, c'est de poursuivre vers cette voix qui m'aide à louer. Écrire pour exister. Créer pour contempler. Ou vice versa. En passant, si vous aviez été avec moi en présence de ces deux femmes, vous auriez compris vous aussi qu'elles étaient la même, mais à une croisée de chemins. Livrer la magie surtout. Les mots, par humilité devant toute cette force, toute cette beauté, toute ce mystère.

3.21.2009

boucle

Il y avait des jours et des jours que la gelée n'avait recouvert le sol au petit matin. À mon lever il y a quelques minutes dans le paradis, il faisait frisquet, surtout que nous avons coupé le chauffage depuis que la température oscille autour du zéro degré. Je crois bien qu'il faudra rallumer les calorifères, histoire de briser cet air froid qui court dans toutes les pièces. M. me dira que le soleil chauffe la maison, ce qui n'est pas faux, mais je lui répondrai qu'aujourd'hui, le soleil est d'hiver plus que de printemps, malgré que cette saison du dégel nous soit arrivée hier.

Alors aujourd'hui, nous sommes le 21. Amusante coïncidence, il y a un an jour pour jour, ma soeur G. et son amoureux Rb. nous annonçaient à M. et moi leur grossesse. Parce que ça tournait autour de la Pâques l'an dernier, j'étais allée chercher des cocos de chocolat artisanaux pour leur visite. Je me disais qu'elle était soit enceinte ou soit qu'ils venaient pour nous offrir les bons voeux de la Pâques. Bien sûr, bien que nous soyons respectueux de cette tradition familiale de nous réunir pour la fête de la résurrection autour d'un bon repas, mon petit doigt me disait plus que c'était l'option A qui s'avérerait la bonne. G. et Rb. étaient resplendissants de bonheur lorsqu'ils nous ont livrés leur beau message de nouveaux parents. J'ai tenu pendant un gros quinze minutes avant d'éclater en sanglots au moment où, lorsque nous étions attablés, G. disait à quel point elle avait voulu venir nous l'annoncer en premier puisque nous essayions depuis plus longtemps qu'eux, sans succès alors. J'ai pleuré et je me suis sentie moche, tellement moche. Comme pour me faire apprendre la leçon du bonheur pour autrui sur ma tristesse individuelle, le bon Dieu m'a alors imposé une foule d'autres situations similaires, où j'ai appris de nouvelles grossesses dans des circonstances de mauvais timing, très souvent le jour même de mon premier jour de menstruation, ou parfois deux nouvelles de passage de la cigogne dans un même jour.

Mais je m'égare et je me répète comme un vieux disque qui saute. L'amusante coïncidence mentionnée ci-haut, c'est qu'aujourd'hui 21 mars, M. et moi allons garder monsieur Lc., un an jour pour jour après avoir su qu'il s'en venait parmi nous. Ma soeur G. a organisé un souper de fête d'amis pour son amoureux dans un restaurant et nous avons accepté de prendre soin de leur bébé pendant cette soirée. Nous lui donnerons son bain et la bouteille pleine de lait que sa maman a tiré avant son dodo. Je l'emmailloterai comme G. me l'a montré quand je suis allée voir la routine jeudi soir dernier. Un peu de pratique comme dirait ma soeur B.

Oui, un peu de pratique. Dans un an, nous serons ceux qui devront vivre tous les ajustements à faire qui viendront avec la venue de petit être. Ajustement de notre perception individualiste de notre existence, ajustement dans notre conception de la vie de couple jusqu'à maintenant, ajustement de notre sommeil, de notre quotidien, heure par heure, ajustement de notre sens profond de la valeur de la vie, ajustement de nos connaissances. Évidemment, que la fatigue accompagne cette concentration élevée de tune-up pareil à ces moments où nous devons apprendre l'ABC d'un nouveau milieu de travail ou de nouvelles notions à l'école. La tête comme un melon d'eau. À la différence qu'avoir un enfant, c'est le beau important et le plus beau métier du monde. À partir de là, l'engagement est total et les fruits mûriront littéralement sous nos yeux avant de choir au pied de l'arbre des années et des années plus tard afin de redonner à la Terre leur propre semence. D'ici là, nous veillerons du mieux que nous le pourrons.

3.19.2009

recette de ragoût de lentilles vertes

Pour quatre portions:

1 oignon émincé
1 poireau émincé
2 gousses d'ail émincées

Dans une marmite, sauter dans environ deux cuillères à soupe d'huile d'olive.

Ajouter:
1 navet en dés
3 patates rouges en gros dés avec ou sans pelure
2 carottes en demi-lunes
2 branches de céleri en petits dés
4 tasses de bouillon aux herbes (ou de légumes)
1 tasse de lentilles sèches vertes préalablement rincées et triées
1 branche de romarin frais

Mijoter le tout environ 40 min.

Ajouter 1 grosse canne de tomates en dés, celle de 798 ml + 1 c. à soupe de jus de citron frais.

Mijoter un autre 25 min environ. Retirer la tige de romarin qui aura laisser tomber ses feuilles dans le ragoût.

Saler, poivrer et déguster avec un bon pain, du genre belge ou lodève.

Attention, je retire maintenant de mon plat les feuilles de romarin trop amères à mon goût quand je croque dedans par inadvertance. La solution d'envelopper la tige de romarin dans un morceau de coton fromage afin de récupérer le minature baluchon à la fin de cuisson pourrait éviter le tri maniaque.

Bon appétit et merci au livre de recettes végétariennes de ma soeur G.

3.18.2009

mon héros

Problème de plomberie au paradis. Majeur. Le robinet de la cuisine s'est tari pour une raison qui reste encore inconnue. M. m'impressionne par sa patience et sa détermination alliées pour venir à bout de résoudre cette énigme par intelligence et dextérité. Honnêtement, j'aurais ouvert les pages d'un bottin téléphonique dès hier soir, moment où le bobo a commencé à gratter, mais lui, il a plutôt décidé d'aller chercher ses outils au sous-sol. Alors depuis, le sol de la cuisine est jonché de tournevis et de bouteilles de produits nettoyants dans le secteur du lavabo. Nous avons vécu le stress de peut-être vivre avec une cuisine sans feu. Voilà venu le temps de vivre une cuisine sans eau. Décidément, les défis qui guettent ont compris comment sérieusement nous tiquer.

En préparant le repas de ce soir, j'ai profité des courts intervalles où l'apprenti plombier allait rouvrir l'eau de la maison pour rincer mon poireau terreux, mes carottes poilues, mes patates, mes branches de céleri, celle de romarin frais, mon navet pelé, mes lentilles vertes, et recueillir le litre d'eau nécessaire à mettre en branle mon ragoût. Vraiment, je n'aurais pu tomber sur une recette plus malcommode pour préparer un mets dans des conditions de cuisine frôlant l'expérience camping. Mais il paraît que l'on s'adapte à tout, sinon à beaucoup, et honnêtement, j'ai toujours un toit sur la tête, des excellents aliments à me mettre sous la dent, un lit propre et confortable dans lequel plongé une fois la nuit tombée.

Ah, ce moment où je plongerai dans mon lit propre et confortable, ah qu'il m'appelle. Mes cernes me tirent les dessous d'yeux et si je m'écoutais, je me roulerais en boule là, maintenant, bien qu'il ne soit exactement que 18 h 13. Mais le beau soleil des derniers instants du jour qui jette son bras orange jusqu'à l'écran me somme d'encore tenir bon un peu, le temps du moins de me régaler du résultat de mon labeur de campeuse.

Je romprai le pain - un lodève de chez Première Moisson - pour le tremper dans mon ragoût aux lentilles fumant et comme toujours, je me dirai que ce plat est parmi mes préférés. La mie aérée s'imbibera du mélange de bouillon aux herbes et de jus de tomates et vraiment, je pourrai être satisfaite de cette parenthèse gourmande. Du bon travail, une récompense bien méritée. Mon amoureux s'accordera cette parenthèse, mais lui, ce sera surtout pour décrocher de son défi qui l'asticote comme pas possible. Une patience d'ange que je vous dis. Une détermination béton qui l'absorbe et le pousse à aller au bout de ses capacités. Moi, je ne peux que l'encourager.

3.15.2009

projeter

Oui M-H, comme tu le dis, elle est belle notre échographie. Imaginez-vous donc que des trois cadres représentant des prises de l'échographie de petit être de vendredi dernier apparaissant sur l'imprimé que nous avions affiché sur le frigo, un seul était en fait vraiment une image de ce moment important. Je m'en suis rendue compte en regardant ces deux cadres plus flous que le premier. Je voulais comprendre ce que nous étions supposés y voir au juste, ne me souvenant pas du tout de telles images pendant que la sonde projetait sur l'écran minuscule. Alors en lisant attentivement les informations des images, j'ai réalisé que ces deux images-là, elle appartenait à une autre femme, portant un autre enfant, parce que c'était son nom qui était inscrit en haut du cadre, pas le mien, comme pour le premier, celui que nous avons heureusement choisi d'afficher sur mon blogue. Quelle bourde! Imaginez que nous aurions conservé ces deux autres images attachées à la première et qu'elles seraient demeurées dans les objets memorabilia. Imaginez que vingt ans plus tard, petit être devenu jeune adulte décide de parcourir les preuves matérielles de sa venue au monde et réalise que tout ce temps, deux images des trois de sa première échographie ne lui appartenaient pas. Heureusement, mes yeux ont repéré l'imbroglio et voilà, sur le frigo, il n'y a plus qu'un seul cadre d'affiché. De toute manière, c'était le plus beau des trois. La preuve, c'est lui que nous avions choisi.

Quelques idées commencent à germer dans ma caboche en prévision de ta présence dans nos vies. D'abord, comme j'en ai fait mention, j'aimerais trouver une boîte, métallique de préférence, pour qu'elle résiste à toutes les manipulations futures. Dans cette boîte, nous glisserions tous les objets qui te feront sourire quand tu voudras renouer avec ton stade primaire d'être humain. Jusqu'à maintenant, je sais que tu pourras y retrouver cette fameuse écho et aussi le bâtonnet qui a changé nos vies par un dimanche 1er mars. Plus tard, nous préserverons ton bracelet d'hôpital, nous te couperons une mèche de cheveux, nous garderons quelques dents de lait. Une capsule pour capturer ton arrivée sur la ligne du temps.

Aussi, en frottant la baignoire ce matin, j'ai pensé à ton éducation, à comment je m'y prendrais peut-être pour te faire comprendre certaines réalités de la vie. Je nous ai vu aller rencontrer des gens, un peu en mode mini-expédition, définitivement en mode découverte. Rencontrer des gens qui vivraient des choses que je voudrais que tu comprennes comme étant difficiles. Par exemple la pauvreté, la toxicomanie, la folie peut-être. Des réalités marginales que je voudrais que tu saisisses pour savoir qu'elles sont une part de la société et que si tu fais certains choix, elles pourraient devenir tiennes. Bien sûr, j'attendrais que tu atteignes l'âge de raison et même que tu sois pubère. Nous le ferions non par voyeurisme malsain, mais pour développer ta capacité à accepter l'autre dans sa différence, bardé de ses défis. Je voudrais que tu voies les yeux de ces humains happés par des chemins plus périlleux et que tu arrives à soutenir leurs regards.

De toute manière, tu n'auras pas le choix de t'ouvrir aux autres qui t'entoureront. Me connaissant, je voudrai te léguer cet amour de ton prochain, ce non-jugement qui permet la rencontre marquante et véritable. Bien sûr, il se peut que tu tiennes davantage de ton père que de moi, mais lui aussi à un coeur plein d'élan pour son semblable. C'est pour ça que je l'ai choisi pour te créer. Parce qu'il sait accueillir le labeur de l'amour avec reconnaissance. Vas chercher le meilleur de nous deux.

3.13.2009

un autre vendredi 13 mémorable

C'est officiel, tu es encore là. Petit être, nous t'avons vu, sembable à une crevette miniature, implanté dans l'espace utérin. C'est Dr. C. qui nous a montré ton coeur minuscule battre très rapidement au bout de son doigt sur l'écran. Une pulsion fuyante qu'il cherchait en déplaçant la sonde vaginale. Un moment immortalisé en trois cadres sur un imprimé lisse affiché à l'heure qu'il est sur le frigo. Ton papa a dit qu'il s'installerait maintenant toujours à table de façon à t'admirer. Toi, petit être, petite ombre opaque dans la zone zébrée de ma matrice.

De toute manière, nous le savions que tu étais là. En plus d'un résultat partiel, mais encourageant, de la progression de mon hormone de grossesse, il y avait mes seins plus sensibles et depuis hier, des douleurs inconfortables dans le bas-ventre. D'ailleurs, j'ai mentionné au Dr. C. notre déception de ne pas avoir eu accès à nos résultats de prise de sang plus tôt. Il a eu une réaction que j'ai bien aimée, un air sincèrement étonné du délai entre la troisième prise de sang passée samedi dernier et notre rendez-vous d'aujourd'hui. Habituellement, nous a-t-il expliqué, le laps d'attente est beaucoup plus court.

Dr. C. est un des gynécologues-obstétriciens qui travaillent à la clinique rattachée à l'hôpital où j'accoucherai, à deux pas de là. Ils sont une dizaine de practiciens à oeuvrer dans un climat de coopérative. Nous avons demandé à Dr. C. s'il accepterait de nous suivre pendant ta grossesse et il y a consenti en nous expliquant qu'il se pouvait que nous rencontrions un de ses collègues à un moment ou à un autre. Ma soeur G. a été suivie par Dr. P. qu'elle nous avait chaleureusement recommandé, mais le sort a mené Dr. C. sur notre chemin la semaine passée et nous avons apprécié son approche humaine dès notre premier contact.

D'après l'échographie, tu aurais cinq semaines et un jour. Sur le coup, je n'ai pas réalisé que mes dernières menstruations remontant au 25 janvier, ça veut dire que je serais plutôt dans ma septième semaine d'aménorrhée. Mais vive Internet, je viens d'y lire qu'en cas d'ovulation tardive, le début de la grossesse est établi par le calcul effectué en prenant les mesures à l'échographie et ramené à deux semaines avant la fécondation. D'après les pointillés qui t'ont traversé le corps, tu aurais donc été conçu autour du 17, 18, 19 février. Il paraît que ça se précise vraiment beaucoup à l'échographie prévue à la 19ième semaine.

Quoi qu'il en soit, tu es encore là.

Quelques millimètres de vie qui se développent dans moi, femme me semble-t-il pour la première fois de mon existence. Nulle autre expérience ne m'a connecté à ce point à ce fait indéniable que je suis du sexe porteur d'enfants. Ni mes premières menstruations ni la perte de ma virginité ni toutes les transformations qui ont permis à mon corps de passer de l'enfance à l'adolescence ni toutes mes jouissances. À 31 ans, je peux affirmer que je suis femme, que je fais un avec le processus qui incombe à mon rôle dans l'espèce. Je ne suis plus un désert. Mon corps est fécond. Je porte un enfant. Je suis femme et maman, déjà. Et M. est papa, déjà. Il s'intéresse tellement à toi petit être que ça me bouleverse de le voir se laisser aller à cet amour si spontanément. Nous continuons à prier. Nous demandons à Dieu que tu te développes avec une santé à toute épreuve. Nous sommes si émerveillés de te savoir avec nous. Dans mon ventre, sur le frigo. Les prochains mois détiennent tant de délicieux moments, tous spécialement orientés en fonction de ta venue au monde. Pour l'instant, il n'y a plus aucune appréhension. Seulement le plaisir de te sentir un peu plus à chaque jour.

3.11.2009

visiteur

Une pareille coïncidence ne s'invente pas.

Hier, sur mon heure de dîner, je décide d'opter pour mon itinéraire qui me fait grimper dans les rues déroulant leur asphalte à flanc du Mont-Royal. Ainsi, je déambule à bon rythme sur les trottoirs posés au pied des demeures cossues de Westmount et à un moment, j'entends le fameux cri d'un cardinal, une mélodie saccadée que M. m'a appris à reconnaître parmi tous les autres chants pour identifier notre oiseau mythique par oreille d'abord, ce qui nous permet ensuite de le chercher des yeux en suivant l'intensité sonore de son appel pour fouiller du regard les ramages des arbres pointant vers les cieux. Alors je fige et je cherche, mais j'entends que l'oiseau est plus haut, beaucoup plus haut que là où je me trouve. J'en déduis qu'il est sans doute perché dans un de ces arbres tout au sommet de cette pente abrupte sur laquelle une école privée a été édifiée. La cour de celle-ci est entourée de végétaux impressionnants de taille gigantesque et pour les atteindre, je devrais escalader une paroi glissante, lavée par le ruissellement du printemps. Aussi, la mélodie saccadée s'éloigne, se déplace loin de mon regard, qui ne cesse de scruter les airs, à l'affût d'un jet rouge qui fendrait le vent. Mon excitation d'apercevoir mon premier complice totémique de l'année 2009 se dissout avec déception et je poursuis mon petit bonhomme de chemin avec petit être dans la bedaine, à qui je promets une prochaine rencontre avec l'esprit du cardinal, notre protecteur depuis notre arrivée au paradis.

Un bond de quelques heures plus tard.

M. et moi sommes debout à l'îlot, affairés à préparer le maffé du souper. À un moment, M. me dit de regarder combien la couleur de l'oiseau est vive et là, j'aperçois un cardinal mâle perché sur la clôture, dans le coin de notre cour. Juste au dessus de lui, dans l'arbre qui pousse derrière le cabanon de notre voisin en diagonale, une femelle au plumage couleur sable l'accompagne. Un couple est là, par un 10 mars, bizarrement date d'anniversaire du mariage de mes parents remontant à il y a 36 ans. Nos premiers cardinaux de l'année viennent nous visiter à deux pour en plus rester là pendant une bonne vingtaine de minutes. Je les observe tiquer nerveusement leurs crêtes à chaque bruit étranger, leurs becs d'un orange vif dans la grisaille du jour déclinant traçant une trajectoire rappelant celle des lucioles la nuit tombée.

L'esprit de l'oiseau mythique est venu te saluer petit être. Lui qui veille sur le paradis avait entendu entre les branches que tu t'étais enfin manifesté. Maintenant, qu'il a constaté le bonheur de notre foyer, il reviendra s'assurer de ton évolution, j'en suis persuadée. Déjà, je suis honorée par ce coucou hâtif et je lui rends grâce. Sa mystérieuse protection opère. Et peut-être que l'esprit de l'oiseau était accompagné de celui de mon père. Parce que je sais que tu as quelque chose à voir avec cette grossesse papa. Je le sais parce que tes trois filles sont toutes tombées enceinte de leur premier enfant autour de la date d'anniversaire de ton décès, à cinq ans d'intervale, du quinzième anniversaire de ta mort au vingtième. Bien sûr, cette date filrte avec la St-Valentin, mais j'ai compris que c'était plutôt toi qui voulait nous livrer le plus beau cadeau de nos vies. Est-ce que l'esprit du cardinal c'est toi depuis le début?

3.09.2009

détente pour ces coeurs qui battent dans moi

Retour au onzième après une semaine de repos au paradis pour soigner ma toux nichée dans mes bronches d'abord, puis pour me détendre le gros nerf ensuite. Le gros nerf bien sûr pour cause de toutes ces émotions qui s'empilent dans ma cour depuis quelques semaines. Stress malsain gonflé à bloc depuis la mi-février côté boulot, et puis annonce bienheureuse de la venue de petit être, bonheur tant espéré, et puis inquiétude à la vue de sang, montagne russe insoutenable qui jette une ombre sur la joie si jeune. Mais là, tout va pour le mieux. Maintenant que je connais une partie des résultats et que je me couche avec des seins douloureux depuis quelques jours, je sais que ça y est, la grossesse poursuit bel et bien son cours, accrochée à ma matrice.

Mais quelle expérience abstraite tout de même. Autant que je désirais sentir cette vie se développer en moi pour la voir s'expulser au bout de neuf mois, autant pour l'instant, seuls mes petits changements physiques me fournissent le contact avec cette transformation ultime. Des petits changements comme l'impression d'être un peu plus lunatique qu'à mon habitude et d'avoir parfois les mains pleines de pouces. Je travaille plus mal et bizarrement, ce genre de choses anodines qui auraient eu tendance à m'irriter contre moi-même il y a quelques semaines à peine ne suscitent presqu'aucune réaction de ma part. Un ah bon relax résonne et m'aide à passer tout de suite à autre chose. Aucune tension inutile ne semble coller à mon diaphragme. Remarquez, c'est peut-être seulement cette semaine de repos qui m'a calmée la réactivité.

Quand je pense que seulement quelques jours avant d'apprendre la nouvelle qui a changé nos vies, je prenais place sur un des bancs de cette église, qui m'accueille de temps à autre lorsque j'ai besoin de cet espace de recueillement, pour demander à Dieu de retirer l'agressivité de mon coeur, moi qui n'a jamais auparavant donné pouvoir à ce sentiment destructeur au point de devoir le nommer pour mieux le chasser. C'est dire combien j'étais tendue comme un arc. À bout, l'impression d'être dans un cul-de-sac, l'impression de travailler dans un nid de vipères, même si bien sûr, c'est une pelletée de bonnes âmes qui m'entourent au onzième, mais la fatigue l'emportait alors, l'usure de l'âme, le cercle infernal du broyage du noir.

À présent, petit être veille au grain. Il me ramène sur le plancher des vaches en un rien de temps, il freine ma manie à me lancer à cent mille à l'heure dans mon quotidien et quelques fois dans la journée, je pense à respirer à fond pour lui envoyer des globules rouges bien oxygénés. Notre évolution de pair provoque ce fameux recul que tout mon entourage me sommait de prendre par rapport à mon engagement au boulot. Ma priorité numéro un, là où je consacre mon énergie à présent, c'est toi. Pas meilleur reality check.

3.07.2009

présence

Troisième trou, deuxième au creux du bras gauche. J'ai tenté mon coup. Dès que la porte de la salle de prélèvements s'est refermée, j'ai commencé à expliquer à la technicienne, une jeune femme à la chevelure noire cette fois-ci, avec des yeux bleus iceberg, que le docteur ne m'avait pas donné l'option de pouvoir voir mes résultats avant la rencontre de vendredi le 13, que ça fait 19 mois que nous attendons ce moment dans nos vies, que nous aimerions savoir quels sont les taux de HCG s'il vous plaît, l'attente est trop difficile, tout en pleurant, naturellement. Elle a d'abord répondu que malheureusement, les résultats avaient été faxés à la clinique dès que les analyses avaient été faites, mais ensuite, avec une grande gentillesse, elle m'a suggéré d'aller voir dans l'ordinateur pour vérifier s'ils lui étaient accessibles. Elle a quitté la pièce et j'ai tordu mes mains très lentement, en parlant avec Dieu, sans marchander, juste pour lui dire que ça serait vraiment sympa qu'elle parvienne à mettre la main sur l'information, et puis elle est revenue en me disant tout simplement: "Ça a monté. Votre taux était à 500 mardi et à 1300 jeudi." Elle a ensuite fait un signe de motus et bouche cousue avec son doigt et mon coeur a fait un 360 dans ma poitrine tellement la nouvelle était belle à entendre. La technicienne m'a dit qu'entre femmes, on pouvait comprendre ce genre d'angoisse. Je me suis dit que j'étais bien chanceuse d'être tombée sur une âme empathique.

Alors tu es là. Nous le savions bien, mais quelle entrée dans nos vies quand même, petit être. Nous qui t'avons attendu et demandé depuis si longtemps, nous voulions pouvoir goûter à la sérénité de la joie. Tu en as décidé autrement. Remarque, les pertes de sang continuent à être bien légères, quelques gouttes brunâtres à peine, à part pour un peu de sang clair jeudi, juste après la prise de sang, ce qui m'a mise dans tous mes états. Quand ton papa est rentré du travail et qu'il m'a trouvée broyée par le chagrin (parce que beaucoup de sources disaient que si les saignements devenaient plus rouge vif, les dangers d'une fausse couche augmentaient), il a été solide, pareil à un chêne centenaire. Il m'a prise dans ses bras et il est allé faire des recherches sur le net. Oui, petit être, nous nous posons beaucoup de questions à ton sujet et certaines pistes se trouvent sur le web. Efficacité et proximité.

M. a fait la même chose aujourd'hui lorsque nous sommes rentrés du laboratoire, avec les taux en mémoire. Il s'est installé devant son ordinateur pour tenter de déterminer le nombre de semaines exactes où nous en sommes rendus dans la grossesse. Nous estimons que ça tourne autour du 22e jour depuis la fécondation, mais puisque le calcul se fait à partir des dernières menstruations, nous terminerions la cinquième semaine. Tu seras un bébé de début novembre. C'est surtout ça l'important.

L'important aussi, c'est que je me nourris avec une plus grande conscience que mes choix deviennent tes matériaux de construction, concrètement. Si je mange une pomme avec du cheddar, je t'envoie entre autres vitamines, protéines, calcium, potassium, magnésium, phosphore. Mais loin de moi l'idée de me mettre à tout calculer, à tout prévoir. Je sais que mon alimentation saura répondre à tous tes besoins petit être. Tires-en profit et bâtis-toi un véhicule aux qualités exceptionnelles. Tous les trois, visons la meilleure santé globale possible pour toi.

Impossible en effet de tout calculer, de tout prévoir. Nous en savons un peu à ce sujet. M. dit de moi que je suis trop impatiente puisque qu'au final, tout finit par arriver. Impatiente, peut-être, mais très certainement décidée à aller au bout de mes rêves. Dans le cas de celui-ci, de toi petit être, le bout sera le jour de ma mort, quand mon âme quittera mon corps qui ne pourra plus te prendre contre mon sein. D'ici là, tu seras une perpétuelle réalisation de ce rêve de te voir être, grandir, évoluer, dans ce monde que j'aime tant, dans cet univers terrain de jeu. Cette grossesse, c'est mon baptême mystérieux avec la fusion de la chair et de l'essence divine. Je me sens vierge, neuve dans cette expérience que je commence tout juste à saisir. Touchée par ton miracle.

3.05.2009

mots clefs: pour mon dossier personnel

Deuxième trou dans une veine. Au creux du bras gauche cette fois-ci, parce que mardi dernier, l'infirmière qui m'a fait la prise de sang était aussi nerveuse qu'une stagiaire et qu'elle m'a fouillé le vaisseau bien dodu pourtant en changeant l'aiguille trois fois de place. Aujourd'hui, la technicienne au laboratoire privé a fait ça en un tournemain, en vraie pro.

Quand elle a vu mon nom, elle n'a pas pu s'empêcher de dire que c'est elle qui avait procédé à l'analyse de la fiole de mardi et puisque je sais que le taux de HCG est supposé doubler ou à peu près aux deux jours, je lui ai demandé à cette douce femme ronde et blonde si je pouvais avoir les résultats aujourd'hui ou peut-être samedi, lorsque je viendrais pour ma dernière des trois prises de sang nécessaires pour constater ou non l'évolution du taux de l'hormone de grossesse dans mon système. Elle m'a répondu très gentiment que malheureusement, elle ne le pouvait pas parce que ce n'est pas précisé par le médecin sur la prescription demandant ces analyses. Elle m'apprend en effet que si je l'avais demandé au médecin, il aurait pu inscrire une mention toute simple me permettant d'avoir les résultats pour mes dossiers personnels. Incroyable comme il faut apprendre ces choses à nos dépens. Oui bordel, M. et moi aurions grandement apprécié avoir cette information avant notre rencontre médicale de vendredi prochain pour ainsi nous épargner une autre semaine d'incertitude.

Même si au fond, nous savons que tout va bien. Que tu es encore là petit être, que tu as écouté les prières de tes parents et que tu continues à creuser ton nid comme le dit si bien ton papa.

Mais tout de même, voilà un autre exemple de notre système de santé occidental qui nous rend si obligés face au bon vouloir du corps médical. Les docteurs savent, les docteurs connaissent, les docteurs palpent et prescrivent, ils scrutent et comparent, ils diagnostiquent, ils traitent nos corps, notre santé globale, notre bagage personnel, héréditaire. Les docteurs nouveaux détenteurs des clefs de notre bien-être. Après le prêtre nous passant à la confesse, des décennies de blouses blanches qui détiennent les secrets de la vie et de la mort.

Bien sûr, j'use d'ironie, mais à peine. Combien d'entre vous avez déjà osé remettre en question ce qu'un médecin vous avait collé comme étiquette sur la santé ou tendu comme prescription. Combien seulement posent des questions lorsqu'ils sont là devant cet individu tout-puissant qui s'exprime dans un jargon mystérieux pour décrire les sources de vos maux. Pour ma part, il m'a fallu vivre des expériences assez particulières dans un aspect de ma santé pour comprendre que d'un médecin à l'autre qui observait mon cas, le diagnostique changeait parfois, ainsi que la médication prescrite. Je précise ici que ce n'est pas le cas pour tous les problèmes de santé qui m'ont amené à l'hôpital ou en clinique, mais disons que mon attitude a commencé à changer dès lors. J'ai réalisé que les docteurs sont des êtres humains avec une capacité x à emmagasiner des connaissances y, tout comme moi. Tout comme moi, ils doivent se plonger dans des lectures pour saisir des affections qu'ils n'ont pas croisées auparavant. Aussi, quand on y pense bien, les médecins généralistes ne sont pas des spécialistes et les spécialistes orientent leur pratique selon une école de pensée ou selon ce que l'industrie pharmaceutique leur suggère comme nouvelle pilule miracle. Tout ça en plus de toutes les maladies possibles à supposément connaître sur le bout de leurs doigts, toutes les variantes exceptionnelles, toutes les dimensions infiniment nombreuses de la santé d'un individu. Un médecin est un être d'expériences professionnelles, de préférences de pratique, de valeurs propres influençant son regard sur le processus de guérison à privilégier et sur le concept même de la santé. Un médecin est un humain.

Pendant des années, j'ai été suivi par une femme médecin que j'étais allée rencontrer dès mon arrivée au cégep. De là, elle a été mon lien principal avec le monde de la santé pendant des années. J'allais la voir pour mes examens gynécologiques annuels. Plus tard, ma santé m'a joué des tours et j'ai dû rencontrer d'autres médecins, spécialistes ceux-là. Mais je continuais d'aller la voir elle, une fois l'an, pour renouveler la prescription de mon anovulant. Dr. V. était chaleureusement à l'écoute, totalement au courant de toutes les sphères de ma santé. Je n'avais aucun secret pour elle. Je me disais que si j'omettais des informations me concernant, elle n'aurait pas toutes les pièces du puzzle qui lui permettraient de mieux me suivre. Je me voyais sous son aile pendant des années et des années encore. Mais un jour, elle m'a annoncé qu'elle passait au privé et qu'une de ses collègues prendrait mon dossier. Dr. B. est très gentille, très compétente, mais j'ai alors eu l'impression d'avoir perdu une complice importante de ma vie.

Parce que dans mon idéal, un médecin, c'est quelqu'un qui devient un partenaire pour du long terme. Mon médecin devrait être capable de me reconnaître lorsque je pénètre son bureau, de prendre le temps de combler le vide en procédant à un bilan de santé assurant un aperçu de l'interlude s'étant écoulé depuis notre dernière rencontre. Il devrait aussi répondre à mes questions, ne pas me faire sentir comme une incapable, une non initiée. Ma santé, je la porte à tous les secondes qui coulent dans les sables du temps. Je suis concernée, nécessairement. Concernée et désireuse de comprendre. Un bon médecin arrive à vulgariser à son patient, à le rassurer ou à lui dire la vérité sur la gravité de la situation, mais avec humanité. Un bon médecin est connecté à la personne qui consulte.

Je sais que les médecins travaillent dans des conditions de consultation et de traitement extrêmement contraignantes. Je sais qu'il y a une pénurie de blouses blanches inversement proportionnelle à la hausse des besoins sociaux côté santé. Et comme je l'ai déjà dit dans cet espace, je crois que c'est à nous citoyens d'optimiser nos rencontres avec ces professionnels, de s'informer avant la rencontre sur notre possible problème physique, de tirer le meilleur de la rencontre au moment où elle survient, de poser toutes les questions et de préparer le prochain rendez-vous en dressant une liste de questions qui sont survenues après coup. Je crois qu'il est de notre devoir de nous responsabiliser en s'alimenter de façon optimale, en se maintenant en bonne forme, en cultivant notre jardin intérieur. Mais en contrepartie, ce que j'aimerais parfois du corps médical, c'est un petit peu de confiance de leur part sur ma capacité à saisir les informations liées à ma santé. De grâce, que cette barrière entre le patient et le personnel soignant s'amincie pour laisser filtrer des notions qui nous aiderait à prendre en main notre santé, vraiment. Parce que notre santé, elle n'est pas dans un dossier coincé entre des milliers d'autres dossiers. Notre santé, elle est nous, constamment.

3.03.2009

chapelet de prières

Tiens bon. Reste. Accroche-toi à moi. Mords dans cette endomètre à pleine syncytiotrophoblaste et fais ta place au soleil petit être asexué. Ton papa dit que c'est justement parce que tu fais tout cela que j'ai des saignements depuis hier soir. De légers saignements faut-il préciser, mais nous revenons tout de même de la clinique. Nous devions y aller le 18 pour savoir de quand tu datais mon chéri, mais là, ce que nous pouvons dire pour sûr, c'est que, si tu es encore là, tu es conçu depuis mi-février seulement. Je dis "si tu es encore là", mais tu y es toujours, n'est-ce pas? Tu tiens bon. Tu restes. Tu t'accroches à moi. Et moi, je dois croire à ta force, à ta réalité.

Ta grand-maman, ma maman, elle m'a rassurée à quelques reprises ce matin en me répétant, pour que ça rentre mieux dans ma caboche sans doute, qu'elle aussi a eu des pertes de sang lors de sa première grossesse. Elle m'a dit par trois fois que ma soeur G. est la preuve vivante que ça peut arriver, mais sans crainte de porter le nourrisson jusqu'à terme. D'ailleurs, sur l'Internet, M. est tombé sur une foule de forums discutant de ce phénomène inexpliqué: oui, certaines femmes saignent, malgré une grossesse, autour du moment de leurs menstruations, surtout pendant le premier trimestre. Et l'infirmière d'Info-Santé contactée à 2 h 30 du matin cette nuit - oui, je commence à faire un petit peu d'insomnie - m'a confirmé que c'était possible que ça n'indique pas une fausse couche et que si en plus ma mère avait eu des pertes de sang lors d'une de ses grossesses, il se pouvait que ce soit une particularité héréditaire.

Mais revenons aux échographies de ce matin. Le gentil médecin n'a rien vu par sonde abdominale alors il a utilisé celle par voie vaginale, qui n'a rien révélé non plus. Rien, dans le sens de pas de sac ovulaire en vue. Mais il a été très rassurant en nous expliquant que ce pouvait être parce que tu es trop récent. Donc, la solution: prise de sang aux deux jours, trois fois, pour analyser la progression de la HCG, l'hormone de grossesse, dans mon système. Si tu es là, et tu es là, le taux devrait doubler aux deux jours environ. Nous aurons les résultats vendredi le 13 mars. Eh voilà, un autre vendredi 13 à inscrire à mon calendrier de dates importantes dans ma vie.

D'ici là, tu es encore là, au risque de me répéter. Et je m'adresse à toi parce que je veux que tu connaisses ton parcours. Cet espace où je viens écrire régulièrement pour suivre x ou y filon, il est mobilisé par ton arrivée. Depuis ces deux petites barres roses dans la fenêtre du bâtonnet, tu es avec nous et tant de gens sont heureux de te savoir en cours d'apparition. Bien sûr, certains penseront peut-être que c'est indécent de détailler ici tous les dessous et tous les revirements, mais c'est la vie ça, c'est la preuve que plusieurs passent par des chemins tortueux qui mènent aux mêmes résultats que ceux qui passent par les chemins droits décrits dans les livres et les films. Chaque expérience est unique, chaque grossesse l'est donc aussi.

Tu traces ton destin.

3.02.2009

la raison

3.01.2009

trois

Il-elle. C'est cela exactement qui niche au creux de moi à l'heure où j'écris ce message pas tout à fait comme les autres. Ce message, il t'appartient et il me fout les jetons parce que je le veux parfait, comprends-tu?

Déjà une maladresse. D'évoquer la peur, c'est bien bête. Surtout que Dieu sait combien je ne veux pas te refiler ce sentiment aux visages sinistres, cet empêcheur de faire confiance. Plutôt la confiance, oui. Bon début, mais ça pourrait être mieux.

Pourquoi ne pas commencer par t'accueillir. Te présenter au monde entier, mais surtout, oui surtout, à ceux-là qui font partie de cette communauté qui a suivi toutes les péripéties qui ont mené à aujourd'hui, 4 h 08 du matin, à ce bâton First Response qui a d'abord affiché une mince ligne rouge et puis, lentement, pareille à une ombre incertaine, une seconde. Là encore, je n'étais pas convaincue. Difficulté à y croire.

Confiance ébranlée vois-tu. Relation inter-universelle grandement mise en péril au cours de tous ces mois, dix-neuf en tout, à attendre ton arrivée, à passer d'un doute à un autre, d'une déception malsaine à une nouvelle, à creuser mon isolement, à me sentir comme un désert, à vouloir encore faire confiance malgré les claques pas possible reçues en plein l'âme. Mais bon, me voilà encore sur la pente glissante de me rouler dans les souffrances que nous avons dû surmonter, parfois en mode repeat. Mais sache que tes parents, parce que nous sommes cela à l'instant où je progresse à ta rencontre, tes parents, M. papa, moi maman, ils ont tenu bon foutu de merde.

Ça y est, je blasphème presque. Je me choque quand la colère n'a plus d'emprise à présent, comme elle n'en avait plus vraiment depuis que nous avions appris que nous étions fertiles début décembre, lui, moi. Mais il fallait continuer à persévérer, à aller de l'avant, à renouveler la confiance, malgré tous les sales coups du destin. Et puis avec ton papa à mes côtés, et avec tous les membres de cette extraordinaire communauté qui nous entoure, et avec mon coeur qui le sentait malgré tout que tu viendrais bien un jour, nous sommes allés à ta rencontre. Bienvenu dans nos vies, toi, il-elle, niché au creux de ma matrice transformée en éden pour ton confort, ta multiplication, ton expansion. Comme nous sommes surpris de te savoir là. C'est irréel pour tout te dire, un peu beaucoup hallucinant après t'avoir tant désiré.

Nous ne savons pas depuis combien de temps que tu y es. Comment, diras-tu peut-être plus tard, vous qui me désiriez tant, comment ne pouvez-vous pas être certain du moment exact de ma conception? Parce que mes règles de janvier sont arrivées une semaine plus tôt que prévu, moi qui était régulière presque comme du papier piano depuis que je notais le début et la fin de chacun des cycles qui passaient, autant dire depuis un peu plus d'un an. Ça et puis, justement, je les ai eues mes règles en janvier. Cinq jours de saignement et des crampes, ce que je n'ai pour ainsi dire jamais. Et puis encore, ce fameux mois de février où ton papa et moi, nous n'avons pas du tout été synchronisés pour l'amour. Il y a eu cette fois le vendredi 6, à mon retour de ma semaine au loin, et une autre date, que nous n'arrivons pas à situer. Ma précieuse amie J., contactée cet après-midi pendant la tournée d'appels, croit que c'est un bébé de février parce que le fait que j'aie eu un saignement le 23 février, qui m'a fait penser que mes règles débutaient, était dû au processus de nidation.

Ta tante G. m'a refilé une pile de livres que notre autre soeur B. - qui a été la première contactée aux petites heures du matin pour lui offrir ce cadeau d'anniversaire, et que même si ça n'avait pas coïncidé avec cet événement, elle aurait été la première à l'apprendre - lui avait elle-même refilés, à quelques ajouts près, il y a plus d'un an. Il va falloir que je m'atèle mon chéri, mon foetus asexué à ce jour, mais ô si existant. J'ai de la lecture à dévorer à ton sujet.

Si nous annonçons ta venue même si le fameux délai de trois mois n'est pas complété, c'est que nous t'avons attendu si longtemps, que nous débordons de joie de vouloir l'annoncer cette bonne nouvelle, de vouloir la partager. Et même si je suis malade comme un chien au moment où ces lignes s'enchaînent, nous savons que tu tiendras bon. Que cette fois, tu es manifestation.

Un dernier mot petit être abstrait. Faites que Dieu qui nous a éprouvés, se révèle à toi par la simplicité de sa beauté, par la vérité de sa bonté, par le mystère troublant de sa sagesse. Déjà, il nous a parlés par la vibration de l'entité que tu es, parce qu'à ton papa, je lui avais bien dit au mois de décembre dernier que tu nous apparaîtrais en mars. Promesse tenue. Et puis, ton papa m'apprend à l'instant que dimanche prochain à Découverte, l'émission est consacrée au thème de la naissance. Tiens, tiens. Nous sommes au rendez-vous.