orphelins de l'Éden

3.30.2009

sur le fleuve

Dans l'autobus aujourd'hui, à mon retour de la journée de boulot, j'ai rencontré J-P, celui qui aimerait tant être Français. Il m'a appris que lui et sa mère ont trouvé un logement, lui qui la dernière fois que nous nous étions croisés il y a trois semaines environ angoissait tant à l'idée qu'ils ne trouvent pas avant le 1er mai, date où ils doivent quitter leur logis actuel. Il y a trois semaines, je l'avais encouragé à ne pas perdre espoir, à croire au fait que tous les morceaux tomberaient en place au bon moment. J'étais donc heureuse d'apprendre que mon positivisme avait été exaucé et que tout s'était bien terminé pour lui.

J-P est un véritable baromètre des émotions. Lorsqu'il est content, son sourire se fend d'une oreille à l'autre et ses bras s'agitent en battant l'air parce que souvent, le rire le secoue dû à un trop plein de bonheur. Mais au contraire, lorsqu'il s'en fait, il se tasse sur lui-même, son visage s'assombrit et ses doigts viennent se porter sur ses lèvres scellées par le tourment. Aujourd'hui, j'ai un peu causé cet état lorsque je lui ai parlé de sa situation professionnelle. Puisqu'il déménage à Montréal, il ne pourra plus bénéficier des services de l'agent gouvernemental de liaison posté à Longueuil qui a établi le contrat avec son employeur actuel. Parce que J-P est handicapé, son employeur reçoit une subvention gouvernementale, un genre de "merci beaucoup d'intégrer une personne à capacités réduites". Dans le cas de J-P, son employeur tient tellement à cette subvention qu'il n'a pas augmenté son salaire depuis les dix dernières années et ce, même s'il fait un excellent boulot. Discrimination? Oui, très certainement.

Recroquevillé dans son siège, J-P m'a écouté lui expliquer que s'il ne prenait pas les démarches dès maintenant pour que son dossier ne soit transféré à un homologue de son agent, celui-là posté à Montréal, il pourrait avoir la mauvaise surprise de devoir attendre un an sur une liste à partir de janvier prochain, moment de renouvellement de son contrat, avant de pouvoir retrouver un emploi. Le délai d'un an, c'est J-P qui m'a dit que c'était ce qui lui était arrivé lors du dernier déménagement. Il a tellement été échaudé par cette mauvaise expérience, ça aussi jumelé au fait de savoir pertinemment bien que son employeur n'accepte de l'avoir dans ses rangs qu'à cause de la subvention, qu'il avait plutôt l'intention de ne pas dire à son agent de liaison qu'il avait déménagé.

J-P est intelligent. Oui il parle drôlement et sa physionomie contractée rend ses mouvements brusques, mais il a de la jugeote, autant que vous et moi. Seulement, il est différent et il se le fait dire depuis toujours qu'il l'est. Il a grandi dans une société qui lui a collé une étiquette disant qu'il était diminué et donc qu'il devait être reconnaissant pour ce qu'on lui donnerait comme opportunité. Dis merci à cette main qui te nourrit bien que tu ne répondes pas aux critères de performance habituellement requis pour l'être en temps normal.

Normal. J-P n'a jamais été normal. Ni dans les yeux des gens qui l'entourent, ni dans son corps. Il voit bien qu'il n'est pas comme la majorité, il le vit, il le sait mieux que tout le monde ce que c'est d'être dans ce corps qui crée ce fossé. Et pourtant, quand je lui parlais aujourd'hui dans l'autobus, j'ai réalisé que je ne dois plus faire d'efforts pour comprendre ce qu'il me dit, que mon esprit peut suivre le flot de ses paroles sans monter son niveau d'attention d'un cran. Je me suis fais la réflexion que notre conversation au débit tout à fait naturel devait paraître étrange pour ceux qui écoutaient malgré eux. Mais non, ai-je poursuivi dans cette réflexion, cette conversation au débit naturel, elle devait leur paraître tout à fait normale parce que justement, nous nous parlions amicalement, avec intérêt, sans inconfort.

Je ne verrais plus J-P dans l'autobus à partir de la mi-avril. Mais la dernière fois que nous nous sommes vus, il y a trois semaines, nous avons échangé nos courriels parce que lorsque je lui ai appris ma grossesse, il a tout de suite voulu que nous gardions contact afin que lui transmettes des photographies de petit être né. Normal. Pas tout à fait. J-P a cette spontanéité qui émeut et qui a toujours égayer nos rencontres. Si tout le monde était comme J-P, cet équilibre dont il était question la dernière fois que je suis passée ici, il serait plus simple à réaliser. Le tissu social serait fort d'une vérité simple. Aimons-nous les uns les autres. Sans chichi, sans artifice, sans effort. Tout bonnement.

1 Comments:

At 12:38 a.m., Anonymous ziwi said...

Aimer les gens pour leur coeur et non pour leur "intelligence." Justement, tout bonnement. =)

 

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