plaisir communautaire
Ma cuisinière indique entre 6 h 18 et 6 h 22 quand je quitte le paradis pour attraper le bus de 6 h 26. Parfois, Br. est déjà là, dans l'abribus, mais plus souvent, je vois son ombre derrière le rideau translucide de sa porte d'entrée qui s'affaire à se vêtir, juste de l'autre côté du boulevard. Cette femme à l'énergie brute et franche est devenue une compagne du quotidien, pour ne pas dire une amie.
Je l'ai rencontrée quand j'étais enceinte de fillette et que j'étais retournée au onzième pour une période de trois mois. Nous parlions une fois de temps en temps, à l'arrêt d'autobus surtout, pas dans le bus en tant que tel. Je lisais alors systématiquement dès que je m'asseyais dans ce mode de transport en commun. Ces jours-ci, je n'ai pas la tête aux bouquins.
Le plus drôle, c'est que, des mois plus tard, au printemps bien avancé suivant, nos petites familles mutuelles s'étaient croisées sur le sentier principal du grand parc. Nous nous étions présentées nos enfants et nos conjoints. Ce n'est qu'en poursuivant notre chemin, chaque groupuscule de son côté, que M. m'avait avoué l'avoir reconnue pour l'avoir en quelque sorte harcelée pendant son adolescence. Lui et son ami la trouvait mignonne et puisqu'elle prenait l'autobus scolaire non loin de chez eux, ils l'avaient visée pour la tarauder. Drôle de façon d'exprimer leur attirance. Mais bon, l'adolescence est un laboratoire de socialisation, avec ce qu'il y a de bon et de mauvais comme expérimentation.
Peu de temps après cette rencontre révélatrice au grand parc, Br. est passée devant chez moi en camion, revenant de la garderie avec sa fille installée sur la banquette arrière. Je me dirigeais chez Cr. l'éducatrice en or de garçon, fillette dans l'Ergo. Elle s'était arrêtée et d'emblée, je lui avais rapporté les paroles de M. à son sujet et ajouté qu'il s'en excusait de cette épisode pas très glorieux de son existence. Parce que c'était vrai, de la revoir lui avait fait réaliser à quel point il avait été méchant. Culpabilité, quand tu nous rattrapes. C'est ma mère qui m'a toujours dit que quand on crache dans les airs, ça nous retombe toujours dans la figure.
Cette histoire, c'est devenu un running gag entre nous deux. Depuis que je suis retournée au onzième pour de bon, nous prenons place ensemble dans le bus et nous jasons pour la durée du trajet. De mille et un sujets. De nos vies, nos conjoints, nos enfants, nos passés.
Se joint à notre conversation monsieur Ls., un homme tout à fait charmant avec qui Br. s'est lié d'amitié à force de le croiser à tous les matins sur les bancs arrière de l'autobus. Par la bande, nous sommes devenus amis et maintenant, nous formons un beau trio rigolo. Ls. est un grand lecteur et il tient toujours une brique dans ses mains lorsque nous venons à lui. Des biographies de personnages politiques, des pans de l'Histoire, des romans classiques. Je lui ai refilé Belle du Seigneur de Albert Cohen il y a deux semaines. Cadeau, que je lui ai dis. Tu passeras au suivant. Un roman d'amour qui ouvre les yeux crûment, si on peut dire ça ainsi.
Parfois, nous partageons même des moments musicaux. C'est que j'ai un adaptateur qui permet à deux personnes de se brancher sur un même appareil audio. Ainsi, Ls. et moi écoutons du Leonard Cohen de son Ipod ou je fais découvrir le dernier Arcade Fire à Br., par un beau lever de soleil, parce qu'elle a les bleus.
J'ai même fait la rencontre d'un troisième comparse ainsi la semaine dernière. Fr. qu'il s'appelle. Un Français débarqué dans notre beau Québec il y a un an et demi. Je me suis assise à côté de lui un soir - il est dans le même bus que moi le matin et souvent le soir - et, comme ça, tout simplement, je lui ai demandé ce qu'il écoutait. C'est qu'il est toujours coiffé de son casque d'écoute Bose. Lors de ce premier contact, nous avons partagé quelques artistes via nos baladeurs numériques respectifs. J'ai su qu'il aime beaucoup les albums live et la musique rock. Il a appris que mon dernier album chouchou est Montréal $ud des Dead Obies, un groupe local de rap qui fesse dans le dash, si je puis m'exprimer ainsi.
Mes voyages sont bien heureux. Je suis bienheureuse.
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