orphelins de l'Éden

6.30.2013

milestone

Le 1er juin dernier, j'ai décidé que ça y était, je t'enfilais des culottes.  Tes couches étaient sèches plus souvent qu'autrement au courant de tes journées, mais surtout, je sentais que tu comprendrais vite que se faire pipi dessus, c'est inconfortable.

Deux semaines, c'est le délai que je nous avais fixé et une fois expiré, tu m'as donné raison en nous démontrant que tu pouvais te rendre toi-même à la toilette en disant caca, mot clef pour tous tes besoins, même si tu sais dire pipi.  Le nombre d'accidents a chuté significativement dès ce moment et depuis une grosse semaine, ils sont devenus rares.

Parfois, tu te retiens trop longtemps et tu échappes un petit jet de rien du tout pour mouiller un rond dans la fourche de ta culotte, mais tu réussis à vider le plus gros de ta vessie sur le pot.

Lorsque nous sortons, tu arrives à te retenir si tu as envie et à te soulager une fois revenus au paradis.  Si ça presse trop, tu acceptes - après un peu de persuasion - d'utiliser, dans un lieu public, le siège d'appoint pliable que je transporte dans un sac à dos, avec tout le reste du kit essentiel pour cette nouvelle phase - vêtements de rechange, sac imperméable lavable, lingettes, guenille, bouteille d'eau pour nettoyer.

Tu contrôles donc ton appareil urinaire. C'est clair.  Tu rejettes même quelques gouttes si nous sommes sur le point de sortir et que je te demande de faire un pipi parce que nous sortons justement.  Championne va.

Enfin, depuis trois jours, zéro accident.  C'est parti mon kiki.

Il y a quelques soirs, tu m'as même fait comprendre que tu ne voulais plus de couche pour la nuit.  Tu passes tes journées en culotte - des slips de garçon, parce qu'ils sont de la bonne taille pour toi, miss mini, et mieux conçus que ceux pour fille que j'ai trouvés -, alors tu ne veux plus de ces machins-truc attachés sur toi.  Heureusement, avec le pipi sur le pot que tu fais lorsque tu te réveilles autour de 1 h 30, tu réussis à passer la plupart de tes nuits au sec.  C'est encore plus vrai lorsque tu fais un dernier pipi vers 21 h, juste avant ton dodo.  Mais tu ne collabores pas toujours pour celui-là, et alors, c'est un pipi au lit, comme deux soirs de suite.  Mais bon, ça fait partie de l'apprentissage et après ces deux séances de remue-ménage nocturne, tu as accepté de remettre une couche, au cas où.  Là encore, malgré tout, nous sommes très prêts de la fin, je le sais.

Le plus beau, c'est que tu as eu dix-huit mois hier.

Sûrement que notre pratique de l'hygiène naturelle a quelque chose à voir avec tout ça.  Même si avons adapté la technique et que tu as toujours porté des couches, l'important, c'est que nous avons été à ton écoute.  Ce faisant, tu as appris tôt à éliminer tes besoins sur le pot puisque nous te l'avons toujours proposé.  Je sais que certains pensent que cette pratique est énergivore, pour ne pas dire une lubie.  Mais pour moi, pour l'avoir fait avec garçon et fillette, je sais que je ne pourrais plus faire autrement si j'avais un autre enfant, parce que cette persévérance vaut la chandelle.  Mes enfants m'ont prouvé que, justement, l'hygiène, c'est naturelle, véritablement essentielle, et qu'il suffit de les accompagner dans cet apprentissage pour qu'ils atteignent leur pleine autonomie.    

6.22.2013

la roue de l'Arbre

Si je lis correctement le signe, mes menstruations devraient reprendre dans deux semaines.  Mes glaires collantes et abondantes s'étirent entre mes doigts.  Un filament de dix centimètres.  Glu fertile, assurément.  Mon corps revivra le rythme mensuel dicté par le sang, après plus de deux ans sans, pour ne pas dire quatre vu le seul mois de sa reprise entre mes deux enfants.  L'allaitement prolongé, à la demande, la nuit, aux six heures ou plus.  Dans mon cas, le résultat a donné une contraception naturelle.

Mais nous sommes loin d'avoir joué avec ce feu-là.  Je crois que nous avons décidé de notre bonheur à quatre avant même que fillette ne naisse.  Pour M., c'est le fait d'avoir su que notre deuxième enfant allait porter une vingt-troisième paire de chromosomes différente de notre premier qui a pesé dans la balance.  Pour moi, c'est toute l'énergie investie par notre choix de parentage de proximité qui m'a mené à cette heureuse constatation.  Notre famille serait complète dès lors que fillette verrait le jour.

Malgré tout, à moins de prendre des moyens sûrs tels que la vasectomie ou la ligature des trompes - et encore -, on ne sait jamais.  Des histoires de conception malgré l'utilisation d'un préservatif, j'en ai déjà entendu au moins une dans ma vie.  Un micro trou dans le bouclier de latex, un jour de glu fertile, et hop le sperme champion se rend à l'ovule pour déclencher une nouvelle vie.  Nul ne peut prévoir l'imprévu.  Quelqu'un a déjà dit ça, c'est sûr.  Peut-être même dans cette situation-là.

C'est ce qui arrive à ma grande amie Jl. et son amoureux.  Pas un micro trou, mais un sperme champion dans l'attente du moyen sûr.  Sans doute un garçon, ce troisième enfant inattendu et totalement surprenant.  Provoquant de profonds questionnements.  Leur bonheur à quatre qu'ils avaient et dont ils étaient très satisfaits est devenu moins attrayant dès lors qu'ils ont imaginé celui à cinq.  Ainsi va la vie.  Le corps, le coeur.  L'amour.  Le plus fort.

On dit "se reproduire".  Mais c'est au-delà de nous ce miracle.  Nous sommes instrument pour destin.  Sûr que nous pouvons le guider, le conseiller, veiller.  Au-delà de nous, il pense et devient à son tour.  En route vers sa rencontre avec sa propre progéniture.  Hallucinant.  Totalement plus grand.  

6.17.2013

heures lunaires

Fillette a passé un bon moment ce matin chez sa marraine, ma grande amie Jl., pendant que j'étais auprès de mon ostéo adorée, à me faire triturer de bout en bout.  Il y avait plus d'un an que mon corps n'était pas passé entre ses mains et grand besoin, il en avait.  Ma hanche droite qui me faisait la surprise de bloquer pendant que je marchais, sans crier gare, une vertèbre de coincée entre les omoplates rendant pénible ma respiration, un genou aux ligaments tirés, une épaule en bouillie.  Mon corps qui vieillit, mon corps qui allaite toujours.

Qui allaite, la nuit encore.  Deux fois, c'est beaucoup mieux que ce ne l'était, mais ce n'est pas rien non plus.  Des callosités se sont depuis longtemps formées sur les dessus de mes pieds, à force de me placer en lotus.  Fillette vieillit, elle aussi, et bientôt, ses nuits se satisferont de notre présence.  

D'ailleurs, depuis quelques semaines, garçon se joint à nous dans l'îlet les nuits de fin de semaine, une fois de temps en temps.  Notre idée de préparation parce que qu'il partagera sous peu sa chambre avec sa petite soeur adorée.  Notre immense tâche peinture étant entamée depuis peu, nous en viendrons à leur chambre d'ici deux semaines pour alors procéder au grand déménagement.  Fillette et garçon s'amusent déjà beaucoup à se coller sur l'oreiller de l'un, de l'autre, dans une chambre, puis dans l'autre.  Leurs lits, ces lieux moelleux qui accueillent si bien les jeux, seront alors côte à côte, réunis.

Et nous retrouverons notre chambre, notre bulle d'intimité.  

Cela ne marquera pas la fin définitive de notre aventure co-dodo.  Fillette aura toujours besoin de nous pour l'accompagner jusqu'aux bras de Morphée, en plus d'au moins une fois - sans doute deux au début - pendant la nuit, et pour l'endormissement à l'heure de la sieste, mais peut-être que de sentir son beau grand frère tout près fera une différence.  Comme pour Bo., nous respecterons ses besoins et tenterons de leur répondre, tout en écoutant les nôtres également.  Le processus de détachement se fera de lui-même, en douceur, avec le facteur beau grand frère qui pèsera dans la balance, j'en suis persuadée.  Je finirai par les retrouver collés sur un oreiller ou sur l'autre, à roupiller, côte à côte.  Fillette et garçon, réunis dans leur paradis.  

6.11.2013

tranche de vie

Notre deux est né d'une liaison.  J'étais en relation depuis trois ans et tu étais libre comme l'air.  Nous travaillions pour le même employeur, sur le même étage, et nous dînions ensemble, au sein d'un groupe d'étudiants rémunérés tels que nous, à refaire le monde.  À la fin de l'été, j'ai jeté mon dévolu sur toi.  Tu as plongé sans hésiter.

Jeudi, cela fera dix ans que notre sort d'amoureux s'est scellé.  Après notre très courte aventure, et des mois à ne pas se voir du tout parce que j'avais décidé de ne pas foutre ma vie en l'air, encore une fois - j'avais une tendance à finir mes relations au bout de trois ans, de façon brouillonne -, j'ai finalement foutu ma vie d'alors en l'air, et je t'ai appelé.  C'était un soir de pleine lune.  Tu as plongé sans hésiter.

Dix années.  Dieu, où sont-elles allées.  Quatre en appartement, six au paradis.  Nos fiançailles, deux enfants, des tonnes de soupers de famille, de ton côté, du mien.  Des conversations sur l'oreiller et d'autres envenimées.  Peu de voyages, mais certains souvenirs d'ailleurs auprès de toi tout de même, et des centaines de marche, pour ne pas dire des milliers.  Une routine surtout, parfaite pour tes goûts et envies très spécifiques, parfaite pour mon hygiène de vie nécessaire à ma bonne santé mentale.

Parce qu'avant toi, je commençais à peine à apprécier les petits bonheurs, à reconnaître leurs immenses bienfaits pour mon âme.  La nourriture surtout, son pouvoir délicieux et régulateur.  Je crois que cette base a soudé notre quotidien et t'as enroulé autour de mon petit doigt.    

Mais à la source de nous, il y a notre chimie physique.  Maître de l'amour qui sait renouveler notre sexualité presque à tout coup.  Ça, c'est ton arme secrète.  Celle qui s'assure de reconquérir mon coeur par tantrisme.

Il y a que nous sommes sur la même longueur d'ondes.  Bien souvent du moins.  Nous assumons nos choix, parfois à contre-courant, mais toujours ensemble.  Nous nous épaulons.  Notre mode de vie est généralement frugal parce que nous comprenons l'impact de nos empreintes dans le monde.  Je ne pourrais demander meilleur partenaire sur ce chemin parfois solitaire.

Il y a que tu es un père extraordinaire.  Nos cocos te labourent de leurs acrobaties et tu en redemandes.  Tu joues avec eux, tu les émerveilles.  Je vois combien l'amour qui émane de toi quand tu es avec eux les façonne sainement.  Leur papa, il est unique.

Unique, tu l'es aussi à mes yeux.  Tu détiens le secret de ce qui me garde auprès de toi, moi qui cache une nonne au creux de mon être.  Couve-le précieusement et donne-moi encore des dizaines d'années à vivre comme si c'était le premier jour de notre amour.                

6.01.2013

ton âme libérée

Je n'arrive pas à enregistrer l'information dans mon cerveau, comme si cela n'était pas réel.  Un peu le sentiment que j'ai déjà connu à mon réveil d'un lendemain d'une fin de relation amoureuse.  Pas encore réel tout à fait.  La mort d'un être cher.  C'est aussi un peu ça finalement, comme une fin de relation.  Abrupte.

Hélène Paré.  C'était son nom.  Juste de l'écrire, les larmes me piquent les yeux.  Cette femme, je l'ai beaucoup aimée.

Elle était une collègue de travail.  Mais avant tout, elle était une amie.  Elle n'est jamais venue chez moi, je ne suis jamais allée chez elle.  Notre amitié ne s'est pas bâti autour de tables bien garnies, coupe de vin à la main, ni de cafés sirotés.  C'est plutôt au fil d'heures assises l'une près de l'autre que nous avons échangé de grands bouts de ce que nous étions, des histoires actuelles et passées, des rêves futurs, des confidences, des opinions, des blagues.  Nous avons bossé sur les mêmes projets ou à peu près, dès le début de ma carrière au onzième.  En fait, nous avions le même jour de janvier 2004 comme date d'embauche.

Je la surnommais Jackie O. pour sa coquetterie, sa grâce et parce qu'elle lui ressemblait vraiment à cette icône américaine.  Elle portait la mini-jupe tout le temps, été comme hiver, malgré qu'elle était dans sa soixantaine.  Quand elle arrivait et qu'elle s'installait à son poste de travail, elle mettait des morceaux de papier brun sur son siège en tissu parce qu'elle les trouvait sales - nos postes de travail (y compris les chaises) sont interchangeables - et que ses cuisses y étaient posées directement.  Ensuite, elle ouvrait son tiroir où elle gardait une brosse à cheveux afin de se refaire une beauté.  Son maquillage était discret.  Son look, c'était sa tignasse foncée et ses lunettes fumées. Jackie O, ça la faisait rigoler.

Une fois, je lui ai dit qu'elle était caustique.  Elle qui avait fait son cours classique chez les soeurs, elle ria un bon coup, aimant l'adjectif qui ne lui avait jamais été servi auparavant.  Ironique madame Paré - un autre nom avec lequel je l'adressais.  Elle n'était pas née de la dernière pluie.  Le monde dans son regard avait perdu de son lustre, bien qu'elle était animée d'une candeur rafraîchissante.

Elle adorait ses deux petites-filles.  Elle parlait souvent de ses deux fils et de ses trois soeurs.  Elle aimait la culture italienne et habitait dans le quartier Saint-Léonard avant de déménager dans l'est de la ville.  Elle avait déjà était propriétaire de bouquineries et avait longtemps résidé au pied du Mont-Tremblant.

Elle aurait aimé trouvé un partenaire de vie.  Elle l'aurait voulu charmant et honnête.  Des hommes qui lui tournaient autour, il y en a eu.  Elle voulait du solide, bien qu'elle ait toujours été discrète sur ce pan de sa vie.  Elle était seule dans son logis.  Elle aurait aimé partagé ce qu'elle était, dans son intimité.  Ça je le sais.

Iréel.  C'est ma soeur qui m'a appris qu'elle était atteint d'un cancer.  C'était au mois de janvier dernier et ce que j'en ai su alors, c'est qu'elle était dans un centre et qu'elle n'acceptait pas de visiteurs.  Madame Paré était fière et j'imagine que son physique était diminué par l'horrible maladie.  Puisque je ne suis pas au travail, les autres nouvelles qui me sont venues par la suite, c'est qu'elle était revenue justement, mais seulement à temps très, très partiel ou quelque chose du genre.  Du moins, la maladie avait été repoussée.  Et puis, bang.  Début avril, ma soeur m'annonce qu'elle est de nouveau hospitalisée, que c'est un cancer de la moelle épinière dont il est question, que son état général se dégrade rapidement.  Prochaines nouvelles, des visites sont organisées du bureau pour aller la voir, et puis, deux jours plus tard, elle ne veut plus voir personne.  Ma soeur a été parmi les derniers à y être allés.  Elle l'a vue, madame Paré.  L'ombre d'elle-même.  Mangée par l'horrible maladie.  De la tête au pied, amaigrie à l'extrême, les joues creuses, le teint verdâtre.  J'y allais.  Je n'ai pas eu le temps de m'y rendre, le temps de m'organiser - fillette, la voiture, ma belle-maman.  Je ne l'ai pas vue.  Mais c'est peut-être mieux ainsi.

Madame Paré, ma Jackie O., je la vois encore et je sais que cela me sera très difficile de ne pas la chercher à mon retour au onzième.  La dernière fois que je lui ai parlé, c'est quand je suis allée au onzième présenter fillette qui avait alors autour de six mois.  Hélène fut l'une des dernières à me croiser ce jour-là.  Elle s'en allait une semaine dans le sud et paraissait tout à fait emballée de ce voyage.

Que celui-là soit doux chère amie, ton repos éternel.  J'aurais aimé te dire à quel point je t'aime.  Mais je sais que tu le savais.  Les mots, c'est bien, mais les gestes, c'est mieux, et j'entends encore résonner ton rire.