ton âme libérée
Je n'arrive pas à enregistrer l'information dans mon cerveau, comme si cela n'était pas réel. Un peu le sentiment que j'ai déjà connu à mon réveil d'un lendemain d'une fin de relation amoureuse. Pas encore réel tout à fait. La mort d'un être cher. C'est aussi un peu ça finalement, comme une fin de relation. Abrupte.
Hélène Paré. C'était son nom. Juste de l'écrire, les larmes me piquent les yeux. Cette femme, je l'ai beaucoup aimée.
Elle était une collègue de travail. Mais avant tout, elle était une amie. Elle n'est jamais venue chez moi, je ne suis jamais allée chez elle. Notre amitié ne s'est pas bâti autour de tables bien garnies, coupe de vin à la main, ni de cafés sirotés. C'est plutôt au fil d'heures assises l'une près de l'autre que nous avons échangé de grands bouts de ce que nous étions, des histoires actuelles et passées, des rêves futurs, des confidences, des opinions, des blagues. Nous avons bossé sur les mêmes projets ou à peu près, dès le début de ma carrière au onzième. En fait, nous avions le même jour de janvier 2004 comme date d'embauche.
Je la surnommais Jackie O. pour sa coquetterie, sa grâce et parce qu'elle lui ressemblait vraiment à cette icône américaine. Elle portait la mini-jupe tout le temps, été comme hiver, malgré qu'elle était dans sa soixantaine. Quand elle arrivait et qu'elle s'installait à son poste de travail, elle mettait des morceaux de papier brun sur son siège en tissu parce qu'elle les trouvait sales - nos postes de travail (y compris les chaises) sont interchangeables - et que ses cuisses y étaient posées directement. Ensuite, elle ouvrait son tiroir où elle gardait une brosse à cheveux afin de se refaire une beauté. Son maquillage était discret. Son look, c'était sa tignasse foncée et ses lunettes fumées. Jackie O, ça la faisait rigoler.
Une fois, je lui ai dit qu'elle était caustique. Elle qui avait fait son cours classique chez les soeurs, elle ria un bon coup, aimant l'adjectif qui ne lui avait jamais été servi auparavant. Ironique madame Paré - un autre nom avec lequel je l'adressais. Elle n'était pas née de la dernière pluie. Le monde dans son regard avait perdu de son lustre, bien qu'elle était animée d'une candeur rafraîchissante.
Elle adorait ses deux petites-filles. Elle parlait souvent de ses deux fils et de ses trois soeurs. Elle aimait la culture italienne et habitait dans le quartier Saint-Léonard avant de déménager dans l'est de la ville. Elle avait déjà était propriétaire de bouquineries et avait longtemps résidé au pied du Mont-Tremblant.
Elle aurait aimé trouvé un partenaire de vie. Elle l'aurait voulu charmant et honnête. Des hommes qui lui tournaient autour, il y en a eu. Elle voulait du solide, bien qu'elle ait toujours été discrète sur ce pan de sa vie. Elle était seule dans son logis. Elle aurait aimé partagé ce qu'elle était, dans son intimité. Ça je le sais.
Iréel. C'est ma soeur qui m'a appris qu'elle était atteint d'un cancer. C'était au mois de janvier dernier et ce que j'en ai su alors, c'est qu'elle était dans un centre et qu'elle n'acceptait pas de visiteurs. Madame Paré était fière et j'imagine que son physique était diminué par l'horrible maladie. Puisque je ne suis pas au travail, les autres nouvelles qui me sont venues par la suite, c'est qu'elle était revenue justement, mais seulement à temps très, très partiel ou quelque chose du genre. Du moins, la maladie avait été repoussée. Et puis, bang. Début avril, ma soeur m'annonce qu'elle est de nouveau hospitalisée, que c'est un cancer de la moelle épinière dont il est question, que son état général se dégrade rapidement. Prochaines nouvelles, des visites sont organisées du bureau pour aller la voir, et puis, deux jours plus tard, elle ne veut plus voir personne. Ma soeur a été parmi les derniers à y être allés. Elle l'a vue, madame Paré. L'ombre d'elle-même. Mangée par l'horrible maladie. De la tête au pied, amaigrie à l'extrême, les joues creuses, le teint verdâtre. J'y allais. Je n'ai pas eu le temps de m'y rendre, le temps de m'organiser - fillette, la voiture, ma belle-maman. Je ne l'ai pas vue. Mais c'est peut-être mieux ainsi.
Madame Paré, ma Jackie O., je la vois encore et je sais que cela me sera très difficile de ne pas la chercher à mon retour au onzième. La dernière fois que je lui ai parlé, c'est quand je suis allée au onzième présenter fillette qui avait alors autour de six mois. Hélène fut l'une des dernières à me croiser ce jour-là. Elle s'en allait une semaine dans le sud et paraissait tout à fait emballée de ce voyage.
Que celui-là soit doux chère amie, ton repos éternel. J'aurais aimé te dire à quel point je t'aime. Mais je sais que tu le savais. Les mots, c'est bien, mais les gestes, c'est mieux, et j'entends encore résonner ton rire.
1 Comments:
quelle ôde à ton amie... je suis très émue à lire ca...
bon voyage jackie o...
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