orphelins de l'Éden

7.31.2008

je suis tout le monde

Ce soir, quand l'orage a éclaté, j'étais dans l'autobus. Arrivée à l'arrêt, une des passagères qui descendait elle aussi n'avait pas de parapluie, alors comme ça, tout naturellement, je l'ai talonné pour la couvrir une fois dehors. Elle m'a souri lorsqu'elle a réalisé pourquoi elle ne se faisait pas pleuvoir dessus et moi, je me suis dit que ce geste tout simple, il allait de soi.

Je suis quelqu'un qui essaie d'être à l'écoute et qui garde l'oeil ouvert. Quand je peux donner un coup de main, sans chichi, je le fais, c'est tout. Il me semble que c'est le plaisir qui l'emporte dans ces cas-là. Ces moments sont riches de partage et perpétuent la bonne entente inter-espèce. J'aime savoir que mon prochain est conscient de ma présence près de lui et vice versa. Je ne cherche jamais à m'imposer, à part si je sens que la personne a besoin d'un petit remontant d'humeur. Alors, je souris et voilà, le noir se dissipe et vive la lumière.

D'ailleurs, jamais je n'ai essuyé de rebuffade par celui ou celle à qui je voulais donner un coup de pouce ou avec qui j'engageais une conversation pour x ou y raison. Il m'est même arrivé de m'interposer dans une bataille en pleine rue, spontanément. L'escalade violente avait atteint le niveau des poings volant au visage, mais mon instinct m'a précipitée là, entre les deux hommes survoltés. Je leur ai dit d'une voix sortie de mon plexus quelque chose comme quoi il devait parler pour régler leur différend et comme ça, la rixe s'est brisée assez longtemps pour que les deux opposants se mesurent du regard, plus calmement, et qu'une voiture de police tourne le coin de la rue pour venir assurer la médiation du conflit. Dès que j'ai senti que l'agressivité des deux hommes avait chuté considérablement et que j'ai eu la certitude que les agents de la paix s'occuperaient de la suite, j'ai quitté la scène comme j'y étais entrée, c'est-à-dire de façon totalement anonyme, un peu comme un fantôme qui se serait matérialisé le temps de calmer le jeu. Je considère que c'était mon devoir de citoyenne de le faire, en être humain vivant dans un monde qu'elle désire humain où le respect et l'Amour s'impose dans toute leur splendeur.

Je ne suis pas badaude. Je ne me délecte pas du malheur du souffrant ou du mal pris. Bien sûr, je ne suis pas non plus de ceux qui sont devenus immunisés à ce même malheur, ceux qui poursuivent leur chemin en enjambant le désarroi. Quand j'aperçois une scène de conflit, de tension, de détresse, je me demande: puis-je aider? Si la réponse est oui, j'interviens, sinon, je poursuis mon chemin, mais avec une conscience claire et tranquille.

Dans le cas de personne qui souffre de l'âme, ceux qui consomment ou qui vivent dans la rue, je prie pour eux quand je les croise. Parfois, je donne une pièce d'un dollar. Mais plus souvent, je les regarde dans les yeux quand il me demande de l'argent et je leur dis que je suis désolée, mais non. La plupart apprécie le regard et me remercie quand même. Dans mes yeux, ils peuvent lire que je ne les juge pas et que je réalise qu'ils sont là, devant moi. Ces gens-là ne sont pas transparents. Ils ont peut-être faits de mauvais choix, mais qui peut limiter l'itinérance à cette seule cause. Chacun a son parcours, ces obstacles, ces capacités, ces moyens. Chacun a surtout un coeur qui bat et une conscience qui l'anime. Reste à passer par-dessus les pelures d'oignon pour arriver à l'essentiel. Ce coeur et cette conscience. Connais-toi toi-même. Nais ensuite universel.

7.29.2008


Bonjour. Je m'appelle Zinnia. Je suis une jolie fleur, avec en mon coeur des mini-fleurs.


Moi, je suis le plant de basilic monté en graine. La miss qui me jardinait n'a pas aimé mon goût alors elle s'est dit qu'elle pourrait peut-être avoir une belle plante tout de même.


Nous, on est les plants de fèves rampants. Nos antennes farfouillent les alentours à la recherche d'un nouvel ancrage.

Nous, on se tient en gang.

Coquine nature va!

7.27.2008

le présent qui passe

Mon beau-frère est enfin arrivé. Le mari de ma soeur B. est atterri avec du retard hier soir. Il paraît que Wl., son petit bout d'homme de deux ans, a pris un certain temps avant de venir à lui. Une façon à lui de dire à son père qu'il y avait trop longtemps qu'il ne l'avait vu j'imagine. L'important, c'est qu'il soit là maintenant, que la petite famille soit réunie et heureuse.

Avant de quitter la maison de ma mère hier, où j'ai passé mon samedi, j'ai trié une boîte de souvenirs qu'elle gardait chez elle depuis nombre d'années. Ne sachant ce qui s'y trouvait, j'ai soulevé un document à la fois, parfois une photographie, mais plus souvent un bout de papier témoignant de mes années d'élève: des diplômes, des textes, des notes de cours. Parmi les diplômes, il y avait surtout des mentions à propos de ma participation à l'Expo-sciences quand j'étais en quatrième secondaire. Je ne me souvenais même plus qu'une de mes meilleures amies de l'époque et moi, nous avions remporté le prix du meilleur projet de la C.É.C.M. - devenue la CSDM depuis -, toutes catégories confondues. Wow.

Parmi les écrits retrouvés, il y avait une chemise contenant une copie des textes que j'avais pondus dans le cadre d'un cours d'atelier littéraire au Cégep. Il fallait remettre à nos collègues une copie photocopiée afin qu'ils puissent suivre pendant la lecture des textes et qu'ils les commentent plus facilement. J'avais pris la liberté de joindre un dessin de mon cru en page couverture des quelques pages de mots alignés. Il faut dire que pendant cette session, je prenais aussi des cours de dessin et je m'amusais à me découvrir par le biais de cette forme d'art.

Dans le gros Tupperware bleu, il y avait une photo de groupe de la troupe estudiantine qui a performé la revue musicale Les Misérables à mon école secondaire, il y quinze ans. Bien sûr, j'étais du nombre. Je n'avais pas de rôle principal, mais je chantais dans plusieurs tableaux. Au début du spectacle, j'étais une fille de joie aux joues rouges; à la fin, j'étais une révolutionnaire au front sali de suie.

Il y avait mon cahier de notes de mon cours d'espagnol au Cégep, une photographie de moi parmi la famille chez qui je suis allée garder pendant trois ans à toutes les fins de semaine, un livre que je n'ai jamais lu, mais que j'aurais dû, de l'époque de mes études universitaires, ma photo de groupe de ma cinquième année primaire, un petit contenant plein de coquillages dont je ne me souviens plus la provenance, mais sûrement qu'il me vienne de mon voyage en Floride lorsque j'avais 15 ans et que j'étais partie faire la nounou auprès des deux plus jeunes enfants de la famille parmi laquelle je suis ensuite allée garder pour les trois prochaines années.

C'est fou comme quelques bouts de matérialité me rappelle quelques bouts d'immatérialité qui me forment. Je suis pétrie par le temps, libérée de plusieurs mues, riche de multiples expériences. Porteuse de plusieurs moi. Bien souvent, à mon insu.

7.25.2008

compagnon flamboyant

L'oiseau mystique est revenu. Le cardinal à la robe rouge et sa femelle au bec orange. Je dis le cardinal, mais en fait, ce n'est plus dans ma cour que je l'aperçois, c'est un peu partout, depuis trois semaines environ. Alors, ce n'est pas un oiseau, mais plutôt plusieurs spécimens de l'espèce qui croisent ma route.

L'année dernière, M. m'avait impressionné parce qu'il réussissait toujours à reconnaître le chant de cet oiseau tandis que mon oreille n'y arrivait pas. Cette année, mon oreille le repère toujours, à tout coup, même lorsque ce sont des cardinaux de Westmount qui semblent avoir un chant différent de ceux de la rive-sud, un chant davantage ponctué de tremolos complexes. Quand je l'entends ce chant, je fige dans l'espoir de le voir s'envoler d'un arbre à l'autre. La plupart du temps, c'est ce qu'il fait et il traverse le ciel pareil à un éclair écarlate.

J'ai définitivement plus observé de mâles cette année que de femelles. Peut-être était-ce parce que c'est le chant des mâles que j'arrive à distinguer. Les femelles s'expriment peut-être autrement qu'avec le fameux sifflement saccadé. Mais les deux sont supposés chanter de pareille façon. Quoi qu'il en soit, à toutes les fois qu'il me visite, je souris. C'est mon animal totémique depuis que je suis arrivée au paradis.

Il paraît que le cardinal est relié au chiffre douze, parce qu'il reste dans son habitat à l'année longue. On dit aussi que son sifflement distinct qui nous urge à écouter nous syntonise à notre vérité intérieure. Parce que le mâle et la femelle se joignent dans leur chant, ils symbolisent la rencontre de l'intuition de l'énergie féminine et la persévérance de l'énergie masculine. Aussi, le cardinal se nourrissant d'herbes en décomposition et d'insectes ravageurs, il me faudrait porter une attention particulière à ma diète et à son impact sur ma santé, surtout aussi à mon système cardiovasculaire, considérant que le sang est de la même couleur vibrante que le plumage de l'oiseau. Bon, tout ça, ce sont des interprétations du message porteur de l'animal ailé.

Moi, je dis que le cardinal me protège et m'accompagne. Ça me suffit. Déjà que de l'avoir près de moi, presqu'à tous les jours depuis trois semaines, je me sens extrêmement privilégiée. À toutes les fois, c'est un joyau perché qui égaye ma journée. Comme ce matin et hier matin, en gravissant la côte en direction du onzième. Ou plus tôt cette semaine, pendant ma marche du midi en compagnie de Cht. Ou la semaine dernière, en soirée, pendant que je jardinais ou une autre fois, pendant que je prenais ma marche santé. Mon ange, il est tout petit. Et il a la couleur de l'Enfer. Hi, hi.

7.24.2008

l'essentiel

Nous, on aime le folk. Notre dernière découverte soft, c'est Bon Iver. Cet homme s'est réfugié dans une cabane sur une terre isolée pour vivre la douleur de la séparation d'avec son ancien groupe, une relation de plusieurs années. Ajoutez à cela une peine d'amour, la saison morte, la solitude, une guitare sèche, un micro et un ordinateur et vous avez un album pondu. La chrysalide émergeant du cocon. Le fruit de l'art. Un baume discret.

Ce soir, M. et moi nous nous régalerons de poitrines de poulet marinées dans un quart de jus de citron, un autre quart d'huile d'olive, une cuillère à table de vin blanc, deux gousses émincées, sel, poivre, deux feuilles de laurier, une cuillère à thé d'origan séché et une autre de romarin séché, grillées sur notre gril, servies avec du riz basmati et des asperges fines. Un délice assurément.

Ce midi, je suis allée au marché avec Cht., mon amie-collègue. Sur les étals, les beaux produits de notre belle province me tentaient de leurs couleurs gaies et de leurs allures en pleine santé. Ces fruits et ces légumes qui ont moins voyagé et qui nous arrivent mûris à point, il faut sauter dessus pendant qu'il en est temps. Bientôt, nous devrons nous rabattre sur des spécimens moins vigoureux.

Ce matin, j'étais seule à l'arrêt d'autobus. Le voisinage est en vacances. Dans le véhicule long, je me suis installée à ma place habituelle, là où mes genoux ne se cognent pas au dossier d'un autre siège. Ma lecture d'aujourd'hui: la méthode Billings. Je continue à m'informer sur ce moyen naturel de reconnaître ma période de fertilité pendant mon cycle menstruel grâce à la distinction de la glaire cervicale qui se différencie des autres types pertes. Aussi, j'ai pris la décision de commencer à prendre du vitex à mes prochaines menstruations. Cette baie séchée du gattilier serait recommandée en cas d'insuffisance en progestérone, ce qui a pour conséquence une absence de production du système reproducteur de la glaire cervicale, cette colle naturelle qui emprisonne les spermatozoïdes près du col de l'utérus et leur permet de se propulser dans la matrice, afin qu'ils remontent le cours des trompes de Fallope, à la rencontre de l'ovule. Lentement mais sûrement. Toujours en ne pas m'abandonnant à la détresse, mais plutôt en creusant pour trouver des moyens à ma portée.

Journée toute simple donc. Pendant laquelle je m'amuse à constater que j'avais bien raison d'écrire à propos de cette averse de mardi puisqu'elle a fait l'actualité, surtout à cause de cette trombe qui s'est formée sur le St-Laurent. Dans mon message blogue, j'utilisais ce mot bien exactement: trombe. La seule différence, c'est que je disais que c'était du robinet céleste qu'elle tombait, quand en fait, c'est l'eau du fleuve qui s'est faite aspirer en colonne. Étrange coïncidence.

Un jour, il me faudra répertorier toutes ces mini-liens qui m'éblouissent. Ils sont le tissu de la cohérence de mon existence. Grâce à eux, je me sens en contact, branchée, à ma place. Les canaux ouverts, les sens en éveil, la conscience à l'affût. Heureuse et tranquille. Certaine d'être là, parmi l'ensemble. Extraordinaire opportunité.

7.22.2008

symphonie dissipée

Quand je regarde au loin, par la fenêtre de la pièce orange, le ciel est chargé à bloc, prêt à déverser une autre crevaison de nuages. Mes pauvres annuelles en pots à l'entrée du paradis n'arrivent pas à remonter la pente avec toute cette humidité qui n'arrive pas à prendre son envol sous des heures d'affilées de chauds rayons. Leurs fleurs ramollissent et leurs feuilles brunissent. Dieu, épargne les tomates et les autres fruits et légumes à récolter sous peu. Fais en sorte que les moissons québécoises soient d'or.

Remarquez, je ne suis pas du genre à pester contre la mauvaise température. Chaque jour amène son décor époustouflant. Du onzième particulièrement, la vue est nouvelle à chaque heure. C'est un de ces petits plaisirs faciles à saisir.

Les cieux courent à toute allure à présent et le vent pousse les clous de pluie. Un des garçons de la famille guatémaltèque, le plus jeune, vient juste de revêtir son scooter de sa housse protectrice. La lumière du jour à l'extérieur jette une atmosphère nimbée de drame et les feuillages pesants font danser souplement les branches dans l'air agité.

La nature se déchaîne et fouette les ions. L'humain que je suis s'incline et observe avec déférence. Je pourrais être si vulnérable à cette tempête. Sans abri, je me morfondrais. Bien vite, tous les os de mon corps deviendraient des glaçons sous ma peau, elle-même crispée de frissons. Mes vêtements, maigres protections, colleraient à moi, alourdis par l'absorption de toute cette trombe tombée du robinet céleste. Je rêverais d'une source de chaleur, un feu, une couverture douillette, un coin de repos au sec. Mon esprit contrerait le désespoir en se tenant occupé avec des pensées joyeuses et des visualisations de plages au sable doux et blond.

Maintenant, ce sont des rideaux de pluie qui se superposent devant mon humble regard pareils à des voiles translucides. Je suis en voyage dans la mer. Les automobiles stationnées devant les maisons ressemblent à des sous-marins abandonnés et les arbres ont des airs de récifs.

Un paragraphe plus tard, les gouttes ne forment plus que de faibles ronds dans les mares laissées derrière par la déferlante.

Une phrase plus tard, le rythme fluctue à nouveau pour reprendre du poil de la bête.

Mes joues sont moites.

7.20.2008

mystère et boule de Sisyphe

Mon dernier message blogue, quand je le rédigeais, il me paraissait inoffensif, presqu'anodin. Je vous l'ai déjà dit, quand je m'assois devant l'écran, je ne sais pas où je vais aller, ce sont les mots qui surviennent et qui prennent le dessus. À partir de ces premiers mots, j'enchaîne et je change de direction seulement si d'autres mots s'imposent plus loin. Un peu comme de l'écriture automatique. C'est ma technique d'écriture. Mes trois premiers manuscrits se sont construits de pareille façon.

Bien sûr, ces mots qui surviennent, ils puisent dans ce que je vis, ce qui a retenu mon attention, ce qui suscite mon intérêt. Mais parfois, comme pour mon dernier message, je trouve qu'ils m'amènent à révéler des choses banales, et ces fois-là, je décide de les suivre quand même là où ils m'amènent parce que cet espace blogue est là pour ça aussi, pour parler des choses banales qui ne le sont pas au final puisque chaque chose a sa place et sa raison. Et surtout, il ne faut jamais se fier aux premières impressions.

La preuve, je vais vous la donner. Pendant la rédaction de mon dernier message, quand je suis arrivée aux mots "je chie", je me suis dit: "Mais pourquoi les mots m'amènent-ils là?" Les mots, mon esprit, mon raisonnement, dans le contexte de l'écriture, ça revient au même. Mais puisqu'ils sont survenus dans un contexte et qu'ils avaient leur place, je les ai laissés là. Passant au prochain paragraphe, M. rentre dans la pièce orange, et lance, out of the blue et sans lire là où j'en suis dans mon message, que depuis qu'il a décidé de réduire sa consommation de bière - il avait pris l'habitude de se détendre en rentrant du travail en décapsulant une bouteille - il est constipé. En vieux couple que nous sommes, ce genre de déclaration ne se fait pas souvent malgré tout parce que nous sommes assez réguliers lui et moi. Mais comme je l'ai dit dans le dernier message blogue, un péristaltisme régulier est un signe de santé. M., en changeant une habitude de vie, a modifié sa routine et son corps doit retrouver son rythme, c'est tout. Rien de trop grave. Dans son cas, sa santé ne s'en portera que mieux.

Moi quand il fait sa déclaration, je ne peux m'empêcher de faire le lien avec le passage que je viens tout juste de compléter, celui où j'ai hésité. Je lui en parle et il me dit: "Mais pourquoi vas-tu écrire quelque chose comme ça?" Et je lui lis le passage en question, dans son contexte et il décrète que tout le monde qui lit mes messages connaîtront nos habitudes. Oui, quelques-unes et alors? De toute manière, une vie, une individualité, c'est un million de petites choses. Celui qui prétendra me connaître de fond en comble, eh bien, celui-là je lui donne ma peau et mon cerveau sans peur. Ce ne pourra être que mon clone, et encore. Il le sera vraiment seulement s'il possède aussi le contenu de mes tiroirs mnémoniques puisque je suis le résultat de millions de millions d'expériences, alors une telle probabilité est assez mince.

Mais je m'éloigne de cette démonstration de preuve voulant que mon dernier message blogue, somme toute ordinaire, se soit avéré de portée assez particulière. La première preuve, c'est ce petit moment bizarre entre M. et moi, le timing surtout.

La deuxième, c'est que lorsque je reviens de ma marche ce soir-là, juste après avoir complété la rédaction de mon message blogue, je me tape le nez contre une porte d'entrée fermée à clef. Je fais le tour et la porte patio est également barrée. Sur le comptoir de la cuisine, je vois qu'il y a nos plats de lunch qui tiédissent et un petit mot. Sur ce bout de papier, mes yeux peuvent reconnaître l'écriture de M., mais je n'arrive pas à décrypter le contenu. Dans mon esprit, je fais les liens suivants: les plats de lunch signifient que lorsque je suis partie, il a fait cuire les fèves jaunes comme je le lui avais demandé et peut-être qu'après s'être acquitté de cette tâche, il a décidé d'aller se promener puisqu'il semblait déçu de ne pas pouvoir m'accompagner, ce qu'il avait voulu faire, mais à vélo. Alors, je me suis assise sur les marches d'entrée du paradis et j'ai attendu. Ne portant aucune montre, jamais, j'ai estimé l'heure et j'ai attendu.

Dix minutes, vingt, trente. Aucun signe de mon amoureux. Bien sûr, à cette heure-là, j'avais déjà fait le deuxième lien avec mon dernier message blogue divaguant sur ma routine dont les deux dernières phrases étaient: "Ça me plaît ce rythme peinard. Justement, ça me dispose à l'imprévisible." Est-ce que le fait d'être embarrée dehors, c'est du domaine de l'imprévisible? La réponse, c'est oui. Depuis que nous sommes ici, ça ne m'est arrivé qu'une seule fois et cette fois-là, j'avais marché jusque chez la mère de M., qui a un double de notre clef. En arrivant là-bas, j'avais remis le cadeau d'anniversaire à Rc., l'ancien amoureux de sa mère. Ce cadeau, c'était un bâton de marche. Il avait été heureux comme un pape et moi, j'avais retrouvé mes clefs dans mon sac quand j'étais arrivée à la maison. Comme quoi la vie avait son propre plan ce jour-là, comme à tous les jours.

Assise dans l'attente, mon esprit a commencé à chercher d'autres possibilités de l'absence imprévisible de M. Rapidement, j'ai pensé que je devrais peut-être aller demander à un voisin si je pouvais emprunter leur téléphone le temps de passer un coup de fil chez la mère de M. Cette semaine, elle nous a appris qu'elle et Rc., son ancien amoureux, c'est fini. Je me suis dit que M. était peut-être avec elle, pour lui tenir compagnie. Mais il était rendu 21 h dépassées et j'ai jugé que ce serait impoli de déranger quelqu'un. J'ai aussi pensé que je réveillerais sa mère si au fond, M. n'était pas là. Alors, j'ai attendu, presque résolue à dormir sur le perron, dans l'éventualité que M. dorme chez sa mère in extremis en pensant que j'étais bien au chaud dans notre lit. Parce que, quand il est apparu au bout d'une heure dans la voiture de sa soeur, il m'a dit qu'il s'inquiétait pour moi puisque je ne répondais pas au téléphone. Dans sa tête, j'étais partie avec ma clef. C'est pour ça qu'il avait quitté précipitamment pour se rendre chez sa mère, qui ne filait vraiment pas, avec la certitude que je rentrerais à la maison, que je tomberais sur son message et que je viendrais à mon tour le rejoindre là-bas.

Deuxième preuve donc, toujours se tenir prêt pour l'imprévisible. Lien assez béton.

La troisième preuve que mon dernier message aux allures banales m'ait amené à faire des liens avec le cours des choses, c'est le lendemain qu'elle s'est matérialisée dans une conversation téléphonique avec mon amie Sr. Il y avait un mois que nous ne nous étions parlées elle et moi. J'arrive à la maison et sur le répondeur, elle m'a laissé un message avec une conclusion énigmatique. Je l'appelle sans attendre et elle m'apprend qu'elle a été en arrêt de travail toute la semaine. De fil en aiguille, elle m'explique que son corps a décidé de miner complètement son appétit et qu'elle, une gourmande de nature, a angoissé sur ce drôle de symptôme. Elle s'est fait donner plusieurs pistes pour trouver la source du problème. Je lui ai donné la mienne à rajouter dans son panier. Ma conclusion à cette réaction de son corps, c'est justement qu'elle a besoin d'établir une routine de vie saine et agréable. Elle me dit qu'elle a lu mon dernier message blogue et nous parlons de l'importance d'une routine, de ses effets sur la santé. Il est de notre responsabilité de rendre notre vie plaisante et paisible. Si nous ne le faisons pas, qui le fera pour nous? Une vie saine, comment est-ce que ça se définit? Avec nos valeurs et la manière que nous les départissons selon nos priorités. Par exemple, la santé est importante pour moi alors j'ai décidé d'accorder une place de choix à la popote et à la qualité des aliments que nous ingérons; de me sentir bien dans ma peau est important pour moi alors j'ai décidé de commencer à marcher sérieusement; d'écrire est important pour moi alors je blogue à tous les deux jours en moyenne.

Alors voilà, ce dernier message blogue, il a été comme une araignée au milieu de sa toile. Fascinant processus que cet inconscient révélé par l'écriture. C'est une des raisons qui me fait revenir ici depuis deux ans maintenant. Aujourd'hui, en ce 20 juillet 2008, j'entame ma troisième année sous vos yeux. À la nôtre!

7.17.2008

santé globale

Mon entraîneuse personnelle m'a bien requinquée. Grâce à toi ma B., j'ai décidé d'inclure dans la routine de ma journée une marche énergique. Bien sûr, je marchais auparavant régulièrement. Seulement, maintenant que ça fait un an que nous sommes déménagés sur la rive-sud, je constate que mon corps a eu plus de difficulté à se délester de son gras d'hiver une fois arrivé le printemps. Je sens aussi que mon véhicule en chair et en os avait commencé à s'encrasser, à perdre de la fluidité dans ses mouvements. À Montréal, je me déplaçais à pied pour un oui pour un non. J'avais toujours un but ou une excuse. Les distances parcourues m'étaient invisibles puisqu'entre mon lieu de départ et mon point d'arrivée, il y avait un millier de petites choses à observer en chemin, un millier de possibilités de rencontres. Avec le retour de ma soeur B. et nos longues marches pendant mes vacances, j'ai été à même de constater tout le bienfait de l'exercice simple. Le gras a fondu, l'estime a remonté la pente, le moral est bon. Définitivement quelque chose à inclure dans la routine de ma journée.

Je l'aime la routine de ma journée. La semaine, quand je travaille de jour, cette routine est pratiquement inchangée. Lever à 5 h 30, douche pour me réveiller, habits choisis la veille à enfiler, séchage de cheveux courts. Vers 5 h 47, j'allume ma petite radio syntonisée sur la Première Chaîne, je coupe les crudités et je choisis un fruit pour nos lunchs pendant que je bois mon verre de jus, je réveille M. à 6 h avec un bis, je fais griller mes rôties ou je verse mon lait d'amande dans mon bol de granola, je mange, je défèque. Oh horreur, j'ai utilisé un mot cru. Comment, elle chie? Eh bien oui les amis et je suis heureuse d'avoir un péristaltisme régulier. C'est un signe de santé.

Ainsi, je suis une personne assez ennuyeuse puisque totalement prévisible. Si quelqu'un me suivait pour quelques semaines en vivant dans mes baskets, il pourrait répertorier tous mes gestes et en venir rapidement à cette conclusion. Cette fille est totalement prévisible. Où suis-je à 7 h moins quart? Dans l'autobus en direction du travail. Que fait-elle alors? Elle lit. Que lit-elle exactement? Ah ça, ça dépend. Un roman sans doute, historique ou au propos déluré. Peut-être aussi un livre qui l'aidera à s'informer sur un sujet qui l'intéresse. Le jardinage écologique par exemple, ou encore, la nutrition.

Alors, bien que je sois une personne ennuyeuse, je varie mes lectures. Encourageant. Je varie aussi les menus le plus souvent possible. Évidemment, je ne peux réinventer la roue à tous les repas cuisinés, ni même prétendre réussir des improvisations à tout coup, mais au moins, le nombre de possibilités est assez grand pour nous permettre de ne pas répéter les mêmes plats deux semaines de suite.

Aussi, mes conversations ne sont jamais les mêmes d'une journée à l'autre à part pour les incontournables salutations ou questions bienséantes. Bonjour, comment vas-tu, as-tu bien dormi, how's everything, et puis, ta journée au travail?

Conclusion, je suis une personne à l'existence réglée ponctuée de variables agréables. Ça me plaît ce rythme peinard. Justement, ça me dispose à l'imprévisible.

7.15.2008

petits ajouts par grand coeur

Quand mon amoureux est rentré ce soir, j'étais occupée à la vaisselle dans la cuisine. Il a déposé son sac dans l'entrée, saluer Nougat le gros chat, couchée sur le plancher de la cuisine, mais dont la tête dépassait du mur de manière à ce que ce soit la seule partie de son corps qu'il voit. Mignonne petite bête poilue va.

M. vient me donner mon bis (bon d'accord, cet usage du mot n'existe pas, mais vous comprendrez que c'est un raccourci à bisou) comme toujours quand il rentre du boulot. M. est comme ça, plein de petites attentions qui n'ont rien d'un mécanisme de vieux couple. Chacun de ses bis est chaleureux et attentionné, les yeux plantés dans les miens. Nous avons aussi le bis du dodo, celui qui scelle notre petite dernière conversation de la journée, une fois la lumière éteinte et nos corps allongés dans les couvertures. Petits rituels doucets.

Monsieur se rend au panier de recyclage, porté je ne sais quoi et là, il voit un petit sac de papier rouge et blanc qui ressemble aux sacs de papier qui contiennent parfois des frites. Il me demande si j'ai mangé des frites. De toute évidence, non. Je comprends qu'il vient de voir le petit sac que j'ai hésité à mettre dans le panier de recyclage. Car ce petit sac de papier rouge et blanc, il a voyagé et vient de loin. Enfin je crois.

Je formule cette présomption parce qu'à l'intérieur du ventre du petit sac de papier rouge et blanc, il y avait une poignée d'objets-souvenirs-cadeaux que mon amie et collègue Cht. m'a ramenés de son voyage sur l'île de Chypre, puis en Jordanie. Dans le lot, il y a même un objet charmant provenant de son escale en Hollande. Je lance M. dans une course aux trésors.

Rapidement, il repère l'objet charmant aux origines hollandaises: une paire de sabots miniatures aux fonctions d'aimant de frigo. Amusé de la facilité de son premier succès, il poursuit la chasse en passant au salon. Moi, toujours debout à mon évier, je l'entends pointer de la parole la statuette de bois grossièrement sculptée dans un bois blond représentant un cavalier sur le dos d'un âne sans doute, que j'ai posée sur la table dans le coin sur laquelle une aloès étend ses griffes longues vertes, juste à côté d'une photographie de ma grand-mère, mon aïeule. Sur cette table, il y a une autre statuette longitudinale taillée dans l'ébène celle-là représentant une porteuse d'eau dans les courbes me rappellent une femme enceinte.

M. glisse un cd dans le stéréo et son regard effleure le troisième nouvel objet de la maison, mais il ne le voit pas tout de suite. C'est parce que je lui dis qu'il brûle de trouver l'objet suivant qu'il l'aperçoit. C'est un autre aimant, de forme carrée celui-là avec le mot "Jordan" de peinturé sur lui, juste à côté d'un oiseau aux traits naïfs. L'aimant est trop lourd et n'a pas voulu tenir sur le frigo. Je l'ai donc installé dans le meuble télé, appuyé sur un autre objet, près de d'autres objets de sa taille, une minuscule tortue en fil de fer et un bouddha rouge et joyeux.

Je dirige M. dans la pièce orange pour dénicher le dernier objet. Il se plante au milieu de la pièce et je m'amuse à suivre son regard qui balaie toute la pièce. Il scrute chaque meuble susceptible de recevoir ce nouveau venu. Finalement, en effectuant un 360, il tend le bras vers la petite tapisserie représentant un chameau qui se repose, les pattes repliées sous ses flancs, au pied d'une dune, que j'ai déposée dans ma bibliothèque, reposant sur les tranches de livres empilés.

Alors voilà, ils sont à leur place ces beaux objets de voyage, ces cadeaux offerts par cette femme à la générosité sans bornes. Chacun de ses objets portent ton intention Cht. Chacun d'entre eux me dit: "C'est moi Cht., ton amie." Ma maison, c'est mon paradis. Mais ça, je pense que vous le savez déjà. Mon paradis est plein d'objets plein d'amour et de souvenir. Quelle chance.

7.13.2008

souffle

Bonne fête papa. Tu aurais eu 56 ans aujourd'hui. Nous t'aurions sans doute célébrer autour d'un bon repas en famille. Assurément, ma soeur G. aurait glissé un mot à propos de son garçon dans son ventre et B. et ses enfants auraient été des soleils pour toi puisque tu ne les aurais pas vus depuis deux ans toi non plus. Je t'aurais trouvé un cadeau qui t'aurait plu, sûrement quelque chose à voir avec ton amour de la musique. Il paraît que les vinyles réapparaissent dans les bacs. Tu aurais souri en le tenant entre tes mains, celui que j'aurais choisi pour toi, sûrement celui de Black Mountain, ce groupe contemporain qui a le son des années 70 que tu aimais tant. Un de plus à ta collection.

Puisque tu es parti depuis presque vingt ans maintenant, que ton âme s'est alors séparée de ton enveloppe corporelle et que tes cendres sont retournées à la poussière de la planète, je ne fais que fabuler. Mais comme à tous tes anniversaires qui sont passés depuis le 18 février 1989, je pense à toi, à ce jour qui t'avait vu naître. Je sais que maman et tes deux autres filles penseront aussi à toi. C'est inévitable. Cette date est encerclée sur le calendrier de nos vies.

Bizarrement, cette année, j'ai beaucoup pensé à toi hier, la veille de ton jour de naissance. Vois-tu, j'ai assisté aux funérailles de la mère d'un ami de M. Cette femme était gravement malade depuis des années, mais comme sa fille l'a dit pendant le service, elle était une battante au coeur rempli de joie et de générosité. Elle a tenu bon longtemps face à la maladie. Al., l'ami de M., a interprété une pièce de Radiohead en grattant la guitare sèche et en chantant cette plainte déchirante. Quand il a terminé, j'ai chuchoté à M. qu'Al. est extraordinaire, ce que je pense depuis que je le connais. Sa mère avait tout organisé: la cérémonie, les chansons à propos qui ont ponctué le service, un mot d'adieu à l'entourage, jusqu'au choix du buffet servi après. Elle a même pensé à ce que ses deux enfants reçoivent chacun un peu de ses cendres, tassées dans une colombe de verre taillé, un objet discret, tenant dans la paume d'une main. Une belle pensée.

Quand Al. nous a raconté que la veille, il a dû serré les mains de gens qu'il ne connaissaient pas du tout, mais qui étaient venus lui transmettre leurs condoléances, j'ai repensé aux trois jours où nous avions dû nous tenir à côté de ton cercueil ouvert afin que le village en entier te voit une dernière fois, toi le rebelle qui les effrayaient sans doute un peu par ta différence. Quand Al. nous a raconté comment il a appris que sa mère a vécu ses dernières heures, je t'ai revu alité à l'hôpital tes derniers jours, cloué là par la paralysie et tes autres blessures causées par l'accident. Quand la soeur d'Al., Dm., a lu son mot à sa mère à l'église et qu'elle a éclaté en sanglots, je me suis souvenu du moment terrible où ton cercueil a été emporté par le cortège pour la dernière fois, de mes cris de panique.

Que faire d'autre que de prendre Al. dans mes bras, de l'écouter et de lui transmettre des mots d'encouragement? Le temps passe, tu verras, la douleur s'estompera, son image dans ta tête aussi malheureusement, mais ta mère sera toujours là. Mon père est toujours là. Tu es toujours là, toi qui a complété le cycle de ta vie pour te fondre à l'éternel. Bonne fête papa.

7.12.2008

je le veux

Bon, je l'avoue, j'ai flanché. J'ai pleuré à nouveau quand j'ai appris qu'une nouvelle grossesse était en chemin. Ce sont mes anciens voisins, mes charmants anciens voisins, ces êtres débordants de vie et d'intelligence du coeur et de l'esprit qui attendent un bébé. Pour eux, c'est arrivé par accident, de manière inattendue donc. Je suis coupable de m'être laissée aller à l'apitoiement encore une fois. C'est pour ça que je m'en veux. J'aurais aimé que la joie soit la seule émotion qui me submerge, mais non, il m'a fallu accueillir honteusement le sentiment d'envie, encore une fois. C'est ça la noirceur qui me ronge le coeur, c'est elle la bête avec laquelle je me bats depuis des mois.

Cela étant dit, c'est passé. Je me suis abandonnée à ma petitesse et maintenant, je me suis raffermie l'esprit. Je sais que tout va bien, que j'ai quelque chose à apprendre de tout cela, que notre chemin à M. et moi est différent tout simplement. Je le sais, mais parfois j'ai mal. Je ne suis qu'humaine après tout.

Humaine et en santé. Je remercie le ciel pour cette machine qui tient bon, malgré les peurs qui me font douter en tentant de m'écarter de Dieu. Mon corps passe au travers mes tempêtes intérieures sans trop de dommages, à mon grand soulagement.

Étrangement, dans cette lecture dans laquelle je suis plongée, World without end de Ken Follett, il y a un prieuré et donc des moines. Quand une tragédie survient, ceux-ci répondent souvent laconiquement: "If it's God's will..." Belle ironie tout de même de me retrouver face à des personnages qui mettent en scène différentes parts de moi. Parce que oui cette part m'habite, cette foi presque fataliste du "si Dieu le veut", mais il y a aussi d'autres parts. Dans le livre, il y a une jeune femme marginale par sa pensée avant-gardiste. Elle croit que la foi aveugle n'est pas tout, que l'on peut aussi trouver des réponses aux questions les plus ardues, qu'il suffit de s'enquérir en fonçant. Cette part m'habite aussi. Comme je l'ai déjà dit, je suis plutôt de ceux qui croient au mariage de la foi et de la science.

Je suis une créature du tout, dotée d'une conscience, d'une machine à penser et à raisonner. Humblement, je peux tenter d'élucider les noeuds de l'existence pour en récolter une tranquillité d'esprit. N'est-ce pas que Dieu nous a outillé pour cela? Plus encore, je crois que cette prérogative nous responsabilise, que nous nous devons d'aller au bout de nous-mêmes. Pour cela, il nous faut traverser des déserts et gravir des montagnes, il nous faut nous asseoir sur la crête du monde et observer, il nous faut nous rafraîchir dans une rivière discrète et boire son eau cristalline.

Plus jeune, j'ai trouvé un mot pour cet état qui anime ceux qui ne cessent de voir le mauvais côté des choses, comme s'ils sont le centre d'un univers qui s'acharne contre eux. J'ai appelé cela la victimite. Aujourd'hui, je réalise qu'il faut du courage pour ne pas céder à cet état, de la force puisée à des sources qu'il faut d'abord débusquer. Plus le temps passe, plus les distractions s'épuisent et plus nos bêtes nous surprennent rapidement au détour. En tout cas, c'est comme ça pour moi. Les batailles sont rapprochées. Il faut me ressourcer à la vitesse d'une supernova. Grâce à Dieu, j'ai des alliés du tonnerre. Ma famille, mes amis, mon amoureux. Et moi.

7.10.2008

lui et moi

Il existe ce que l'on appelle un désert spirituel. C'est ce moment dans la vie du croyant où la prière se perd. Je vous ai déjà dit que j'utilisais le mot Dieu. Dieu, ce tout universel, cet ensemble d'une perfection à couper le souffle, ce fondement de l'axiome "chaque chose arrive pour une raison". Dieu. Parce qu'il y a eu trop de coïncidences dans ma vie, trop d'événements où il m'a été impossible de douter ni de les attribuer au pur hasard. Quand mon intuition et le cours des choses se synchronisent de façon hallucinante, il m'est difficile de fermer les yeux. Alors Dieu. Parce que comme je l'ai déjà dit, ce n'est qu'un mot. À la base, ce n'est qu'un terme utiliser pour distinguer quelque chose de toutes les autres. Dieu, ce n'est pas une chaise. Une chaise, c'est un siège posé sur quatre pattes. Dieu donc.

Je vous ai aussi déjà dit que pour moi, la prière est une forme de méditation, une concentration de l'esprit sur une idée qu'il faut préciser, qu'elle prenne source dans un sentiment de reconnaissance ou de besoin. Quand l'on s'adresse à l'univers, il faut savoir cristalliser le message. Le coeur pur n'a pas de souci. La prière fuse et ne s'étiole pas. Dans un coeur comme le mien, où la noirceur a aussi fait son nid, il faut livrer une bataille, pendant la prière elle-même. Je dois mobiliser ma force pour que la prière s'envole achevée d'abord. Réussir cela est déjà une première victoire parce que malheureusement mon esprit est volage et se désintéresse rapidement de tout ce qui est obligeant. Mais comme il faut récurer sa demeure de temps en temps, il me faut prier pour centrer mon énergie et la manifester dans un acte volontaire. Incarner mon existence consciemment. Remercier, espérer, constater, et oui, demander.

En priant, je demande souvent la force, celle de continuer dans ce monde où il n'est pas toujours facile de poursuivre sur la voie en toute confiance, celle de ne pas me laisser aller à mes faiblesses, celles de l'ego surtout, de mon petit moi, de ma petite personne qui égraine ses mousses de nombril. Je demande aussi à Dieu d'aider mon prochain. Quand je croise quelqu'un qui semble confus ou perdu par exemple, ou encore, quand je rencontre une femme ou un homme qui n'a pas un corps tout à fait fonctionnel. Les handicaps de tous genres m'interpellent à tout coup. Mais bien souvent, je demande. Je focalise sur mes aspirations et je m'embourbe dans ma petite vie. Petite vie, petite misère. Loin de moi l'idée de me diminuer, mais tout à la fois, je sais que je ne suis qu'un grain de sable sur une plage qui s'étend à l'infini, qu'une goutte d'eau dans l'immensité des océans. Alors oui, petite vie.

Qu'est-ce qui a changé dans cette petite vie qu'est la mienne pour que j'en vienne à me demander si je suis dans un désert spirituel? Quand j'y pense, pendant toutes ces années à marcher avec Dieu, je crois que je n'ai jamais été aussi exigeante. Peut-être suis-je la seule responsable de mon petit malheur? Bien sûr, je sais bien qu'il ne faut rien attendre, laisser aller donc, pour tout récolter au final. D'un autre côté, certains enseignements encouragent aussi l'être à tendre vers des buts, des objectifs, avec détermination, pour devenir un acteur de sa propre existence. Dans les derniers mois, comme vous le savez, j'ai tendu vers mes rêves, j'ai formulé mes demandes, j'ai prié à la tonne, concentré mon esprit sur mes requêtes. Combien de larmes se sont écoulées dans le processus? Une tonne aussi. Une véritable sueur de l'âme meurtrie. Pourquoi Dieu ne répond-il pas à mes prières? Pourquoi me fais-tu languir? Suis-je à ce point une enfant gâtée?

Non, bien sûr que non. Je ne suis qu'une humaine centrée sur elle-même et sa petite misère. L'univers a d'autres chats à fouetter. Seulement, ce qui me blesse pendant ce temps d'attente, c'est que j'ai l'étrange sensation que Dieu me nargue, que tu te fous de ma gueule. Les événements qui s'enchaînent me laissent devant l'épreuve du détachement. J'ai beau tenté de me la jouer cool et de croire que tout est pour le mieux en me marquant l'esprit au fer rouge, Dieu me pique à vif comme pour me dire: es-tu vraiment dans l'abandon? ne crois-tu pas que tu frimes plutôt?

Et puis, j'aimerais me mettre en boule dans un coin et me fermer les yeux pour embrasser le déni pour ne plus croire, ne plus me souvenir que Dieu existe, ne plus me rappeler que je suis dans toutes choses et que l'ensemble carbure par interaction de ses composantes, que le cours de chaque chose influe sur les cours de toutes les autres. Il y a des années maintenant, j'ai écrit:
Il faudrait que j’apprenne le détachement. Malgré tout, me tourner vers moi et me regarder en face. Mais ce dont j’ai envie, c’est de me cracher au visage ou de courir me terrer en quelque lieu où personne ne pourrait jouer à Dieu. Mais partout où j’irais, j’y serais.

Heureusement, cette sensation de désert n'est pas toute-puissante. Il me reste beaucoup de bonheurs à laper avec parcimonie. Ce désert, ce n'est qu'une partie de ma trame de vie. Certes, il me taraude, mais devant lui s'élèvent de sublimes oasis à la végétation luxuriante où je peux me restaurer l'instant de revenir à la raison qui veut que la quête soit le principe de vie.

7.06.2008

jour nouveau

Un autre rêve bizarre dont je me réveille à peine.

Je suis dans un aéroport au Japon je crois et soudainement, on nous apprend qu'on ne peut pas quitter à cause d'un proche cataclysme. Je sais que je n'ai pas besoin d'avion, alors avec d'autres qui veulent tenter le coup, je fuis vers une pièce où aucun garde armé ne nous suit et nous trouvons finalement une fenêtre qui ouvre sur une chute de plus de vingts mètres. Mais je sais voler et je me lance en gardant les bras un peu décollés de mon corps droit comme une flèche, le visage tendu, l'esprit déterminé. Dans mon vol, après avoir survolé l'aéroport, je vois le paysage. Sous moi, un fleuve s'allonge et je longe les berges aux teintes automnales pour pouvoir éventuellement me situer. Dans les airs, j'aperçois une petite structure métallique volant grâce à parachute ouvert la surplombant. En passant tout près de l'objet, je réalise qu'une enfant Asiatique d'à peine six ans, nue, qui semble avoir un retard mental, s'ébroue sur l'engin volant artisanal. Des vêtements pêle-mêle sont accrochées à la structure et je ne peux m'empêcher de penser qu'ils ont appartenu à la mère de l'enfant. Je décide d'amortir l'appareil pour le poser et calmer la petite, mais une fois la structure immobilisée sur le sol marécageux, la petite n'y est plus, comme si elle n'y a jamais été. Seuls les vêtements s'accrochent aux barres de métal maintenant plongées dans une boue herbeuse. Je reprends mon envol et je plane, je plane à des hauteurs impressionnantes, le nez dans le vent, l'esprit déterminé, mais préoccupé par cette annonce de fin du monde. Un mélange d'urgence et de fatalisme m'animent. Je me dis que si je m'éloigne le plus possible du coeur du désastre, je peux peut-être survivre et poursuivre l'espèce. Ainsi, quand j'aperçois un groupe d'individus au milieu de nulle part qui semblent désoeuvrés, je me pose près d'eux pour les encourager à fuir tout comme moi. Je me souviens de parler de la beauté du monde qui se renouvelle à tous les jours et du voyage quotidien que cela représente. Certains d'entre eux ont déjà volé, d'autres non, dont une femme à l'air triste d'une quarantaine d'années aux longs cheveux blonds. Je lui explique qu'il suffit de décoller un peu les bras de son corps bien droit, de tendre le cou et le visage vers le ciel et de faire un petit saut tout en pensant à voler. Nos pieds lèvent de Terre, nos corps penchent pour trouver leur position parallèle par rapport à la planète et nos mains font de légers tourniquets pour prendre de la hauteur. Nous sommes une dizaine et j'ai plus de difficulté à prendre de l'altitude. Je pense au fait que nous serons plus nombreux pour préserver l'espèce. La femme est tout près de moi, derrière moi. Je dis aux autres qu'il nous faut monter encore plus haut, plus encore que la grue immense que nous voyons venir devant nous. J'ignore si c'est le nombre qui crée cette lourdeur, mais je ne suis pas aussi libre de m'élever qu'auparavant, dans mon vol solo. À un moment, quand enfin nous montons un peu plus, des câbles apparaissent, tendus sur plusieurs mètres. Il nous faut les éviter, surtout que nous volons nombreux ensemble et que les épais fils qui déchirent l'air à notre hauteur arrivent à toute vitesse vu notre rythme soutenu. Rapidement, des pylônes immenses apparaissent à leur tour. J'ai l'impression que c'est le squelette d'un remonte-pente qui semble foncer sur nous dangereux quand en fait, c'est nous qui en volant nous précipitons vers lui. J'appréhende l'aisance de manoeuvre de la femme que je sens anxieuse près de moi et j'indique au groupe d'atterrir. Quand je pose pied, je vois la femme blonde manquer son atterrissage, son menton grattant l'herbe d'une butte. Le groupe est atterri près d'un homme qui ressemble étrangement à Antoine Bertrand, l'acteur Québécois incarnant Junior dans Les Bougons. Il a le teint poisseux, les cheveux gras, et dans sa bouche blanche, plus une seule dent, seulement des gencives malades. Il est debout à côté de ce qui ressemble à une cabine téléphonique plantée là, sur cette pente montante, au pied des piliers gigantesques. L'homme nous fait signe d'aller à côté, plus loin, où j'imagine il y a un autre appareil.

Je me réveille. Ce n'est donc pas aujourd'hui que je saurai si l'espèce s'en tire.

7.05.2008

Demain, je repars pour le nord passer une autre semaine avec ma soeur, ses enfants et maman. Une autre semaine donc à ne pas venir ici, vous visiter et ouvrir mon esprit au gré de son inspiration.

Entre-temps, je lézarde. Le soleil semble m'avoir entendue et il se fait jaune et éclatant pour l'été que l'on veut lent et long.

Hier, je me suis fait plaisir. J'ai sauté dans Jasmine la Fit et j'ai relié plusieurs points d'un itinéraire que j'avais au préalable tracé dans ma tête. Je suis comme ça. J'aime savoir où je m'en vais et comment j'irai. Après un premier arrêt à la Caisse, j'arrive donc chez Ares, cette grande surface dédiée à l'art culinaire. Dans les rangées de moules, marmites, ustensiles, verreries et fontes, j'ai tenté de me contenir afin de profiter de mon certificat cadeau offert par ma soeur G. lors de mon assermentation sans excéder ce montant. Il faut dire que je suis une personne pratique et que j'achète surtout ce dont j'ai besoin. Alors, mon idée principale, c'était de dénicher une poêle cannelée pour les grillades de poissons, légumes et viandes, avec un manche pouvant se détacher pour l'enfournement.

Mais vous savez, la vie étant ce qu'elle est parfois, je suis repartie du magasin avec un outil pour les grillades, mais d'un autre type. Voyez-vous, tout a commencé lorsque je me suis mis à fouiller le web hier matin, juste après le départ de mon amoureux, à la recherche d'une bonne recette de truite grillée. M. m'a récemment mentionné un reportage télé sur lequel il était tombé en mon absence qui parlait de la consommation responsable et durable des poissons. Par exemple, la truite arc-en-ciel, un produit local, est plus écologique comme choix de consommation que le fameux saumon de l'Atlantique qui peut venir d'aussi loin que les côtes européennes. N'ayant jamais préparé de truite auparavant, je me suis imaginée la faire saisir sur une poêle cannelée d'abord pour ensuite compléter sa cuisson au four. En furetant sur le net, je suis arrivée sur un blogue de cuisine où l'auteure exprimait sa joie de s'être procuré un gril, cet appareil presseur qui assure une cuisson rapide des aliments par le contact de deux éléments chauffants. Hmm. L'idée a fait son petit bonhomme de chemin et c'est ainsi que je me retrouvée dans la rangée des dits grils, accompagnée d'une employée de chez Ares totalement convertie à leur utilisation régulière. La femme, une quinquagénaire réservée, ne tarissait d'éloges pour cet appareil qui avait carrément détrôné son barbecue. Flairant tout le potentiel de l'outil électrique et sa polyvalence, j'ai décidé de laisser tomber l'idée de la poêle, surtout qu'il n'y avait pas le modèle que je recherchais. À la caisse, deux autres employées m'ont fait l'éloge du gril, emballées par sa facilité d'utilisation et d'entretien. Je suis donc repartie avec mon nouveau bébé, impatiente de faire griller les truites du souper.

Ainsi, M. et moi avons partagé un repas sublime en tête-à-tête. Au menu, truite arc-en-ciel entière, farcie de thym frais, d'huile d'olive, d'ail en chemise, d'une feuille de laurier et de rondelles de citron, accompagnée d'une salade verte composée de laitue frisée rouge, d'épinards tendres, de roquette et d'oignons verts. Un petit verre de blanc bien frais pour agrémenter cette table toute simple et voilà, nous passâmes un agréable moment à deux.

En terminant mes courses hier, en prévision du repas du soir, je me suis sentie comblée. Avec mon pain frais et mes fraises du Québec dans le coffre de la voiture, du temps devant moi, la belle température, la soirée si près auprès de mon amoureux, je me suis sentie privilégiée, en synchronisme, prête à tout parce qu'alerte. La vie, c'est maintenant. La vie, merci.

7.04.2008

religare

Mon amoureux est sous le jet et j'ai tellement bien dormi, les fesses collées contre lui. Je suis de retour au paradis pour quelques jours, histoire de passer un peu de temps dans mon environnement avec lui et le gros chat Nougat. Avec moi aussi.

C'est maman qui a gardé les enfants hier. Ma soeur B. est sortie avec deux amies qu'elle n'avait pas vues depuis deux ans. Un gros sac à dos greffé à mes épaules, je suis rentrée sur la rive-sud après plusieurs jours passés dans le nord. B. et moi, nous nous sommes séparées au coin de rues du onzième à Montréal, cette ville-nombril de la région. Elle allait retrouver GM, sa meilleure amie, après des tonnes de conversations téléphoniques échangées. Elles se sont sans doute prises dans leurs bras, l'une et l'autre. Peut-être ont-elles versé une larme de joie. Leur lien est beau.

Dans l'autobus, à mon retour, je me suis plongée dans la lecture d'un bouquin que maman m'a passé. Cette brique rédigée en anglais est la suite des Piliers de la Terre de Ken Follett que j'ai dévoré il y a environ dix ans de cela. Dès les premières pages, je me retrouve plongée à une autre époque, là où l'humain vivait dans la rusticité et s'en tenait au code moral dicté par un mélange de religion et de superstition.

Avant de partir de la campagne de maman, B. et moi, nous avons gravé un autre épisode drolatique à notre histoire à deux. Comme je vous l'ai déjà dit, B. et moi, nous sommes ensemble depuis toujours. Bien sûr, nous sommes soeurs, c'est normal penserez-vous. Oui, c'est juste. Seulement B. et moi, nous nous sommes retrouvées dans la même chambre enfant et nous avons encore partagé la même à l'adolescence malgré les réaménagements de la famille. À cette époque de notre vie, maman s'était remariée et avec son deuxième mari, nous sont venus deux demi-frères. Quand des années plus tard le mariage a éclaté et que notre noyau s'est retrouvé en mille miettes, eh bien B. et moi, à peine rendues à l'âge de la majorité, nous nous sommes retrouvées à partager notre premier appartement et ainsi de suite jusqu'à ce que nous nous séparions pour nous établir avec nos amoureux respectifs quelques années plus tard.

B. adore marcher. Elle dit que c'est moi qui lui a donné le goût à force de sillonner les rues de la métropole à l'époque où nous partagions notre troisième appartement ensemble, celui de la rue Fabre. B. marche beaucoup. À Hong Kong, où elle habite maintenant et pour un autre deux ans, elle grimpe la montagne à l'arrière de la tour dans laquelle ils sont installés. Elle m'a parlé des sentiers bien aménagés et de la forêt aux airs de végétation des Tropiques hébergeant des oiseaux exotiques semblables à des perroquets blancs. À tous les matins, elle gravit le dos de cette vague terrestre et elle rencontre ses réguliers. Elle m'a dit qu'il y a un couple âgé avec qui elle a jasé un peu qui fait ce trajet ensemble depuis 36 ans, à tous les jours. Il paraît qu'il y a aussi une vieille femme qui la salue toujours et lui parle en cantonnais, ce que B. ne comprend pas ni ne parle.

Tout ça pour dire que de mon côté, depuis que je suis installée au paradis, les kilomètres invisibles à passer du point A au point B dans la ville sont derrière moi. Bien sûr, je marche encore sur l'heure du dîner au onzième, mais ce n'est pas suffisant pour garder la forme. Alors quand B. part pour faire sa marche et que je l'accompagne, je lui dis qu'elle est mon entraîneuse personnelle. De fait, ses circuits sont des défis en soi. Les premières fois, elle m'a fait faire le tour du Lac des Chats qui cumule environ sept kilomètres et qui s'accomplit en une heure trente. Mais cette semaine, elle a monté la barre d'une coche lorsque nous sommes parties et qu'elle m'a dit que nous allions faire la côte. La côte? Laquelle? Dans ce coin de campagne, le route est sinueuse et le ruban d'asphalte ressemble au tracé des rails d'une montagne russe. Mais quand nous sommes arrivées au bas de LA côte et qu'elle m'a annoncé que maintenant nous devions la remonter, j'ai bien failli mourir là. Même une voiture a de la difficulté à parvenir au sommet sans manquer de jus à un certain point. Cette côte est hard core, infernale. Elle n'en finit plus de monter. En hiver, elle est périlleuse à emprunter. Eh bien, nous l'avons montée, un pas à la fois, une respiration brûlante à la fois, un muscle contracté à la fois. Ce jour-là, nous avons abattu douze kilomètres, incluant cette ascension titanesque. Nous n'avions pas amené d'eau et pendant la marche nous avons blagué en chantonnant Le goût de l'eau. Mais à deux moments il m'a fallu m'arrêter pour boire à des sources jaillissant de la forêt. La première fois, l'eau avait un arrière-goût métallique qui m'a rebutée et je ne me suis qu'aspergé le cou et le visage avec, mais la seconde fois, vers la fin du périple, j'ai bu une eau au goût franc, clair, véritable liquide désaltérant et léger. B. n'a pas eu besoin d'une seule goutte. Elle est mon yogi.

Cependant, l'épisode en question qui demeurera gravée dans notre histoire à deux, c'est hier matin qu'il a eu lieu. Quand nous avons quitté la maison, il pleuvait un peu. Nous avons donc enfilé nos coquilles imperméabilisées et glisser nos capuchons sur notre tête. B. a blagué sur le fait que j'étais un cardinal, vu mon manteau rouge, et elle un geai bleu, vu son manteau bleu. Ainsi, tout en parlant tranquillement, nous nous sommes redirigées vers la côte infernale. En cours de route, la pluie ne cessait de tomber et mon manteau commençait à laisser passer l'eau, surtout sur les bras. Au début, j'ai trouvé ça rafraîchissant et ainsi, nous avons dévalé l'inclinaison de la mort. Rendues au bas de la pente interminable, les cieux se sont déchirés et le débit des gouttes s'est précipité. Nous devions remontées et poursuivre malgré l'eau s'infiltrant partout dans nos vêtements. B. a commencé par sentir ses chaussures céder et l'eau se glisser entre ses orteils. Après, une coulisse entre ses seins a confirmé que nos manteaux étaient plus que détrempés. Mes pantalons d'entraînement, alourdis par l'eau, se sont plaqués à mes cuisses et à environ un kilomètre de la maison, j'ai senti l'eau arrivée à mon entre-jambe. Quand nous sommes enfin arrivées chez maman, nous avons tordu tous nos vêtements et nous avons pris une douche chaude. Des heures plus tard, lorsque nous arrivions en ville, B. disait qu'elle avait encore froid.

Des épisodes comme celui-là, nous en avons quelques-uns en banque elle et moi. Quand nous nous retrouvons, nous en parlons parfois, comme pour nous rappeler par où nous sommes passées. C'est un peu ça la tradition orale. Chaque lien significatif entretient un récit. Ces mots échangés, ces histoires parfois embellies ou exagérées, ils existent pour consolider les bases de la relation. Bâtir l'attachement, ça prend des années. Ça prend aussi toute une gamme d'émotions et de qualités. S'ouvrir et se lier, c'est grandir et grandir, ça demande d'aller vers l'Amour.

Je t'aime ma B.