orphelins de l'Éden

10.30.2006

fringale

J'ai eu l'idée de plantain frit quelque part pendant la matinée. Du onzième, mon esprit s'envole parfois pour voyager sur les ombres parfaites des immeubles et les coloris des cieux capricieux. Il butine d'une pensée à l'autre, sans s'attarder, véritable pélerin repu des liens spontanés. Alors, tranquillement, j'ai imaginé mon itinéraire de l'après-travail et l'avant-soirée. Direction marché Jean-Talon. Besoin d'huile d'olive, de tomates en dés, de brownies, de crudités, de fruits, de croustilles poivre et sel, de pain et de plantain.

Mercredi dernier, en passant par le marché, je l'ai vu en mutation. Les murs étaient en train de pousser et les marchands, de se réajuster à cet espace des prochains mois. Aujourd'hui, les portes battantes marquent les entrées et les sorties du corps replié du géant qui s'adapte aux saisons.

Chez Louis, j'ai demandé pour du plantain. Tout de même, c'est sous cette enseigne que plusieurs chefs cuisiniers montréalais viennent s'approvisionner. Nenni, le commis me recommande d'aller chez Sami ou Ultrafruits. De Sami, j'en garde un seul souvenir, catégorie expérience n'ayant pas à se répéter à tout prix. Je revois les planchers sales, les gens avides de combats des prix, de montagnes de fruits et légumes de qualité correcte, sans plus. Chez Ultrafruits, pas de plantain. Direction Sami.

Je rentre dans ce lieu multiculturel par excellence. Ici, toutes les cuisines du monde y trouvent leur compte. J'avance à l'aveuglette dans ce lieu saturé de néon et de couleurs. Au bout d'une allée, un panier émerge devant moi avec dedans - en plein dans le mile - du plantain vert. La dame Haitienne à qui je demande me répond qu'il y en a du mûr par là. Un coup parti, je la questionne sur la cuisson du fruit-légume. Elle me conseille d'ébouillanter les rondelles dans l'eau salée, de les frire dans une huile chaude, de les replonger une seconde fois dans une eau salée et de les refrire pour s'assurer leur croustillant.

Quand M. arrive, les rondelles brunissent dans la poêle. Je lui apprends que c'est en Afrique que j'ai connu ce petit plaisir culinaire. C'est sucré qu'il décrète lorsqu'il en mange une. Je suis ravie. Il est simple de se faire plaisir lorsque l'on sait ce que l'on veut.

10.28.2006

réseau

Un petit mot sur le fameux Réseau Contact qui célèbre son dixième anniversaire - eh oui! déjà dix années de cyber rencontres. Je connais plusieurs utilisateurs passés, présents et peut-être à venir, comment savoir ce que la vie nous réserve?

De nos jours, où rencontrer quelqu'un? Dans un bar, c'est probable, mais est-ce durable? En fait, je connais un couple très heureux d'êtres rigolos qui se sont reconnus sur la piste du El Zazz, il y a maintenant sept ans, un soir où mon amie et moi sortions pour dissiper mon nuage noir. Vous comprendrez que ce soir-là, je suis rentrée seule. Je me souviens d'un poème de fille triste écrit en attendant la 45 Papineau, assise sur la chaîne de trottoir.

Rencontrer dans son milieu de travail? Possible, mais situation minée. L'idylle naîtra dans le regard des collègues et si ça flanche, ça devient infernal.

Rencontrer dans une soirée dansante? Pourquoi pas? Toutes les astuces sont valables. Au moins, comparativement à l'écran d'ordinateur, il y a possibilité de jauger live la chimie des célibataires désireux. Il y aussi des soirées cuisine où tous les protagonistes partagent cet intérêt ET sont célibataires.

Ma soeur G. a navigué sur le Réseau parce qu'elle voulait essayer ce moyen, aussi crédible que les autres, pourquoi pas? Elle a eu toutes sortes d'expériences de rencontres avec des hommes: menteur - il était marié et elle l'a su quelques mois plus tard parce que sa femme lui a téléphonée - , vulgaire - au premier déjeuner partager dans un lieu public, il l'a invitée à participer à un trip à trois -, désespéré - il l'a suivie dans le stationnement après le premier café siroté dans un lieu public et lui a quêté un baiser de ses lèvres humides; c'est lui aussi qui lui a écrit le lendemain qu'il aimerait être une larme pour mourir sur ses lèvres. Disons seulement que G. a été vite épuisée de tant de fausses pistes.

Et pourtant, il y aussi de bons candidats qui affichent leur profil sur le Réseau. Ma mère a été une abonnée qui a même recommandé à une de ses propres amies de rencontrer un homme avec qui elle n'avait pas ressenti le petit oumpf!, mais qui, prévoyait-elle, pourrait peut-être le provoquer chez elle. Elle avait raison. Les deux âmes esseulées se sont unies. Et depuis quelques semaines maintenant, ma mère fréquente un homme qui la transforme en femme comblée. Elles existent donc les rencontres qui évoluent en relation.

Ce que je trouve dur à propos du Réseau, ce sont les blessures de l'estime. Plusieurs déceptions sont parfois lourdes à évacuer surtout lorsque le découragement s'installe peu à peu en grugeant l'espoir de rencontrer enfin quelqu'un de bien, fait pour nous.

J'avais suggéré à ma soeur G. d'aller sur St-Denis un beau jour pour aborder de candidats potentiels. Elle n'a jamais voulu venir. Je suis persuadée que l'expérience aurait été intéressante. Pourquoi pas, tous les moyens sont valables quand on ne veut plus de la vie de solitaire. Il faut prendre le taureau par les cornes parfois parce que même si la vie nous apporte tout au bon moment, il n'est pas interdit de lui donner un coup de pouce.

Je salue tous les êtres qui cherchent ce bonheur à deux. Et vous souhaite d'ici là le bonheur d'être avec vous-mêmes.

10.25.2006

nougat le gros chat




C'est une chatte, mais j'ai toujours dit qu'elle était mon chat. À ce temps-ci de l'année, pendant cette dernière dizaine de jours du mois d'octobre, je lui souhaite un joyeux anniversaire. Elle a onze ans. Je ne sais pas quel jour elle est née, mais je me souviens très bien d'elle avec ses quatre frères courant en meute minuscule d'un bout à l'autre de l'appartement que je partageais avec B. à l'époque. B. et son mec étant partis perfectionner leur carrière, je me retrouvais avec cinq chatons et deux chattes appartenant au mec de B., et le carlin de B., dans un quatre et demi.

Ali, la maman de Nougat, parlait beaucoup. Titi, la fille d'Ali née de sa première portée, avait un air hautain. Nougat est noire - je sais, le nougat, c'est blanc et à l'époque, je l'ai confondu avec la caroube, mais plus tard, j'ai appris qu'il existait du nougat italien noir, alors voila tout s'arrange - et son frère jumeau, Tamtam, a vécu dans une famille à qui je l'avais offert parce qu'ils venaient de perdre leur vieux chat batailleur. Tamtam est mort quelques années plus tard, frappé par une voiture un matin qu'il voulait traverser pour aller au parc. Deux autres chatons ressemblaient à de petites vaches. C'est un d'eux que j'ai voulu garder d'abord. Lorsque Nougat était âgée de cinq semaines, j'ai apporté les deux jumeaux noireaux à l'animalerie pour qu'ils les vendent. Là-bas, on m'a retournée chez moi avec les deux petits à qui il manquait deux semaines pour être sevrés m'a-t-on dit. Ce coup du destin m'a permis de choisir de garder Nougat, une chatte, plutôt qu'une petite vache matou. Le dernier des quintuplés étaient tigré comme sa grande soeur Ali.

Nougat m'a suivie partout depuis. Elle a passé ses années adolescentes dans mon studio de la rue St-Denis. Là, nous étions l'une avec l'autre, seules ensemble. À cette époque, je l'ai fait opérer parce que ses chaleurs ont commencé. Elle beuglait pendant des heures et creusait sa croupe, la queue dans les airs dans l'espoir qu'un matou viendrait la libérer de cet instinct qui la possédait de plein fouet. C'est dans ce logement aussi qu'elle a mangé des coups de griffe sur le museau parce qu'elle s'était aventurée sur le balcon arrière, qui semble-t-il, appartenait à un gros matou blanc qui n'a pas aimé voir son territoire empiété. Nous avons eu une bonne frousse et à partir de ce moment, elle est devenu un chat d'intérieur.

Nougat a connu d'autres chats avec qui elle a vécus, entre autres Zel (comme la marque générique), qu'une amie avait ramassée et apportée chez moi, dans mon studio, et puis, abandonnée. Dans mon autre appartement, celui de ma colocation avec des étrangers qui sont devenus des amis, Cth. a adopté Zel. La dernière fois que j'ai vu Cth, il y a deux ans environ, Zel avait grossi et paraissait heureuse.

Nougat a aussi connu Maya, le carlin de B. Lorsqu'elle s'est retrouvée seule après des années de colocation avec d'autres bêtes, elle a commencé à se lécher le bedon et les pattes, tellement qu'après plusieurs consultations chez le vétérinaire et quelques tentatives de changement de nourriture, l'habitude est restée et a été classée inclassable. Je crois qu'elle a commencé à se lécher par ennui et qu'elle continue maintenant par accoutumance. Nougat ressemble à un mouton que ma mère dit, avec ses pattes rasés et son bedon pendouillant.

Mais Nougat, c'est le plus belle de toutes les chatounettes du monde. Elle est une présence extraordinaire. Elle se déplace avec nous, d'une pièce à l'autre. Et sinon, c'est qu'elle se repose sur notre lit ou sous la couette s'il fait froid. Elle sait exactement à quelle heure elle mange. Elle se plante devant son bol ou vient nous interpeler jusqu'à ce que nous lui donnions sa part de nourriture molle - en après-midi - ou sèche - à 20 h. Des fois, elle s'asseoit et nous donne des coups de pattes lorsque nous passons, pour nous rappeler à l'ordre de ses besoins.

Nougat adore M. et M. adore Nougat. Ils dorment collés malgré les allergies de M. et Nougat miaule a en fendre l'âme lorsque M. quitte parfois. M. joue avec Nougat. Elle est une chasseresse de plumeaux ou de chaîne que M. s'amuse à faire tournoyer autour d'elle. Elle bouge alors avec une rapidité impressionante et une agilité précise.

Nougat mord parfois lorsque nous la flattons mécaniquement. Elle sent alors que nous ne lui portons pas assez d'attention et elle rentre ses canines dans notre chair pour bondir loin de nous tout de suite après.

Nougat, c'est mon amie. Une amie précieuse et fidèle. C'est un être fier et indépendant, sociable et câlin. Nougat, c'est une grosse partie de moi.

10.24.2006

logos

Pendant que les pois chiches se réhydratent dans une marmite et que la cuve de ma lessiveuse tourbillone à cent mille à l'heure pour essorer ma brassée de blanc et que mes plantes absorbent l'eau que je viens de leur donner parce que c'est mardi matin, je viens m'asseoir pour écrire. Je ne sais pas où allé aujourd'hui avec mes mots qui se plaisent habituellement à décrire des détails du quotidien pour créer des histoires, des tranches de vie. Pas spécialement spéciale ma vie, à part le fait que personne d'autre ne la vit et que je suis entourée de dizaines de personnes qui m'aident à rire et à aimer. Spéciale alors, superbe, incomparablement riche. Spéciale parce que je suis en santé et que la santé, c'est le terreau nécessaire à l'exploration de l'univers sous tous ses angles et sans souci. Privilégiée, je suis. Je vois, je touche, je mange, je m'émeus, j'écris, je marche, je danse, je parle, j'écoute. Je me réjouis et je remercie.

De petites perles sont toujours à portée. L'autre jour, au métro Jean-Talon, revenant de faire mon marché à pied, chargée comme un mulet, je m'engage dans l'escalier, entrée Bélanger, près d'une lunetterie. Une femme s'arrête à chaque marche qu'elle réussit à descendre. Ses sacs sont lourds, elle est âgée. Elle est contrainte par les circonstances. Je lui offre mon aide, malgré ma propre charge. Je peux y arriver. Je l'escorte jusqu'au quai où arrivera le train qui l'emmènera un peu plus près de chez elle. Avant de nous séparer, elle me dit: "Que Dieu vous bénisse!" Et comment ne pas continuer avec le coeur léger. Cette femme me donne une gratitude authentique. Je l'accueille avec une gratitude authentique. La roue tourne et le bonheur jaillit.

Et je devrais peut-être rebaptiser mon blogue "rencontrer des gens en les aidant à transporter leurs paquets", mais j'ai choisi "orphelins de l'Eden" parce que nos racines sont toutes les mêmes. Nous sommes tous de la même espèce égarée et unie, paradoxalement. Je crois qu'il faut pleurer des larmes de sang, souffrir de manque, se perdre dans la solitude forcée pour se retrouver dans ce jardin qui ne nous quitte jamais malgré les épreuves. Tant qu'il y a la conscience, il y a la possibilité de choisir de dire oui.

10.21.2006

duo

Elle est tombée hier soir vers 17 h 20, pendant que mijotait la soupe aux lentilles. En regardant par la fenêtre peu après son arrivée, M. a décrété qu'elle ne resterait pas. Et pourtant, ce matin, emmitoufflés, mais tout de même frissonants, nous l'avons aperçue, bien couchée sur l'herbe encore verte. Il y avait la neige. Le première de l'année, tombée un 20 octobre.
Il était 9 h 15 lorsque nous sommes parvenus au chalet du Mont-Royal, celui juché devant le panorama du versant sud, ouvrant sur les tours à bureaux de la ville, les quatre ponts et la rive-sud avec ses monts joufflus. M. y était pour la première fois de sa vie. Il a remarqué un immeuble à l'architecture cylindrique qui passe incognito lorsque l'on sillonne les rues du centre-ville.
Main dans la main, nous avons emprunté des sentiers recouverts de feuilles mouillées, gifflés par un vent froid. Mes joues croyaient à l'hiver. Les joggeurs étaient nombreux. Un couple septuagénaire nous ont croisé autour du Lac des Castors et puis, une seconde fois sur la balustrade. Les deux étaient vêtus de short malgré la température flirtant avec le zéro. Ils couraient à un rythme soutenu en parlant tranquillement.
M. et moi avions discuté jeudi soir de l'importance de se retrouver, de passer un peu plus de temps ensemble. M. trouvait que nos semaines de quarante heures nous limitaient à passer des soirées à deux, mais pas de journées complètes. Il faut dire que le mois d'octobre a été assez chargé avec le départ de B. et sa famille et la visite de Ch. qui ne vient qu'une fois au an et demi.
À ce propos, Lucien Bouchard en rajoute en affirmant qu'il faudrait travailler plus pour atteindre un niveau plus compétitif par rapport à l'économie de d'autres provinces et de d'autres pays. Heureusement, en lisant Martineau cette semaine, je sens que M. et moi ne sommes pas les seuls à courir après le temps. Aujourd'hui, c'est lui et moi et pas de ménage.
Après notre promenade dans ce parc aux esprits nombreux, nous allons flâner un peu dans les souterrains de la ville. Nous aboutissons au HMV, là où M. trouve une galette importée comprenant des inédits d'Eraser, le projet de Thom Yorke. Nous repartons aussi avec le disque de Patrick Watson, Close to Paradise, un album planant rappelant des atmosphères cinématographiques et des mélodies des Beatles.
Nous allons dîner aux Vivres, un délice. Nous continuons vers St-Denis où nous louons des films. Ce soir, après avoir complété mon blogue, nous écouterons La Classe de Madame Lise, un documentaire prenant lieu dans le quartier de Parc-Extension qui nous fera découvrir des enfants de plusieurs cultures qui se retrouvent unis devant un tableau porteur de leurs bases de connaissances didactiques. De retour à l'appartement, nous faisons l'amour dans une lumière crue, le soleil de l'après-midi. Nous dormons une heure et demie, lovés. Au réveil, c'est un tour au marché qui nous réjouit. M. y déniche une bouteille de Syrah, du vignoble Terre Rouge, pendant que j'achète des fromages du Québec.
Pour le souper, nous nous régalons d'un bol de soupe et maintenant, M. est assis tout près de moi avec Nougat, le gros chat - c'est une chatte - étendue sur sa cuisse. L'amour, c'est la meilleure raison pour prendre le temps de s'arrêter.

10.19.2006

petit monde

Ce matin, au métro Jarry, vers 6 h 37, j'aperçois une jeune femme, jolie malgré le sommeil qui l'enveloppe encore et qu'elle tentera de chasser à coup de caféine en gobelet qu'elle tient dans une main. L'image est rapide, du coin de l'oeil. Je fonctionne au radar à cette heure crépusculaire. Arrivée sur le quai, je la remarque de l'autre côté. Sa silhouette filiforme et son visage rond sont ceux de la jeune interne qui a questionné B. lundi après-midi dernier à propos de l'état de santé de Wiwi., qui a subi une chirurgie à l'hôpital Sainte-Justine. Je reconnais ses sourcils arqués qui lui donnent un air triste et doux, tout droit sorti d'un roman du 19e. Elle a encore la tête dans l'oreiller. J'embarque dans le train et voilà, le ville est souvent un village.

Plus tard dans la journée, après mon heure de dîner, je viens dans la salle 1 du onzième, histoire de me mettre en boule sur une chaise et de chercher des êtres compatissants à mon état végétatif. Mission accomplie, des collègues me confirment qu'ils sont également perdus dans les vappes de la digestion qui les assomme. Je me lève en titubant et Cht. dans la salle 2 me dit que j'ai la gueule d'une maganée. Armée de sa générosité extraordinaire, elle me propose un médicament superbe: une tablette de chocolat qu'elle fait apparaître en véritable magicienne. C'est une barre Equita qu'elle a achetée pour soutenir une cause liée à un hôpital. Elle me l'offre parce qu'elle prétend ne pas avoir aimé tout à fait. Je la remercie avec une gratitude infinie. Elle sait que je suis une fervente consommatrice de produits biologiques et équitables. Je lui dis que ma charmante voisine travaille pour Equita. Une autre collègue me demande: "Est-ce qu'elle est Française?" "Non, Belge." La différence d'accent est subtile. Cette collègue connaît une Maude qui connaît sans doute J.
Il y a des jours comme ça où tout s'aligne sous un thème, naturellement.

10.18.2006

Un peu de onzième

S. et moi parlons pendant ma pause du matin. Je profite souvent de cette paranthèse au onzième pour faire coucou à ceux que j'aime, mes amis, ma famille. S. me rappelle notre conversation à propos des rêves que nous avons eu dernièrement. Est-ce à partir de ce que j'en avais dit sur mon blogue, il y a quelques semaines? Je ne m'en souviens plus trop, mais je sais que nous en avions discuté. Elle aussi se souvient beaucoup de ses rêves.

Elle me raconte que dans la nuit de lundi, elle a rêvé à un vieil ami. Il y a plus de quatre ou cinq qu'elle ne l'a vu. Ensemble, dans son songe, ils boivent et rigolent. Le lendemain, en parlant avec une de ses amies qu'elle doit rencontrer, l'amie lui dit qu'elle a veillé tard, occupé à fêter avec cet ami, celui-là même auquel S. a rêvé. Je blague et je lui dis de poursuivre ses progrès et de continuer ses observations. Nous sommes des scientifiques, tout ce qu'il y a de plus ludiques. Nous nous régalons des bizarreries de la vie.

De mon côté, j'ai rêvé à B. toute la nuit de lundi. Pas difficile de faire le lien avec les adieux déchirants qui ont précédé mon coucher. Je revois l'image de B. qui pleure et qui demande, abasourdie, pourquoi GM a quitté la chambre. "Parce qu'il le faut", que ma mère lui répond, "elle n'est plus capable". B. et GM sont comme une paire de fesses. B. parle de GM en disant "ma blonde" affectueusement. Dans le hall, avant de rentrer chacun chez soi à bord de nos véhicules garés dans le stationnement du Hilton de l'aéroport, GM me dit en me serrant: "Maintenant, on va veiller l'une sur l'autre". Le onzième, c'est là que toute cette amitié partagée et raméfiée a germé. C'est là que ça va continuer.

10.15.2006

block party

Il est 6:45 hier soir quand le téléphone sonne et que Sm. à l'autre bout du fil nous invite à venir chez nos charmants voisins, J. et P., manger des sushis maison et regarder la game de hockey. M. et moi avions justement commencé le visionnement de Maurice Richard. À peine quelques scènes s'étaient déroulées et de toute façon, nous l'avions eu gratis, merci à un crédit nouveauté dans mon compte Videotron. Sympa.

M. et moi enfilons nos manteaux et trimballons nos ballons remplis de rouge, en plus d'une bouteille de blanc pas piquée des vers, direction un escalier descendu et un grimpé. Salut! J., P. et Sm. sont dans la cuisine à finaliser les rouleaux de sushis préparés avec appétit: riz collant, algue, concombre, saumon, carotte, tomate, avocat, crevettes et autres ingrédients forment de magnifiques bouchées réparties dans plusieurs assiettes.

J. m'offre un cadeau: le Guide du Consomm'acteur. Elle a trimé dur pour le mettre au monde ce recueil d'adresses et d'astuces à portée d'un consommateur responsable. Elle précise que mon nom est parmi ceux des réviseurs de texte. Je la remercie en lui avouant que j'ai toujours rêvé voir mon nom imprimé dans un livre.

En même temps, L., frère de J., arrive, accompagné de Cd., une amie à lui. Trois Belges pour quatre Québécois. Mais L. nous montre son nouveau tatouage - une fleur de lys bleue - et nous l'adoptons sur le champ comme nôtre. Cd. et moi partagons la même allergie aux métaux - elle porte aussi une bague en acier inoxidable que M. a reconnu au design. En plus, je porte le même prénom qu'une de ses soeurs. Comment ne pas me sentir lier à cette belle jeune femme au regard félin?

Nous jasons dans le salon, autour de la table basse sur laquelle s'entassent les assiettes qui se vident au rythme de l'appétit des convives. P. est omnibulé par le déroulement de la partie de hockey pendant que Sm. nous parle de la ferme de son père à St-Cuthbert, là où il sculpte un immense tronc d'arbre pour le transformer en meuble. C'est là aussi qu'il va faire ses changements d'huile. J. est étonnée par les multiples talents de Sm. qui est, en effet, plein de surprises. L., impressionné par une bataille sur la glace entre deux colosses empêtrés dans leur équipement, demande s'il est déjà arrivé qu'un joueur mange un coup de bâton fatal. P. creuse sa mémoire d'adepte et réussi à lui raconter quelques anecdotes à l'issue tragique. C'est P. aussi qui nous apprend que Higgins est à peu près le seul joueur des Canadiens à détenir présentement un diplôme universitaire.

Sm. quitte à la fin de la partie déterminée par tirs au but, à l'avantage des Sénateurs. Il doit se rendre à un party. P. débouche une dernière bouteille de rouge, histoire de nous faire goûter au vin maison de son père en douce. En effet, ce n'est que lorsque nos lèvres sont portées à nos verres qu'il nous apprend, tout heureux, qu'il attendait une occasion de tirer sur ce liège depuis un petit moment déjà. Nous avons, tous ensemble, une conversation intéressante à propos de voyage et de tourisme. J. préfère découvrir le monde greffée d'un sac à dos. P. avoue vouloir voir des incontournables lorsqu'il va ailleurs. Je parle de mon expérience de tout-compris à l'occasion du mariage de ma soeur B., il y a bientôt trois ans. P. nous installe ensuite devant l'écran de son ordinateur pour nous présenter les Têtes à claque - allez les voir, c'est rigolo et assez indescriptible si l'on veut garder l'effet.

Nous nous mettons au lit vers 11:30. Six heures plus tard, je suis dans ma douche, en préparation pour le onzième. Le jeu de la rencontre a valu la chandelle qui brûle à la vitesse du cierge en ce jour du Seigneur.

10.13.2006

conspiration

J'ai passé une partie de ma journée d'hier en compagnie de Ch. Je l'ai rencontrée il y a dix ans alors que je travaillais au café Starbucks du Chapters. Elle habitait Montréal pour y étudier. Ch. est une Franco-Ontarienne d'Ottawa. Un peu moins de deux ans après notre coup de foudre amical, elle est retournée dans son patelin, la sexologie, son champ d'études, ne l'intéressant plus. Pendant environ une année, elle a fait beaucoup d'argent, ayant trouvé un emploi au gouvernement. Seulement, elle aurait dû engranger un peu de ses sous pour payer les impôts qui n'étaient pas déduits à la source et qui l'ont bouffée tout cru à la venue des règlement de comptes du printemps. Un ami qui avait entendu parler de la possibilité d'enseigner l'anglais à l'étranger lui a proposé cette porte de sortie lucrative pour éponger sa dette. Ch. est partie il y a sept ans en Asie.

Après la Corée et le Japon, c'est maintenant à Tawain qu'elle vit. Tapei est une ville sale à l'entendre parler, à part dans les métros neufs où même mâcher de la gomme est interdit. Pas de breuvage ni de nourriture. Des agents refilent des amendes, à part, si comme elle, vous jouez le touriste innocent.

Ch. repousse toujours à un peu plus loin le moment où elle reviendra au Canada. Elle m'avoue que c'est par peur, elle qui est partie à l'autre bout du monde. Elle me dit que sa vie est là-bas maintenant. Et dans un même souffle, elle parle de sa famille et de ses amis ici, une multitude de gens prêts à l'aider à refaire sa vie ici que je lui dis. Je pense à B. qui part pour Hong-Kong mardi, et qui commence à avoir peur. La peur du changement, ça freine ou ça propulse, c'est à nous de choisir.

Je sais que Ch. a beaucoup aimé habité à Montréal. D'ailleurs, elle m'a répété à quelques reprises que c'est la ville qu'elle préfère au pays - elle a déjà habité Vancouver et elle connaît bien Toronto. Alors nous quittons le restaurant et après un trajet de 55 St-Laurent, nous traversons le marché Jean-Talon parce qu'elle veut acheter du végé-pâté. Chez Alfalfa, le nouveau propriétaire m'offre de travailler là pour bénéficier de rabais pour les employés. Il juge que ce serait plus rentable pour moi, compte tenu de mes nombreuses visites. Ch. sourit parce que je lui disais justement que je fréquente le marché régulièrement.

En sortant, nous marchons sur Henri-Julien et Ch. s'arrête ici et là pour photographier des arbres colorés par l'automne. Des amis chinois veulent des clichés de notre coin du monde. J'aperçois Sp., que j'ai vue ce matin au cours de yoga-pyjama. Nous jasons un brin en l'escortant jusqu'au centre là où elle dégustera une salade en tenant le fort pendant les heures administratives.

Nous poursuivons notre marche et sur un coin de rues, ça sent le fromage à plein nez. Un homme à ma gauche transporte un sac d'emplettes et par curiosité je lui demande s'il a du fromage dans ses provisions - non. L'homme me fait remarquer gentiment que deux restaurants fast food opèrent pas trop loin. Je suggère que dix affamés ont commandé simultanément une grosse poutine. Nous rions et nous saluons l'homme.

Deux coins de rue plus loin, nous croisons mon ancien voisin. Nous nous saluons et je commence à trouver que toutes ces rencontres fortuites ressemblent à une grande séduction lancée par l'univers à l'intention de Ch., de plus en plus charmée par la bonté de la vie de quartier et la beauté des rues résidentielles de la métropole.

Quelques coins de rues plus près de mon appartement, je reconnais l'homme qui travaillait jusqu'à hier à la fruiterie où j'achète quelques produits - jus bio, beurre bio, yogourt bio, lait de soya... bio. C'est une personne au coeur en or, drôle et simple. Je le salue et lui souhaite une bonne vie. Il me remercie. J'explique à Ch. que c'est la fille de la fruiterie, une Grecque charmante, qui m'a annoncé son départ ce matin même.

Nous arrivons enfin à l'appartement et je crois que Ch. en a eu plein la vue. Nous écoutons Jean Leclerc gratter sa guitare et David Bowie prophétiser à propos des nuits rave sur Memory of a Free Festival, histoire qu'elle en ait plein les oreilles aussi. Ch. a eu un coup de coeur dernièrement pour ces deux artistes.

Je sais qu'elle reviendra. Montréal est un havre pour les chasseurs de synchronicité. Et Ch. est une guerrière pacifique, généreuse, ouverte de conscience et plus grande que nature. Elle rayonne. Un autre soleil parmi tous ceux qui déambulent déjà. Touchez à l'étoile que vous portez. C'est ce que Ch. m'a offert de plus précieux.

10.11.2006

contemplation

Sur mon balcon, c'est la désolation. Les piments n'ont jamais été goûtés, le basilic s'est vidé de sa chlorophylle, l'origan a séché parce que je l'ai abandonné à son sort de plante saisonnière, le bananier a été délicatement déménagé par les soins de M. dans le salon, devant une fenêtre immense qui accueille le soleil bas des après-midi d'hiver, la laitue s'est flétrie pour une seconde fois, souillée par quelques fientes et bouffée par des insectes presque microscopiques. D'ailleurs, leur colonie est née dans un premier plant de piment. Les bestioles, trop petites pour être détaillées à l'oeil nu, se sont multipliées insidieusement. La colonie est devenue un peuple féroce qui s'est collé aux tiges et aux feuilles de tous les plants avec sa bave collective.

Seule, la table en teck attend de se faire ranger dans la remise avec un air de délaissée. Les repas de l'été sont loin derrière et ça ne prendrait que quelques minutes pour stopper l'hémorragie de mélancolie qui me draine à chaque voyage au bac de recyclage. La ruelle s'est tue. Les enfants sont retournés bosser au rythme de l'année scolaire et le jardinier Italien a rangé ses outils et prépare tranquillement la terre pour les gels à venir. De temps en temps, un papa et son garçon de deux ou trois ans, qui pousse ou traîne toujours quelque chose, y passent. De derrière ma fenêtre, j'observe l'enfant attendre que le jardinier sorte pour venir lui offrir un beau légume tout frais, comme pendant la saison ensoleillée. Le jardinier ne sort plus, sans doute occupé à concocter son vin dans sa cave.

Dans l'appartement, les fenêtres sont fermées, les pyjamas enfilés et les pantoufles chaussées. Le vin se boit en soirée, dans l'éclairage artificiel qui remplace les rayons de l'astre qui s'évanouit de plus en plus tôt. Le moral tient le coup, habitué au bal des saisons qui recèlent chacune leur charme. Les feuillages merveilleux égayent la grisaille, l'air frais fouette l'énergie vitale, le chocolat au lait peut maintenant se boire chaud. Il y a du divin dans tout, c'est certain.

10.10.2006

Mes nerfs sont en boule
Quand le désespoir fou s'empare d'un être que l'on aime, on frémit
On voudrait retirer les épines qui percent le coeur
faire avancer le temps à toute vitesse
border le blessé en lui assurant que tout cela n'était qu'un vilain et horrible cauchemar
Et l'être de se réveiller de nouveau
et de souffrir de vivre en agonisant
amputé du bonheur chéri
sonné par la réalité parfois bien cruelle
étouffant dans les limbes noires tissées par l'esprit enfiévré
Mes nerfs sont en boule parce que la douleur, je la connais
Cette limace qui rampe et campe dans les interstices de l'estime bousillée
Je connais l'isolement
cette tour hantée dans laquelle l'identité s'égare
Et je voudrais tant te dire à toi que j'aime, que bientôt,
le vent tombera
tiens bon.

10.09.2006

count down

Ce matin, à 5 h 30, le miroir me renvoit mon image fripée. Mon oeil droit est rose parce que j'ai pleuré hier soir dans le lit, avant de m'endormir. Un trop plein, une goutte qui a fait déborder mon vase, un décompte amorcé par l'arrivée de Bb. qui vient chercher sa B. pour l'emmener de l'autre côté du globe. Il arrive ce soir. Je suis contente pour eux. L'amour, ça se célèbre, surtout quand c'est "romantico-mochton".

Tout le weekend, j'ai été à proximité de B. et G., de Em. et de Wiwi. Notre clan s'est entraidé et nous avons partagé le quotidien avec appréciation, sachant que bientôt, ces moments ne seraient plus qu'un luxe réalisable à force d'océan traversé. Les trois soeurs ont papoté, ont rigolé, ont changé des couches et assisté aux siestes, ont cuisiné, ont marché, ensemble. Unies. Rapprochées.

Et aujourd'hui, dans un parc baigné d'un été indien, nous avons immortalisé notre image d'êtres liés par la chair, pour le meilleur et pour le pire, par l'inévitable et par le renouvellement de cette relation malmenée plus d'une d'une fois au cours des trente-deux années passées.

J'ai installé un trépied sur une butte d'herbe encore verte et je nous ai visé pour ne pas laisser s'échapper un instant de ce que nous sommes devenues. B., la mère expérimentée déjà, G. la femme aux expériences plus grandes que nature et moi, plus femme que fille, mais encore fillette entourée de ses deux grandes soeurs, sceaux de notre immortalité. Les enfants ne vieillissent pas, ils se transforment. Éternellement, nous serons cette triade aux fronts appuyés les uns aux autres, réaffirmant notre amour, à la vie, à la mort. Quoi qu'il arrive, nous serons là l'une pour l'autre. Quoi qu'il arrive. L'une avec l'autre.

10.05.2006

maudit qu'y'est beau mon quartier

Parce que je travaille de soir cette semaine, je me suis rendue aujourd'hui au cours de yoga-midi offert une fois dans la grille horaire hebdomadaire du centre où j'ai commencé à pratiquer. Je pousse la porte du petit local au mur jaune chaleureux et j'aperçois une femme au chignon remonté assise à la petite table dans l'espace de l'entrée, celle-là même où la semaine précédente MC se trouvait assise à comptabiliser et à annoter. Cette fois, la femme me dit "je te connais". Je la regarde et dis "je ne crois pas". Elle insiste et me dit "Ludivine" et cette fois, tout doucement, je me revois avec elle dans le boudoir de l'ancien centre où je pratiquais, il y a déjà quatre ans. Je lui dis "nous avons eu une longue conversation", oui c'est ça, je me souviens, ni du sujet, ni des circonstances, mais d'elle, de ses yeux. Elle me dit "tu as changé tes cheveux" et je réponds "tu as changé ton maquillage". Elle sourit, je souris. C'est Sp.

Sp. nous guide dans une session franchement superbe. Elle guide notre respiration comme Sy. le faisait, en véritable métronome. Elle nous invite de postures en postures à respecter nos limites et à les repousser tout à la fois. Elle est créative dans son enchaînement d'asanas. J'apprends la posture de la vache, genoux croisés à l'avant du corps, coudes écartelant la poitrine grâce aux mains qui se rencontrent dans le milieu du dos bien droit. Respirez, inspirez.

À la fin de la séance, je la remercie et lui demande si elle donne le cours du jeudi soir. Oui. Je lui dis que j'aime "toi". Elle comprend et me gratifie d'un nouveau sourire qui fait pétiller ses yeux verts soulignés de khôl. Dans le vestibule, nous sommes quelques yogayeuses - clin d'oeil ici à Benoîte Groulx qui s'escrime à modifier la règle de grammaire voulant que le masculin l'emporte sur le féminin - à enfiler nos chaussures et après lui avoir demandé si elle enseigne depuis longtemps, Sp. nous explique qu'elle et M-H, sa partenaire que je n'ai pas rencontrée, ont ouvert leur centre tout en douceur. Elle nous explique que tous les morceaux sont tombés en place, sans embûches. Je déclare que je suis heureuse que le quartier ait enfin un centre. Les autres yogayeuses unissent leur voix à la mienne. Sp. resplendit.

Sur le chemin du retour, j'écoute Interpol, Thom Yorke et Modest Mouse tout en jubilant dans l'heure zénith de la journée. Arrivée à deux pas de mon chez-moi, j'aperçois une femme qui a déposé un sac sur l'escalier qui monte vers le palier de mon nid. Cet escalier est littéralement au coin des rues. La femme revient du supermarché. Elle se repose, appuyée sur sa canne. Je lui demande "où allez-vous?" "Au coin de St-Hubert", qu'elle me répond. C'est à un coin de rue. J'empoigne son sac en tissu assez lourd merci et lui tend mon autre main, qu'elle accepte avec plaisir.

C'est une femme au visage doux, tout habillé de violet. Sa canne est l'extension de son bras droit. Elle a été opérée à la hanche. Elle tient à sortir faire ses courses pour se désennuyer. Elle envie les salariés qui vivent des journées pleines et valorisantes. Elle est fière. C'est une femme qui a oeuvré comme infirmière pendant plus de trente et qui, à sa retraite, s'est vue recevoir un montant de six mille dollars parce qu'elle n'avait jamais pris de congé de maladie. La peau de sa main est tendre. Elle me dit qu'elle aussi aidait les personnes âgées lorsqu'elle était plus jeune. Je dis "la roue du bien tourne". Dernièrement, une autre jeune femme l'a aidée avec ses paquets, et l'autre jour, c'était au tour d'un homme. Elle dit qu'une chance qu'il y a du bon sur le Terre sinon, tout serait sans dessus dessous.

Je la quitte au bas de son escalier. En grimpant le mien, j'aperçois F., mon voisin satirique, plongé dans une lecture passionnante, et je pense que la sédentarité a parfois des airs de nomadisme.

10.04.2006

amélie poulin

Depuis quelques annés déjà, j'ai un petit plaisir d'automne: glisser lentement ma paume sur le flanc d'une citrouille bien dodue. C'est de la soie orange.

10.03.2006

b.a.

Parce que j'ai joué à l'accroc une bonne partie de la journée d'hier, j'avais décidé d'une marche déliante sur mon heure de repos. Assise sur ma chaise ergonomique au onzième, je sentais la brûlure au bas de mon dos, du côté droit. Pas d'oreiller cette nuit, ça devrait passer.

GB, ami et collègue, m'a prêté le coffret DVD de la première saison de LOST. Je m'en suis farcie quelques épisodes aujourd'hui. Ma conviction voulant que je ne sois pas scotchée à mon téléviseur a des airs de fumisterie ces jours-ci.

Alors, il était 21 h 30 quand je suis sortie fouler le bitume. À cette heure, je me laisse tenter par les néons de la Catherine. Premier signe: un homme de mon âge vient à deux doigts de me parler lorsque nos regards se croisent. Je sens qu'il m'a confondue avec quelqu'une d'autre. Plus loin, je remarque les nombreux clients du Provigo malgré l'heure tardive. Une affiche collée à l'immense paroi vitrée annonce que c'est 10% de rabais pour les étudiants les lundis soirs. Deuxième signe.

Un pâté de centre-ville plus loin, un jeune homme apparaît à ma gauche. Ses foulées sont rythmées aux miennes, à son insu, pour environ cinq enjambées, le temps que mon attention se focalise. C'est ainsi que la vie me suggère la rencontre. Elle me murmure à l'instinct "Hourra, l'étranger devient frère dans 1-2-3..."

J'aborde le pauvre, torturé par le poids de son épicerie répartie dans une dizaine de sacs de plastique qui meurtrit ses doigts surchargés. Je lui propose de l'aider à en porter quelques-uns. Surpris, il n'a pas le courage de refuser.

En marchant vers Le Chalet, immeuble dans lequel il niche, j'apprends qu'il n'est à Montréal depuis que deux mois, qu'il habite seul pour la première fois de sa vie, qu'il est Libanais et qu'il apprécie maintenant tout ce que sa mère faisait pour lui à la maison. Je n'ose pas lui demander s'il est ici suite à la crise politique qui a dégénéré en bombes éclatées et diaspora de la population de son pays il y a justement environ deux mois. Je l'écoute plutôt me dire à quel point il est pratique d'habiter le quartier de son université, tout étant à proximité.

Je l'escorte jusqu'à l'ascenceur. Je glisse les poignées lacérantes sur les doigts de sa main gauche, la plus disponible. Avant que les portes ne se referment, il me dit "Nino" et je réponds "Ludivine".

Dix minutes, une bonne action, un voyage instantané, un rayon de soleil partagé sous le clair de lune.

10.01.2006

la familia

Par un samedi lumineux, M., ma grand-mère et moi avons roulé direction chez ma mère, endroit niché dans une myriade de feuillages colorés, ouvert sur une nappe d'eau tranquille et noire. La famille se réunit pour corder le bois. Ma grand-mère s'est occupée de préparer le rôti de porc, le jambon fumé au miel et au sirop d'érable et le ragoût de boulettes, sans oublier la salade de chou, les tartes, deux aux framboises et deux miniatures au sirop d'érable, les préférées de ma mère, et une quiche fromage et brocoli pour sa petite-fille végétarienne, j'ai nommé, moi. Elle nous nourrit comme par temps des fêtes.

Autour de la table, pour le dîner, de nouveaux visages animent la discussion: R., mon nouveau beau-frère qui ne mange que de la viande et du sucré, et F., l'ami de ma mère. E., ma poulette d'amour, utilise une fourchette spéciale pour sa dextérité de fillette de presque deux ans. Elle charme M. de son sourire en forme de coeur.

Vaisselle rincée et dessert englouti, nous enfilons les gants rêches qui nous permettrons de manipuler les bûches sans tracas. Deux d'entre nous bourrent les barrouettes de bûches, empilées en tas dans le stationnement, et les roulent jusqu'aux trois autres d'entre nous qui s'occupent à monter des rangées hautes de six pieds et longues de douze, à l'abri sous un toit de tôle. L'année dernière, une rangée mal montée s'était affaissée. Il n'y avait pas eu de blessés. Cette année, tout roule sur des roulettes.

M., B. et moi avons été les derniers empileurs à opérer sur les rangées cette année pendant la corvée. B. était de bonne humeur, blagueuse et d'énergie pétillante. Elle s'est moquée de moi gentiment en disant à M. que j'étais une germaine (lisez gère-mène), une petite boss des bécosses, de faire attention à mon tempérament. Pour la première fois de ma vie, je lui ai dis que ce trait de personnalité, c'est sans doute grâce à elle qu'il me définit en partie, que cette part de moi, elle en est responsable.

B. et moi étions inséparables dans notre enfance. La légende veut qu'une fois qu'elle ait réalisé, après une colère terrible de ma mère, qu'elle n'avait pas le droit de m'éliminer - elle m'avait poussé en bas des escaliers lorsque j'étais dans ma "marchette" et ma tête a abouti à deux centimètres d'un marteau au crochet relevé -, elle aurait flairé mon potentiel d'esclave.
Les enfants ne sont pas méchants, ils survivent dans leur ligue, avec leurs propres moyens. C'est ainsi que B. me faisait courir derrière son vélo pour aller chez nos amis - nous habitions la campagne, alors j'en ai mangé des kilomètres - et que lorsque nous jouions à l'avion, j'étais l'avion.

Plus tard, à l'adolescence nous avons tissé des souvenirs de complicité, elle la grande soeur cool et moi la jeune soeur, appendice de son noyau d'amis, mais tolérée. Lorsque j'ai eu mon premier chum, nous partagions encore la même chambre B. et moi. Une porte à l'arrière de la maison donnait sur cette pièce, où plusieurs secrets ont été scellés. Plus tard, nos premières expériences de vie autonome en appartement ont été communes puisque nous étions toutes les deux unies dans cette nouvelle étape de notre existence. Nous allions faire notre épicerie au Super C avec la Civic rouge coupée de B. Nous remplissions notre panier de façon gargantuesque. Les denrées nutritives ne faisaient pas moisson, mais il y avait toujours des pommes pour B. qui en est friande.

Nous nous sommes séparées quelques temps par discorde, sans jamais couper les ponts. Nous nous sommes remariées comme le dit B., le temps d'une colocation de deux ans sur la rue Fabre. Cette fois, nous nous sommes séparées pour laisser cours au futur qui nous attendait. B. m'a hébergée pendant trois semaines chez elle et Bb., son mari au coeur en or, quelques annés plus tard. C'était un moment de transition.

B. et moi nous sommes toujours dit que nous aboutirions ensemble à notre vieillesse à nous bercer sur le même balcon, à ne plus parler parce que notre lien, nos histoires, nos chicanes parleraient d'eux-mêmes.

B. s'en va dans un mois vers l'autre bout du monde, Em. et Wiwi. avec elle. Et un immense vide creusera notre famille. Un trou béant le temps de quatre ans. Elle reviendra, ils reviendront, quelques semaines ou quelques mois peut-être pendant un été. Mais ce sera l'internet qui nous permettra de garder contact, ce ne sera plus un coup de télépone anodin, juste pour dire "allo, comment ça va?", ce sera un coup de téléphone calculé "ok, il est vingt heures ici, il est huit heures là-bas...". Bien sûr, maintenant, il y a des moyens pour se rapprocher de nos proches éloignés, comme des forfaits de frais téléphoniques avantageux et la webcam. Quoi qu'il en soit, ce sera dur. L'habitude sans doute, le manque.

Il paraît qu'on s'adapte à tout. Et de toute façon, je la retrouverai un jour sur un balcon.