orphelins de l'Éden

10.03.2006

b.a.

Parce que j'ai joué à l'accroc une bonne partie de la journée d'hier, j'avais décidé d'une marche déliante sur mon heure de repos. Assise sur ma chaise ergonomique au onzième, je sentais la brûlure au bas de mon dos, du côté droit. Pas d'oreiller cette nuit, ça devrait passer.

GB, ami et collègue, m'a prêté le coffret DVD de la première saison de LOST. Je m'en suis farcie quelques épisodes aujourd'hui. Ma conviction voulant que je ne sois pas scotchée à mon téléviseur a des airs de fumisterie ces jours-ci.

Alors, il était 21 h 30 quand je suis sortie fouler le bitume. À cette heure, je me laisse tenter par les néons de la Catherine. Premier signe: un homme de mon âge vient à deux doigts de me parler lorsque nos regards se croisent. Je sens qu'il m'a confondue avec quelqu'une d'autre. Plus loin, je remarque les nombreux clients du Provigo malgré l'heure tardive. Une affiche collée à l'immense paroi vitrée annonce que c'est 10% de rabais pour les étudiants les lundis soirs. Deuxième signe.

Un pâté de centre-ville plus loin, un jeune homme apparaît à ma gauche. Ses foulées sont rythmées aux miennes, à son insu, pour environ cinq enjambées, le temps que mon attention se focalise. C'est ainsi que la vie me suggère la rencontre. Elle me murmure à l'instinct "Hourra, l'étranger devient frère dans 1-2-3..."

J'aborde le pauvre, torturé par le poids de son épicerie répartie dans une dizaine de sacs de plastique qui meurtrit ses doigts surchargés. Je lui propose de l'aider à en porter quelques-uns. Surpris, il n'a pas le courage de refuser.

En marchant vers Le Chalet, immeuble dans lequel il niche, j'apprends qu'il n'est à Montréal depuis que deux mois, qu'il habite seul pour la première fois de sa vie, qu'il est Libanais et qu'il apprécie maintenant tout ce que sa mère faisait pour lui à la maison. Je n'ose pas lui demander s'il est ici suite à la crise politique qui a dégénéré en bombes éclatées et diaspora de la population de son pays il y a justement environ deux mois. Je l'écoute plutôt me dire à quel point il est pratique d'habiter le quartier de son université, tout étant à proximité.

Je l'escorte jusqu'à l'ascenceur. Je glisse les poignées lacérantes sur les doigts de sa main gauche, la plus disponible. Avant que les portes ne se referment, il me dit "Nino" et je réponds "Ludivine".

Dix minutes, une bonne action, un voyage instantané, un rayon de soleil partagé sous le clair de lune.