orphelins de l'Éden

10.11.2006

contemplation

Sur mon balcon, c'est la désolation. Les piments n'ont jamais été goûtés, le basilic s'est vidé de sa chlorophylle, l'origan a séché parce que je l'ai abandonné à son sort de plante saisonnière, le bananier a été délicatement déménagé par les soins de M. dans le salon, devant une fenêtre immense qui accueille le soleil bas des après-midi d'hiver, la laitue s'est flétrie pour une seconde fois, souillée par quelques fientes et bouffée par des insectes presque microscopiques. D'ailleurs, leur colonie est née dans un premier plant de piment. Les bestioles, trop petites pour être détaillées à l'oeil nu, se sont multipliées insidieusement. La colonie est devenue un peuple féroce qui s'est collé aux tiges et aux feuilles de tous les plants avec sa bave collective.

Seule, la table en teck attend de se faire ranger dans la remise avec un air de délaissée. Les repas de l'été sont loin derrière et ça ne prendrait que quelques minutes pour stopper l'hémorragie de mélancolie qui me draine à chaque voyage au bac de recyclage. La ruelle s'est tue. Les enfants sont retournés bosser au rythme de l'année scolaire et le jardinier Italien a rangé ses outils et prépare tranquillement la terre pour les gels à venir. De temps en temps, un papa et son garçon de deux ou trois ans, qui pousse ou traîne toujours quelque chose, y passent. De derrière ma fenêtre, j'observe l'enfant attendre que le jardinier sorte pour venir lui offrir un beau légume tout frais, comme pendant la saison ensoleillée. Le jardinier ne sort plus, sans doute occupé à concocter son vin dans sa cave.

Dans l'appartement, les fenêtres sont fermées, les pyjamas enfilés et les pantoufles chaussées. Le vin se boit en soirée, dans l'éclairage artificiel qui remplace les rayons de l'astre qui s'évanouit de plus en plus tôt. Le moral tient le coup, habitué au bal des saisons qui recèlent chacune leur charme. Les feuillages merveilleux égayent la grisaille, l'air frais fouette l'énergie vitale, le chocolat au lait peut maintenant se boire chaud. Il y a du divin dans tout, c'est certain.