dernières heures
Il y a deux jours, il m'a proposé, pour le dernier jour de l'an, d'aller patiner sur les sentiers glacés du Domaine de la forêt perdue*. Enthousiaste, j'ai préparé l'itinéraire et téléphoné à plusieurs restaurants au coeur de Trois-Rivières pour s'assurer de bien manger après notre effort physique. Ce matin, le cadran a donc sonné à 7 h pour nous tirer du lit. Moi, avec mon nez champlure au washer défectueux, lui avec l'énergie qu'il faut pour prendre la route par une température hivernale, heureusement. Oui, je suis un peu malade. Mon loup est aux petits soins depuis notre retour, mais avant cela, il faut partir.
Alors nous quittons pendant qu'il neige et qu'il vente et que dieu que la 20 est à peine dégagée. Nous suivons les traces laissées par tous les pneus qui nous ont précédé sur la route. M. a l'impression de faire du quatre roues. À toutes les fois qu'il doit procéder à un dépassement, il dit que son coeur s'arrête parce que la direction donne un coup en traversant en diagonale la neige entre les traces. Tranquillement mais sûrement, nous poursuivons notre chemin jusqu'à la 55 nord que nous remontons vers le pont Laviolette que M. trouvera donc beau, avec son haut chapeau de cowboy. Cette fois, nous sommes seuls sur la voie, cependant que des véhicules nous croisent en sens inverse. Depuis que nous sommes partis, Múm explose en sons aigüs dans toutes les directions dans l'habitacle roulant. Le groupe islandais connaît la beauté des paysages enneigés et leur musique les accompagne parfaitement.
Sur le bord de la route, une pancarte brune rectangulaire annonce aux passants que voilà, ici gît et s'agite la Rivière Blanche. Plusieurs kilomètres plus loin, une même pancarte nous annonce la même rivière et j'imagine le coude gigantesque du cours d'eau gazouiller dans le silence des terres agricoles au repos. En pleine méditation, une autre pancarte me tire de ma rêverie. Celle-là, verte, pointe vers un village au nom pas possible de Précieux-Sang. Par ici les vampires, les litres vous attendent au chaud près des cheminées. Vraiment, il n'y a qu'au Québec pour retrouver des désignations de hameaux aussi colorées. D'où le plaisir de sortir pour les découvrir et les égrainer ces chapelets d'arrière-pays.
On traverse le pont, on traverse la ville, on monte la 157, on enfile nos patins, je sors mon Pentax old school pour saisir notre joie sur pellicule sans que le froid ne me brise mon envie de faire de la photo en faisant disjoncter ma carte-mémoire. Nous patinons dans une pinède par moments, dans des allées de bouleaux à d'autres. Un groupe nombreux et disparate que nous croisons régulièrement semble arriver tout droit de l'Île Maurice parce qu'ils pourraient être des parents de Tv. À sa tête un homme vêtu d'une tunique toute blanche, une tuque vissée sur sa chevelure noire luxuriante, un sourire permanent et une femme, de blanc aussi vêtue, qui patine magnifiquement bien tandis que tous les autres ont les jambes flageolantes. M. me surprend en se déplaçant aisément sur la surface bleutée qui sillonne le boisé. Un saut et le voilà glissant par derrière, un autre saut et le revoilà filant à toute allure en esquissant des pas gracieux et agiles. Il me dit que c'est son expérience d'adolescence à faire du rollerblade extrême qui lui rend cette assurance. Je lui envie cette souplesse du mouvement.
Après une heure et demie à virailler dans le labyrinthe, nous retirons les lames, vannés et affamés. Nous repartons avec de la farine de sarrasin, le produit que nos deux coupons reçus en payant notre entrée nous ont permis de choisir. Nous aurions pu prendre du miel aux pacanes ou une mini-bouteille de sirop d'érable, mais la perspective de nous régaler de galettes l'a emporté.
Nous dînons au Rubis Rouge, un resto sur la rue Des Forges et M. me dit que s'il avait repéré le Jean-Coutu derrière chez sa tante, il aurait pu reconnaître sa maison. Le saumon est cuit à point, fondant dans sa sauce à l'ail rôti et aux agrumes. Avant de reprendre la route, nous dénichons une bouteille de champagne dans la SAQ à deux pas de là pour l'offrir au papa de M. chez qui nous allons souper demain.
De retour au retour. Je prends une douche bien chaude parce que j'ai évacué toutes les toxines de mon corps par l'effort et qu'il me faut à présent faire peau neuve. La soupe aux légumes et à l'orge mijote pendant que le rouge nouveau préféré de mon amoureux décante afin de libérer ses sulfites. Peau neuve lui aussi avant de plonger dans nos gosiers.
Ma soeur B. appelle de Hong Kong au moment précis où je précipite des biscuits soda au romarin en miettes dans mon bol fumant. Ma belle Em. me souhaite une bonne amie parce que, B. m'explique-t-elle, elle ne dit pas le mot année. Juste d'entendre sa voix délicate, ça fait mon année. Cette douce journée sera mon amie pour le nouvel an.
Santé, paix, jouissances et réjouissances. Pour vous.
*domaine de la forêt perdue