orphelins de l'Éden

12.08.2007

multiplication

Mes pieds sont appuyés sur la grille du foyer. Les braises rougeoient et quelques flammes déploient leur ailes de papillons lumineux. Aujourd'hui, c'était un peu comme un dimanche. On a mangé un pamplemousse. M. a fait cuire son bacon. On a roupillé collés de tout notre long sur le divan orange. Douchés, nous sommes sortis dans la journée resplendissante gorgée de vitamine D. J'ai remis les disques à notre voisin d'en face Ls. Il me les avait refilés la semaine dernière parce que j'étais allée lui parler un peu en rentrant du travail vu qu'il était installé dans sa voiture pour écouter de la musique et fumer une cigarette. Depuis les quelques mois que nous sommes installés au paradis, nous le voyons souvent assis derrière son volant, à regarder le temps passé sous forme de véhicules arrêtant au stop ou d'oiseaux planant d'un toit à l'autre. Ls. est contemplatif. Depuis que lui et Mn., un des quatre frères de la famille guatémaltèque d'en face étaient venus se présenter à M. et moi le jour où nous attendions Jl., Tv. et Tl. qui venaient au paradis pour la première fois sur le balcon d'en avant, je l'ai salué à quelques reprise, mais à un moment, je me trouvais ridicule de conitnuer sans le connaître plus qu'il ne le faut, surtout que l'été, il y a souvent de ces amis avec lui. J'aime bien avoir le sentiment de faire des gestes non parce qu'ils sont corrects selon des règles de civisme, mais parce qu'ils sont sentis, animés de sincérité. Cela étant dit, je suis une personne respectueuse des règles de civisme, il n'y a pas de mal à cela, mais dans le cas de saluer les gens de mon voisinage, je préfère le faire pour une raison plus authentique. Que voulez-vous, c'est comme ça.

Bon alors, la semaine dernière, je décide de me diriger vers lui. Ce soir-là, il neige de gros flocons dodus et puis je me suis dit que je voulais lui suggérer de la musique depuis un petit moment déjà parce que je sais qu'il en écoute beaucoup et que je pense qu'il pourrait apprécier en découvrir davantage. Que voulez-vous, c'est comme ça. Parfois, j'ai des intuitions par rapport aux gens qui m'entourent, comme si un message secret me parvenait quant à la façon de les approcher. Pour Ls., je me suis dit que l'album de Deadbeat et de Justice pourraient peut-être l'intéresser et puis, c'est tout, je les lui ai suggérés. Comme ça, de fil en aiguille, lui de l'autre côté de sa vitre de voiture baissée à demie, nous avons commencé à discuter de techno, des genres différents, lui fan de trance, moi préférant le drum and bass, le dub aussi. Je lui ai parlé des raves du temps de mes années de cégepienne parce qu'il n'est jamais allé dans une soirée orchestrée autour des maîtres des platines. Cet été, nous l'inviterons à se joindre à nous pour un piknic electronik, peu coûteux, au grand air, en après-midi, avec une vue imprenable sur la ville. Que des avantages vraiment.

Alors aujourd'hui, je lui rapporte les disques qu'il nous avait prêtés, des galettes de musique d'électro gentil, parfait pour une trame de fond lors d'une réception. D'ailleurs, je lui dit q'on les a écoutés quand on a reçu des gens la fin de semaine dernière. De son côté, il n'a pas aimé Deadbeat, l'album dub, mais a apprécié Justice, ce groupe électro qui brûle les planches dans les clubs newyorkais dernièrement.

M. et moi marchons ensuite jusqu'à l'épicerie en passant par le Parc de la Cité. Là, des skieurs glissent dans les traces qui disparaissent là où les pas s'accumulent. M. a des fourmis dans les jambes. Il répète en boucle qu'il veut faire du ski de fond, je veux faire du ski de fond, je veux, du ski de fond. À un moment, nous aidons un homme assez âgé à se relever parce qu'il est tombé dans un tournant en pente descendante. L'homme semble surpris de se retrouver là, recroquevillé sur son flanc. Ils nous remercient et M. s'inquiète de le voir reprendre son mouvement en direction du boisé, seul. Ça ira, que je lui dis, il sera plus vigilant, garanti.

À notre retour, Ls. sonne au paradis. Il apporte un nouvel album. Celui-là m'intéresse. Infected Mushroom. J'ai entendu parler d'eux, mais je ne connais pas leur musique. Sur la pochette je lis le titre Converting vegetarians. Je l'invite à rentrer pour faire le tour de notre nid. Il avoue n'avoir jamais visité l'intérieur de la maison, lui qui habite sur la rue depuis toute sa vie. Avant, nous explique-t-il, il habitait un peu plus loin, juste à côté du parc, dans une maison mitoyenne à une autre. Il y est resté 14 ans. Et puis, sa mère a vu que la maison dans laquelle ils vivent maintenant était en vente et voilà, ils y sont depuis. Ls. trouve les lieux agréables et il nous dit que nous bien ici. Avant qu'il ne quitte, je dis que maintenant, nous attendons des bébés - non, je ne suis pas enceinte. Il dit que c'est normal, que c'est le cycle de la vie, vu que nous avons reçu la vie, il faut la donner à notre tour. Je sens que dans cette personne, que nous commençons à découvrir, il se cache d'infinis trésors avec des perles en multitude. L'autre, il n'y a rien de plus essentiel puisque c'est par là que passe la co-naissance. Seul, je ne suis qu'un reflet, avec, je deviens substance.