orphelins de l'Éden

11.29.2007

mot de passe

Toute une histoire.

Ça commence en fait il y a un mois environ quand mon collègue et ami Nk. m'annonce qu'il va exposer des photographies lors de cet événement caritatif organisé à chaque an dans l'immeuble dans lequel nous bossons. Monsieur tripe sur la photographie infrarouge depuis peu - ça ressemble à du noir et blanc sauf qu'il faut manipuler l'appareil digital et faire des modifications permanentes dans le boîtier afin qu'il transforme tout le vert en blanc et tout le reste en tons de gris. Il revient tout juste d'un voyage dans l'ouest canadien où il a fait aller son doigt sur le bouton déclencheur avec brio. Ces clichés sont superbes et parce que je l'aime bien cet artiste autodidacte, je lui dis que je veux absolument aller faire un tour ce jour-là. Eh bien, ce jour, c'est aujourd'hui.

Mais avant.

Hier, M. et moi nous nous sommes rendus chez sa mère pour faire la pige de cadeau de son côté de la famille, avec sa mère, sa soeur Am. et le conjoint de sa mère Rc. En revenant, Am. embarque dans Jasmine la Fit parce que nous la laissons à l'épicerie. Elle nous apprend que l'anniversaire de Rc. est bientôt, mais elle ne connaît pas la date exacte. Bon, mon petit chercheur de cadeau se met en marche. Que pourrions-nous bien offrir à cet homme que nous connaissons depuis quelques mois et qui prend si bien soin de la mère de M. avec son amour généreux? Am. nous dit qu'il aime bien tout ce qui est chandelle et autre et qu'il adore la couleur de l'ambre. Bon.

Retour à aujourd'hui.

Je dois aller chercher un livre chez Archambault au métro Berri sur l'heure du dîner. Le bouquin est arrivé, le seul de la province dans le réseau Québécor. C'est le fameux Alexis Zorba pour notre ancien voisin d'en-dessous Fr. Dans le magasin, j'essaie de dénicher un petit quelque chose pour Rc., mais sans succès. De retour au bureau, j'apprends que l'exposition ferme ses portes de 2 h à 5 h. Merde que je dis, je me suis fait baiser. GM, l'amie de ma soeur B. et ma patronne maintenant, me demande si ça été bon au moins. Eh bien non, pas bon du tout. Pour l'instant. Arrivée dans ma salle de travail au onzième, Nk. me demande aussi si c'était bon quand je lui lance "I got fucked". Je lui explique que je ne pourrai pas voir ses photographies parce que je pensais pouvoir y aller après le boulot, à 3 h 30. Nk. me suggère d'aller "aux toilettes". Rc. une autre collègue, m'encourage à aller "aux toilettes" en me disant qu'il reste encore du monde en bas. Lire ici, vas-y à l'exposition, c'est encore ouvert.

Et moi de partir le porte-monnaie à la main parce que ça coûte des sous pour rentrer. Arrivée sur le pas de la porte, une ancienne collègue, Jc., qui est une artiste peintre et qui expose lors de cet événement depuis des années, est là, bâton à la main. Je la salue et puis, je lui dis que son bâton de marche est superbe. Elle me dit que c'est une artiste présente qui les fabrique. Je rentre et voilà, coup de coeur. J'imagine Rc. avec un de ses bâtons à la main. D'ailleurs, l'un d'eux m'interpelle, se démarque du lot. Il me manque des sous. L'artiste "gosseuse" de branche de bois me dit que ça va, ele saura où me trouver pour la balance. Bâton à la main, je vais voir les photographies de Nk. et puis, je remonte en douce sur l'étage. Ni vu ni connu.

Ou presque.

Quand j'arrive devant le bureau de GM, Nc., mon autre patronne et G., leur patron, donc mon super patron, sont là. Ils regardent tous mon bâton et je leur dis que c'est pour le chum de la mère de M. GM et Nc. qui sont célibataires et du même âge qu'elle se demandent quand ce sera leur tour de vivre une relation amoureuse. Pendant ce temps, je demande à GM de bien vouloir aller trouver l'artiste ce soir pour lui refiler la balance que je lui devrai ensuite. Accepté. Merci.

De retour dans ma salle, les commentaires fusent. Je vous dis que ça fait parler un bâton. Mais il est vrai que celui-là, il a de la personnalité. L'artiste, Carmen Pitre, a brûlé le bois pour dessiner une kyrielle de feuilles de chêne qui s'entortille autour du bâton. Le matériau trouvé dans la nature - Carmen ne coupe jamais d'arbre - a été pelé de son écorce, sablé, scarifié et puis verni. Pendant notre réunion quotidienne, Nk. empoigne le dit objet et s'appuie dessus. Moi, je pars avec direction la rive-sud à 3 h 30 tapantes.

Comme par miracle, il n'y a pas beaucoup de voyageurs dans l'autobus et je réussis à m'installer au fond, dans le coin, chose qui n'arrive pour ainsi dire jamais. Quelques personnes jettent un coup d'oeil en biais à mon ami le bâton. Subtil. Quarante minutes plus tard, j'arrive devant la porte du paradis et ça y est, je ne trouve pas mes clefs. Depuis que nous avons emménagé en juin dernier, je n'ai jamais oublié ma clef de maison. Je n'oublie jamais ma clef à part à de rares occasions où je fais un transfert de sac ou de manteau. Rare, très rare. Alors devant la porte de maison, je me dis que mon trousseau est sans doute resté dans la poche de mon autre manteau qui est dans la garde-robe d'entrée.

Que faire?

Je pense à Kr. ma voisine arrière, mais à cette heure-ci, elle et sa famille ne sont pas de retour. Je pense à ma voisine d'en face, Ll. que je connais peu et qui a quatre garçons adolescents. Ça me gêne trop et puis, il ne fait pas si froid, alors je m'engage dans la marche. Sur la rive-sud, les téléphones publics ne courent pas les rues. Littéralement. Je remonte le trottoir de l'artère achalandée sur laquelle M. devrait passer. Il fait nuit maintenant. Je scrute les véhicules qui passent pour reconnaître Jasmine si elle file. J'ai le bâton à mes côtés. Quel ironie que le jour où je me retrouve embarrée hors chez moi coïncide avec ce moment où je me promène avec un bâton de pèlerin. On voudrait inventer un truc du genre qu'on ne pourrait pas.

Je me rends à la cabine téléphonique la plus près et en chemin je me dis que je pourrais me rendre ensuite au condo de la mère de M. où se trouve Rc. J'appelle M. avec quatre 10¢ et deux 5¢ trouvés dans mon porte-monnaie. Il me demande où j'étais, lui qui n'appelle jamais avant de rentrer. M. finit techniquement à 4 h 30, mais il part souvent plutôt dans la demi-heure qui suit. Je sais que je ne dois pas l'attendre à la maison avant 5 h 15. Bon. Je lui dis que je n'ai pas ma clef. Il me suggère d'aller chez sa mère. Justement, c'est là que je vais que je lui dis. On se retrouve là. D'accord.

Arrivée à la dernière étape de mon aventure, avec le bâton, fidèle compagnon à la personnalité forte en titi, je sonne et c'est Rc. qui me répond. Il m'ouvre la porte via le buzzer. Une fois dans le condo, Am. est debout dans la cuisine. Elle se prépare sans doute à aller travailler. Elle aperçoit le bâton appuyé dans le coin pendant que je retire mes bottes. Je lui explique rapidement que c'est le cadeau pour Rc. Je sors du vestibule et j'appuie le bâton sur un bout de mur. Rc. sort de la chambre à ce moment-là et me demande si je viens emballer mes cadeaux de Noël. Non, j'ai oublié ma clef. Il avance et empoigne le bâton en l'admirant. Tout haut il en fait l'éloge, ses beaux motifs, sa forme agréable, le mariage de la main et de l'objet. Il dit que tout ce qu'il manque, c'est un coquillage et puis, le bâton est prêt à accompagner le pélerin sur le chemin de Compostelle. Eh bien, que je lui dis, je suis certaine que tu réussiras à le préparer comme bon te plaira. Il me regarde et ne comprend pas. Je lui souhaite bonne fête même si je ne sais pas quelle date exacte c'est. Ce bâton c'est ton cadeau d'anniversaire. Je lui raconte la petite histoire que je viens de vous narrer et ses yeux brillent. Il l'aime ce bâton, ça se voit. Ça sonne. C'est M. qui demande qu'on lui ouvre. Rc. lui demande le mot de passe. M. ne le connaît pas, il ne sait même pas que le bâton existe.

Fin.