orphelins de l'Éden

11.17.2007

perforée

Quand je demande à M. le plan de match pour aujourd'hui selon lui, il inclut l'air de rien, un arrêt à cet endroit dont nous a parlé une commis chez Zoppini la semaine dernière. Là, ils vendent des bijoux fabriqués à partir d'acier inoxydable parce que je suis allergique aux métaux plus couramment utilisés en joaillerie tels que l'argent, l'or, l'étain. La vendeuse me recommande d'aller dans un salon de tatouage et de perçage sur la rue Churchill à Greenfield Park. Des anneaux en titanium m'y attendaient aujourd'hui dans un présentoir. Lorsque nous rentrons dans le local, un boucan de l'enfer nous accueille. Un homme surgit de derrière, par un couloir. Il se dirige d'un pas décidé vers une cage énorme et haute. Il s'adresse à un grand perroquet bleu au col jaune. L'oiseau se calme lorsqu'il lui demande. Un garçon d'environ neuf ans à la coiffure en bataille nous regarde, habitués de voir surgir des gens ici, dans ce lieu qui est chez lui puisque, nous le comprendrons bien vite, papa et maman sont des artistes qui ont élu domicile et boutique sous cette enseigne.

L'homme nous salue. Je lui rend la pareille et lui explique que je suis ici pour me faire percer les oreilles, que je suis allergique au métal alors quelqu'un m'a recommandé d'y aller avec le titanium. Je suis au bon endroit qu'il m'assure. Maintenant, c'est au tour d'une femme au crâne rasé de surgir de derrière. L'homme nous guide au meuble vitré qui contient les différents modèles de bijoux. Pendant que je tente de choisir parmi les anneaux qui se ressemblent tous, ils se tiennent tous les trois collés, la femme, l'homme et l'enfant. La femme est plus grande que l'homme au regard noir qui porte un foulard sur la tête. La femme m'explique que les anneaux de couleur résultent d'un contact électrique avec le titanium. Elle me montre l'anneau que porte son garçon qui est redevenu argenté au fil des ans, cinq ans dans son cas. Le garçon me jette des coups d'oeil de biais quand je dis que je vois encore un peu de vert sur le bijou.

Indécise parce que, comme je vous l'ai dit, je n'arrive pas à voir clair parmi les choix qui se présentent à moi, je me tourne vers M. et lui demande lequel il préfère. Il me pointe des anneaux noirs, mats, avec une perle de couleur noire également. Étrangement, je ne les avais même pas remarqués. La femme dit que ce sont parmi ses préférés et qu'ils sont de forme... elle hésite, nous regarde et nous demande si six côtés, c'est bien hexagonal que l'on dit. Je dis que oui. Elle demande et cinq? Pentagonal. Et huit? Octogonal. Elle rit et dit que ça valait bien la peine d'aller à l'école. Alors l'anneau a une subtile forme hexagonale. Elle nous dit que nous devons revenir dans une heure, le temps de stériliser les bijoux. Parfait, il faut aller faire les courses.

De retour une heure plus tard, un skater est assis à la table située au centre de la pièce. La femme au regard bleu lui demande ce qu'il veut exactement comme tatouage. Il parle de deux oiseaux, un bleu, un rouge. Elle lui demande une dizaine de jours pour lui proposer quelques esquisses. Il fait un dépôt, veut savoir s'il pourra faire son boulot normalement les jours suivants le grand jour, quitte l'air satisfait en ramassant son skate-board appuyé sur une chaise.

La femme me demande de m'installer sur la chaise et elle dispose tous les outils dont elle aura besoin pour l'opération. Antérieurement, je me suis fait percer deux fois les oreilles. La première fois, j'étais un bébé. C'est un de mes plus vieux souvenirs. Tellement vieux en fait que je ne sais pas s'il est réel. Je me souviens des murs rouges capitonnés d'un sous-sol d'une maison dans le milieu de mon village, près de l'épicerie, sur une petite rue derrière. La deuxième fois, j'avais seize ans et je retrouvais mon amie d'enfance. Nous étions allés à Ottawa dans un centre d'achat et puis, je m'étais refait percer les oreilles parce que toute petite, mes oreilles s'infectaient et j'avais laissé tomber les boucles d'oreille parce mes lobes étaient toujours douloureux. Les trous s'étaient refermés. La deuxième fois, la même chose s'est reproduite.

Installée et prête, je lui demande pourquoi malgré toutes ces années passées sans bijoux mes lobes expulsaient encore un liquide blanc une fois de temps en temps quand je les pressais avec mes doigts. La femme m'explique que ce liquide, c'est un peu comme de la graisse qui veut refaire de la peau. Elle me dit que parfois, lorsqu'elle fait certains perçages, il y a de ce liquide qui sort quand elle pique la chair.

Elle fait des points rouges avec un stylo, un sur chaque lobe. Elle recule et regarde. Elle coince l'extrémité de mon oreille gauche dans une pince plate et me dis de prendre une grande respiration. Et puis, l'aiguille épaisse traverse ma peau dans un bruit de chair qui déchire. Quand je lui dis, elle est d'accord sur le fait que c'est assez bizarre d'entendre le passage de l'objet effilé. Elle insère l'anneau et la bille qui le retient. Elle fait la puncture de l'autre oreille. Pendant ce temps, elle me parle d'un liquide nourrissant qui accélère la guérison. Avec ces années d'expérience, c'est le meilleur produit qu'elle ait pu trouver. La femme est méthodique et d'une question à l'autre, je comprends qu'elle aime ce qu'elle fait et qu'elle le fait avec grand sérieux. Son métier, elle ne le prend pas à la légère, elle veut être informée, savoir comment le faire de la meilleure façon, avec les meilleurs outils, pour un meilleur résultat.

À la caisse, M. prend soin de tout. C'est un cadeau. Il y a tellement longtemps qu'il désirait voir cela, mes oreilles percées. Quatre heures plus tard, son regard est encore chargé de satisfaction. Il me dit que je suis belle. Moi, je trouve cela joli, mais il va falloir que je m'habitue. La coquetterie du bijou, il me faut l'apprivoiser, moi qui me voit à l'état brut depuis maintenant dix ans. Bientôt, ces corps étrangers auront intégrer mon identité de telle sorte que seuls ces mots témoins du moment de leur arrivée dans mon image seront la preuve qu'ils n'y étaient pas auparavant. Eux et quelques photographies. Je suis maintenant une femme aux oreilles percées. À moi, les boucles d'oreilles de bois, de corne ou d'acier. Mais pour l'instant et cette nuit qui vient, à moi la douleur de l'élancement. Je suis des lobes d'oreille jusqu'à ce que les oublie.

2 Comments:

At 10:10 p.m., Anonymous Anonyme said...

ma pauvre oui quelle douleur je me rappelle aussi ! Malheureusement, moi qui ne suis pas très médicaments, deux tylénols avant d'aller dormir feront l'affaire... et dormir sur le dos c'est tellement dur quand on est habitués à bouger !
J'ai hate de voir ça ;-) ca m'intrigue ce genre de bijoux, je ne connais pas du tout !

Ciao !!
M-H

 
At 1:12 a.m., Anonymous Anonyme said...

Aïe... mon oreille droite a été percée 4 fois. Et là, elle l'est encore :) (La gauche a été trop infectée pour que je ressaie.)

Malgré la douleur, je trouve que ça peut être très joli, une oreille "décorée."

Je me souviens de ma première conversation au téléphone après le perçage - entendre l'appareil toucher la boucle, c'était surprenant.

ziwi

 

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