orphelins de l'Éden

11.05.2007

solo

Jour de congé pour bibi parce que j'ai travaillé toute la fin de semaine. Alors, j'en profite pour booker deux rendez-vous coup sur coup. Un le matin à la limite d'Outremont et un autre, trois heures plus tard chez moi. Et parce que je n'ai toujours pas trouvé mes foutus jeans Levis Eco, avant mon premier rendez-vous, je fais un détour par le centre-ville où je place ma commande pour ce pantalon qu'il me faut absolument. Mais avant, parce que le 10 h signifiant l'ouverture des boutiques est à quinze de là, je fais un saut de crapaud au HMV où j'écoute quelques extraits du dernier Bran Van. Mmm, ragga plaisant, airs kitsch un peu tape les nerfs. Je verrai, mais pas pour l'instant.

De Peel à Jeanne-Mance, je déambule au coeur de ma Montréal qui vaque tranquillement à son début de semaine. J'admire les plis de la cape de MacDonald coulés dans le bronze et je lèche les vitrines pleines de mannequins rigides et immobiles portant des pantalons cigarettes. Tellement loin de mon confort. Les jeans que j'ai commandés sont amples parce que je préfère sentir le sang circuler sous le vêtement et que je ne suis pas la mode, mais plutôt mon goût pour les fringues décontractées.

Plus loin, je m'arrête, émerveillée, devant cette façade d'église surgit de derrière des immeubles qui la masquaient et qui ont été détruits. Je contemple les détails du linteau tout en frises au-dessus des portes massives. La pierre taillée en fioritures révèle des détails fascinants semblable à des vignes serrées dans lesquelles se cachent des oiseaux, dont un hibou solennel. Je remarque aussi deux grotesques qui passent presque inaperçus tellement ils sont petits. Ils sont perchés en haut d'un vitrail de la tour est. Ils sont là, sans rappel de symétrie comme si les tailleurs avaient voulu faire un clin d'oeil à quelqu'un. Peut-être même était-ce un genre de signature? Qui sait.

Je saute dans la 80, direction nord. J'observe le réaménagement du coin Des Pins et Du Parc. Dire que ce carrefour de voies et de feux de signalisation était desservi par un échangeur il n'y a pas si longtemps. L'Homme indécis. Je regarde les chicots d'arbre plantés dans une tourbe aux cicatrices encore bien visibles et j'essaie de voir ces monticules chargés de plantureux végétaux bien touffus. J'aurais 90 ans quand ils ne ressembleront plus à ceux d'aujourd'hui. Des travailleurs s'échinent sur un sentier qui longe le boulevard séparant la montagne du parc Jeanne-Mance. Je vois un tas de pierres. Ce sont les pierres d'origine du sentier. Celles qui ont portés les marcheurs de plusieurs décennies. Ils refont le sentier. Il réutilise ces pierres. Hourra.

Dans l'autobus, un homme à la peau aussi noire que l'onyx vient s'asseoir devant moi. Je suis installée dans le coin arrière du véhicule public. Là, mes grandes cannes ont de l'espace et je peux admirer le paysage urbain qui défile au rythme de la circulation. L'homme me regarde et je sais que je lui ai déjà parlé. Ça remonte à des années. Je marchais vers l'UQAM et il m'avait interpellée juste après la rue Ontario. Je ne me souviens plus trop ce qu'il m'avait dit, mais il voulait être mon ami. Maladroit et désespéré. Moi de lui répondre que si la vie voulait que nous nous croisions à nouveau, elle le ferait tout bonnement. Je me souviens de ses yeux injectés de sang. Les mêmes qu'aujourd'hui. Mais aujourd'hui, ça ne me disait pas. J'étais dans ma bulle, de retour dans mon espace aux milles événements à la minute. Je ne crois pas qu'il m'ait reconnue. Quoi qu'il en soit, je portais mon casque d'écoute et malgré son regard insistant, il a plutôt opté pour parler à son voisin de gauche, un homme au casque d'écoute lui aussi, le sien vieillot, et portant une redingote courte et carrelée à l'écossaise. Les deux hommes se sont parlés et je crois que celui au regard bleu a tendu sa carte d'affaire à l'autre, qui me jeta encore un coup d'oeil ou deux que je perçus par vision périphérique.

Descendue à Bernard, j'ai aimé me retrouver dans ce quartier bien mis. Plusieurs Juifs hassidim, des femmes tout de noir vêtu et des hommes aux habits religieux coiffés de leurs chapeaux hauts et larges marchaient sur les trottoirs, citoyens des lieux. J'ai pensé à la commission Taylor-Bouchard l'espace d'un battement de conscience et je me suis imaginée arriver ici-même d'un village de la Côte-Nord. Un autre monde. Totalement.

Sortie de mon rendez-vous, je me suis arrêtée dans une pâtisserie près de Du Parc et je suis ressortie avec des petites bouchées au fromage sucré que j'ai englouties à l'arrêt d'autobus et des cigares feuilletés au chocolat. D'ailleurs, pendant que je vous écris, je m'arrête régulièrement pour planter mes dents dans ce délice. À chaque fois, je me lèche les doigts avant de poursuivre parce qu'il s'émiette en flocons légers.

Pierre Lapointe m'accompagne. Nougat le gros chat qui a eu treize ans la semaine dernière fait la poule à mes pieds parce que dès que je me lèverai pour aller dans la cuisine rincer mon assiette et prendre une gorgée d'eau, elle me suivra jusqu'à son bol de nourriture vide. Il me reste environ une heure avant que M. n'arrive. Je crois que j'en profiterai pour m'avancer dans ma lecture. Ma brique que je traîne depuis plus d'un mois tire à sa fin. Les Bienveillantes que ça s'appelle, de Jonathan Littell. Un chef-d'oeuvre aride, dur, dense, massif, coup-de-poing, essentiel. Pour se rappeler tout ce dont l'homme est capable par illusion de grandeur et par ignorance de l'unicité qui nous rend tous et chacun indispensable. Vous. Moi. Heureusement.

1 Comments:

At 12:15 a.m., Anonymous Anonyme said...

Bibi? C'était un de mes anciens surnoms. Adorable, surtout pour les libanais. C'est un diminutif pour "chéri(e)" (Bibi - Habibi!)

Et tu as oublié le Paltoquet à Outremont?! Tu me diras où tu étais sur Parc pour les douceurs, miam.

En passant, on peut acheter des habits avec le logo de la SPCA chez Ooom (habits éthiques et biologiques - majoritairement sans le logo SPCA!). Ils ont plusieurs magasins à Montréal que tu retrouveras sur leur site web (oom.ca). Te connaissant, tu connais surement déjà et tu l'as peut-être même mentionné récemment!

Ciao ;)

ziwi

 

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