parce que j'ai dit oui
Hier matin à mon réveil, j'ai tout de suite remarqué la buée recouvrant tout un pan de la porte patio. Curieuse de comprendre le pourquoi de cette vapeur d'eau posée sur cette surface, je me suis approchée pour apercevoir le décor enchanteur d'une aube baignée par une brume dense. Les mots de Lc., ma guru de photographie, ont résonné dans ma tête: la brume donne de la perspective. J'ai regardé le cadran sur le poêle indiquant environ 6 h et j'ai décidé de me laisser-aller au plaisir d'aller chasser des images dans le grand parc à deux pas du paradis avant de partir pour le onzième.
Chaussée de mes bottes de pluie, de mon imperméable et de vêtements confortables, munie de mon appareil, de mon trépied, de mon échelle de distance pour faire des hyperfocales et de ma lingette pour nettoyer l'oeil de ma lentille, je me suis dirigée vers le vaste îlot de verdure. Dans cet espace vert urbain, il y a un lac artificiel, des arbres encore chenus parce que jeunes plantés dans les aires ouvertes, mais surtout, il y a la forêt, quelques centaines de mètres carrées, située aux quatre coins du périmètre de cet oasis de tranquillité où les marcheurs et le joggeurs viennent fouler les rubans d'asphalte.
Suivant mon instinct, je me suis d'abord laissée charmer par l'étendue d'eau. Le bassin aux courbes bordées d'immenses pierres était lui aussi recouvert de ce brouillard laiteux. J'ai pris un temps fou pour placer mon trépied au bon endroit, soit à environ un pied et demi d'une herbe aquatique, afin de réaliser un tableau selon la technique de l'hyperfocale, qui consiste à donner un effet de profondeur tout à fait particulier à un plan. Donc en avant-plan, de longues tiges, une roche grise, et au loin, les ombres d'arbres bordant les rives. Après de nombreux ajustements de toutes sortes, j'ai enfin appuyé sur le déclencheur et tenter d'estimer le résultat sur le minuscule écran de mon appareil. Tout me semblait réussi. Alors j'ai empaqueté mes petits, en route pour cette prochaine image qui m'attendait quelque part.
Suivre son instinct, c'est changer d'itinéraire quand un autre l'attire subitement, pour aucune raison précise, quand le but fixé au préalable est supplanté par une nouvelle idée qui surgit là et maintenant. Se laisser guider. Alors plutôt que de me diriger vers le petit pont, j'ai bifurqué dans une touffe de forêt en apercevant la bouche d'un sentier à ma gauche. Au début, une poignée de moustiques se sont jetés sur moi, viande fraîche au sang chaud. J'ai relevé ma capuche, certaines que leur appétit finirait par passer.
Il faut comprendre que St-Hubert-on-the-beach est une municipalité érigée sur une zone marécageuse et que ce parc immense n'était encore il y a quelques années, qu'une preuve de cet état géologique. M., qui a habité ici toute sa vie, m'a raconté qu'enfant, cet espace était un marais inexplorable.
Alors dans cette forêt, les sentiers sont boueux et par endroits, poursuivre son chemin veut dire perdre une botte par effet de succion. À ce point-ci de mon exploration, celui du cul-de-sac forcé, une horde de maringouins m'assaillaient littéralement, facilement une cinquantaine, car qui dit zone humide dit prolifération d'insectes au dard siphonneur. Dans un effort bouddhiste, j'ai tenté de me transformer en matière nullement alléchante pour ces animaux voraces, quelque chose comme une pierre rêche par exemple, mais sans succès. Déterminée à sortir de cette arène où je ne cessais de mouliner les bras pour chasser les bêtes qui voulaient me piquer jusque dans le yeux, j'ai remarqué deux troncs lovés dans un éclairci et ma mission de saisir des images a subitement pris le dessus. De force et de misère, j'ai réajuster tout mon attirail, mais cette fois-ci en balayant sans cesse ma peau convoitée par les minuscules volatiles persévérants. J'ai saisi l'image, emballé mon équipement à la hâte et pressé le pas jusqu'à la bordure de la forêt. De retour dans l'aire ouverte, j'ai remarqué une immense enflure sur ma main droite, là où deux seringues vivantes étaient venues se poser simultanéement pour tirer mon hémoglobine avant que je ne les chasse.
Dans le parc, il y a un très haut monticule. À toutes les Saint-Jean-Baptiste qui passent, il se fait raser la tourbe de sur le dos par les piétinements des citoyens qui cherchent le meilleur siège du site pour assister au traditionnel spectacle. Désireuse d'apprécier la vue de ce décor typique d'une toile de Turner, je me suis hissée au sommet de cette élévation. De là, des rangées d'arbres à ma gauche m'ont interpellée et la voix de Lc. m'a dit: la répétition dans un plan est intéressante puisqu'elle ajoute de la perspective. Décidément, cette notion de perspective était mon leitmotiv de cet exercice spontané.
Re-trépied, re-cadrage, re-bidouillage des ouvertures de diaphragme pour saisir la lumière parfaite. Au final, ce sont de nouvelles pousses au vert tendre parées de perles d'eau greffées à un tronc tronqué cruellement, mais toujours debout à deux pas de mon plan, qui ont donné le meilleur résultat photographique de ma chasse. Mais ce n'est que de retour à la maison que j'allais le constater.
Pour rentrer, je me suis finalement dirigée vers le petit pont et juste avant de l'enjamber, je me suis fait encercler par le vol gracieux et rapide d'hirondelles à la robe bleutée et à la queue en arc pointu. Figée par la beauté de ces oiseaux que je rencontrais pour la première de ma vie avec autant de proximité, j'ai contemplé toute la chance mise à ma disposition pour que je la saisisse et qu'elle m'éblouisse. Nous sommes les artisans. À nous de nous amuser.