griserie dorée
Assise dans la voiture, à attendre M. qui était monté chercher son ami Ls. dans son logement au balcon, j'observais une jeune fille, une enfant vraiment, peut-être sept ou huit ans, assise elle aussi, installée plutôt, au milieu du balcon de son chez-soi au niveau du rez-de-chaussée, sa petite jambe maigre passée par-dessus l'appui-bras, le visage tourné vers le ciel pour suivre le vol plané des feuilles jaunies se détachant de l'érable la surplombant de son ramage. Sur ce visage angélique, je lisais l'émerveillement de se savoir témoin du miracle du cycle de la vie. Le O de cette bouche disait: "Comme c'est beau cette annonce du temps froid, cette mort couleur canari, cette trajectoire aléatoire semblable à celle des confettis par un jour de mariage." Assise dans la voiture, mon respect pour cette enfance sous-estimée a gonflé un peu plus encore. Regarder un enfant, c'est voir l'avenir. Mon coeur s'est agenouillé et a penché un peu la tête devant cet autre coeur si doux ne craignant rien à ce moment précis, totalement épris qu'il était par la beauté.
L'automne me rend contemplative, pareille à cette fillette à la petite jambe maigre passée par-dessus l'appui-bras de sa chaise. Je me sens un peu à côté de mon corps, comme si mon esprit traînait de la patte. Ce décalage m'insuffle une détente bonne en s'il vous plaît. Je plane, droguée. Nulle envie de comprendre la source de mon intoxication. J'aime le feeling guimauve qui s'est installée dans ma discipline au quotidien.
Il paraît que ce qui nous anime est à l'image du mouvement universel: contraction versus expansion. Lorsque l'on a juste envie de se rouler en boule dans un coin oublié, c'est la contraction. Lorsque l'on souri gentiment sans raison, c'est l'expansion. La contraction précède toujours l'expansion ou l'expansion annonce à chaque coup la contraction, c'est selon. Il paraît que l'âme apprend de cette façon. Le broyage de noir mène a une introspection qui mène à une assimilation qui mène à une mise en marche paisible des préceptes absorbés de peine et de misère.
J'ai l'impression donc que je pousse de partout, que ma volonté me traverse le ventre et prend un bain de soleil au nombril du monde, que mon orgueil joue aux échecs et oublie de se prendre trop au sérieux, que mon amour pour l'homme de ma vie atteint des nouveaux sommets, que j'admire tous ceux qui m'entourent parce que je les vois nus et forts, pareils à des demi-dieux grecs. Je vole en rasant la terre qui exhale un parfum d'humidité, en passant entre les pattes des vaches qui engrangent avant la neige, en effleurant du bout des doigts la surface des ruisseaux aux eaux marines. Je rampe sous les radars. Je préfère ne pas me faire proscrire mon expansivité par ceux qui voudraient me faire croire que je n'ai pas d'ailes. De toute façon, dans l'état où je suis, ils n'auraient qu'à bien se tenir. Sinon, ils seraient obligés d'y croire aussi.