orphelins de l'Éden

9.17.2008

miss gonflette

Les rayons tracés à l'équerre percent les nuages. La main de Dieu. Quand je les aperçois, je suis installée dans l'autobus. Dans mon dos, une douleur creuse son nid parce que la femme à ma droite déborde de son siège, ce qui m'oblige à pivoter légèrement, mais sûrement. Il faut dire que depuis lundi, j'ai des inconforts là où remaniements de ligaments ou d'os ont eu lieu sous les doigts de mon ostéopathe. Mon corps assimile les nouvelles commandes anatomiques. La semaine prochaine, je n'y penserai certainement plus, à l'aise dans ce véhicule requinqué.

La semaine prochaine justement, je ne sais pas si je pourrai venir vous rencontrer dans cet espace virtuel puisque je m'éloigne du paradis, de la pièce orange, de M. et de Nougat le gros chat. Voyez-vous, les patrons du onzième ont décidé de me faire jouer les vases communiquants entre une convention et mes collègues. À la convention donc, je passerai quatre jours à me gaver de mille et une notions qu'il me faudra ensuite retransmettre à mes coéquipiers le plus clairement possible, en exerçant ma mémoire à court terme. Les patrons ont pensé à bibi parce que j'ai su demeurer fidèle au professeur en puissance qui sommeille en moi. Madame la professeure qui a enseigné la morale et la religion à des adolescents n'a pas perdu la touch semble-t-il. En fait, dans mon cas, c'est comme l'histoire de l'oeuf et de la poule. Est-ce que je suis une vulgarisatrice innée qui est allée vers l'enseignement ou est-ce que mes études universitaires m'ont transformée comme telle? L'important, c'est que je continue à développer mon muscle "transmission de connaissances".

Pendant ces quelques jours, mes petites habitudes seront bouleversées. En plus, il me faudra demeurer éveillée mentalement pour assimiler l'ensemble afin de relever le défi qui m'a été proposé. Hourra. Je dois me dépasser. Belle dose d'adrénaline. Je devrai sortir mon English, m'entourer d'inconnus et gober de la nouvelle matière à la pelletée. Il en faut de ces moments où l'on doit compter sur tout ce que l'on a accumulé de capacités sur le parcours qui nous a mené là. Je me fais confiance. Je sais que quoi qu'il en découle, je n'ai rien voler à personne. J'ai travaillé pour arriver à développer mes qualités. Cette mission attribuée par les patrons ne signifie pas que je n'ai plus de croûtes à manger. Bien au contraire, je sens que je n'en suis qu'au début. Mais au début de quoi au juste?

Le mot carrière m'a toujours paru inapproprié pour ma situation. Pourtant, après avoir traversé tous les obstacles nécessaires à l'obtention d'une permanence, je commence à entrevoir le futur en termes d'années de productivité. Peut-être était-ce parce que jusqu'à tout récemment, je m'obstinais à penser que ma véritable voie, c'était l'écriture. À ce sujet, non je n'ai pas baissé les bras. Disons plutôt que la vie est longue et qu'au fond, mon livre, je le pondrai lorsqu'il s'imposera brillamment. Tout ce que j'ai fait et que je continue à faire, tout ça développe mon muscle "être publiée un jour".

Entre-temps, je suis au onzième. Quarante heures semaine, je vaque à mes occupations et tous ces gens que je côtoie day in day out, ils seront auprès de moi dans toutes mes transformations à venir. À bien y penser, le onzième est en passe de devenir le premier emploi dans lequel j'ai été plongée aussi longtemps. Je travaille depuis que j'ai l'âge de douze ans, mais, maintenant engagée dans ma cinquième année là-bas, je suis en voie de battre mon record. C'est à ma carrière d'enseignante, à laquelle j'ai consacré cinq années de ma vie, que la palme revient pour l'instant. Quatre années de bac avec autant de stages, en plus de mon expérience de trois mois d'enseignement au Togo, topé de la fameuse année à la barre de mes groupes de secondaire 3, ça fait un gros cinq ans. Mais avant, j'ai frotté des planchers, vendu des beignes, joué la nounou, vendu des cigarettes dans une tabagie, vendu du café, préparé des encaissements pour des assurances-vie, vendu de la vaisselle.

Il y a des années, j'ai entendu dire que les gens de ma génération auraient de nombreuses carrières dans leur vie professionnelle. Malgré mes nombreux boulots d'étudiante et mes deux carrières, j'ai le sentiment que je ne fais que commencer. Commencer quoi au juste? À développer mes muscles, de toute évidence.