orphelins de l'Éden

4.29.2007

booking

Grosse fin de semaine. Grosse fatigue. J'ai les yeux en trou de suce et les cernes qui tirent. Pourtant, j'ai bien dormi les dernières nuits. Seulement, mes journées de samedi et de dimanche ont été chargées.

J'ai travaillé à la révision de mon manuscrit hier et aujourd'hui. Finalement, je n'envoie pas mon premier texte, mais plutôt mon dernier. Je n'ai jamais soumis ce texte auparavant. J'ignore ce que ça donnera. Bien entendu, je ne recevrai des nouvelles que d'ici six mois à un an. C'est comme ça. Soumettre un texte à une maison d'édition est un long processus. Surtout quand on n'a pas de contacts. Et on attend et on attend. En plus, cette fois, les nouvelles viendront du vieux continent. Qui sait?

Ensuite, j'ai fait faire des visites du condo que ma soeur G. veut vendre. Elle travaillait ce weekend. Alors, c'est moi qui ai ouvert la porte de sa demeure pour accueillir les visiteurs. Ce matin, elle m'a téléphoné pour me dire qu'elle avait eu une offre. Je suis heureuse pour elle parce que je sais qu'elle n'est plus qu'un paquet de nerfs depuis qu'elle a pris la décision d'emménager avec son amoureux. On veut toujours avoir fini avant même d'avoir commencé lorsque l'on est sur le point de vivre de gros changements.

Hier soir, nous avons célébré ma mère. Son anniversaire est dans un peu plus d'une semaine, mais son amoureux voulait la prendre par surprise. Elle était éblouissante avec le magnifique collier et les superbes boucles d'oreille qu'il lui a offerts. L'or jaune se démarquait de ses habits noirs comme sa chevelure. Elle avait souligné ses yeux de kohl. Ma mère est une belle femme. Elle a laissé un message aujourd'hui pour nous remercier d'avoir été là.

Ce matin, ménage et marché. Cet après-midi, déménagement de Sr. et Mx. Ils habiteront maintenant un logement plus spacieux à un coin de rue de leur ancien loyer.

Et en rentrant dans l'autobus, un jeune homme s'est assis devant moi. Un vrai rapper, de la tête au pied. Casquette à la palette droite, jeans bas et amples, t-shirt trop grand de quatre taille, cheveux nattés, bottes délacés. Il avait une bonne bouille. À un moment, je suis tombée dans la lune, trop crevée sans doute. Je fixais ses mains. Il a fait bougé un doigt de gauche à droite. J'ai levé les yeux et j'ai ri. Le geste était gentil. L'air de dire "coucou, tout va bien". Il a ri lui aussi. J'aurais aimé le remercier. Je ne l'ai pas fait. Il venait de détendre ma tête de noeud.

4.26.2007

hommage, dommage

J'ai fléchi les genoux, j'ai eu la chair de poule, non, que j'ai dit, c'est pas possible. Des coins de rue St-Hubert et Jarry, j'ai aperçu ce bâtiment de brique rouge tout juste rénové dévoré par les flammes. Les fenêtres béantes donnaient une sale mine à cette scène de quartier désolante, les murs noircis, les tas de gypse, les meubles rapaillés, les séquelles du sinistre à ventre ouvert. Ce petit duplex abritait des Asiatiques qui avaient travaillé d'arrache-pied pour le retaper de la fondation au toit. Des mois de labeur patient envolé en fumée.

Les propriétaires habitaient le deuxième étage. Au rez-de-chaussée, ils venaient d'ouvrir, il n'y a pas même pas un mois, la porte d'un restaurant qui s'appelait La Belle Asie, bien qu'ils servaient en plus des rouleaux des charcuteries sur du pain baguette et des jellos de toutes les couleurs. Le concept faisait cafétéria. Quand je passais devant, il n'y avait jamais un chat. Mais bon, l'effort déployé pendant tous ces mois d'édification couronnait l'endroit d'un aura de dignité. En plus, lorsqu'ils avaient acquis ce bâtiment vétuste, rien ne nous préparait à cette revitalisation qu'il offrirait au quartier. Cette poubelle de deux étages auraient pu être foutue à terre à coup de grue tellement elle était pourrie. Mais quand les Asiatiques propriétaires se sont relevés les manches, ça été beau à voir.

Vendredi soir dernier, les voisins et nous assis sur notre balcon d'avant qui fait face à ce lieu nickel maintenant plus que souvenir, nous étions loin de nous douter de ce que le prochain jeudi réservait. Fn. enviait leur camion Murano couleur crème stationné sur le goudron fraîchement roulé de leur aire de stationnement que nous imaginions devenir terrasse avec le temps et l'achalandage grandissant de la clientèle. Ce matin même, à 7 h 45 lorsque je suis sortie, j'ai croisé deux hommes qui semblaient se préparer à quelque petit travail sur la propriété debout près de leur véhicule rempli de fils et d'outils de toutes sortes. Je repense aussi aux deux fenêtres du haut que j'ai si souvent regardées rapidement et qui donnait face à notre logis. Dans l'une, des autocollants de Dora l'aventurière et dans l'autre, quelques-uns de judoka sorti tout droit de mangas japonais. Ce soir, de retour dans l'appartement, je vois un jeune homme Asiatique qui porte une chaise noircie par la fumée et un voisin qui ramasse des débris dans sa pelle. Triste accablement.

Quand M. arrivera, il se plantera devant la fenêtre du salon pour observer le grand ménage qui est en branle, le malheur qui nous montre ses entrailles. Et en se mettant au lit, il faudra dire merci la vie, merci même si.

4.24.2007

modèle

J'ai une coupe de cheveux de gamine. Je ressemble soit à ma nièce Em. lorsqu'elle avait deux ans, soit à Jeanne d'Arc, l'illuminée. J'aime bien. Ça me donne des airs féminins. Après le boulot, j'ai fait une confession à Mc., mon coiffeur, pendant qu'il tranchait tout en traits ma chevelure. Je lui ai dit que j'avais de la difficulté à exprimer ma féminité par mon image, c'est tout. De fait, la coquetterie ne colle pas à moi. Ou plutôt, je choisis de ne pas être coquette. Je prends soin que les couleurs de mes fringues colorées s'agencent et je me sèche les cheveux en cinq minutes, debout dans la cuisine, à 5 h 45 du matin. Je ne porte pas de rouge à lèvres, ni de fard, ni d'eau de toilette. Cependant, je m'applique une crème de jour pour le visage à base de karité. Je suis la même du lever au coucher. C'est moins compliqué. J'ai décidé depuis très longtemps de vivre avec mes atouts tels qu'ils sont. Mais de temps en temps, je me fais couper les cheveux.

Sur le siège de coiffée, j'observais l'image qui m'observait. Quand on va chez le coiffeur, c'est un tête-à-tête avec soi-même. Sinon, je ne passe jamais autant de temps devant le miroir que lorsque je suis immobilisée sur la chaise de l'artiste qui tient les ciseaux. Ce visage, le mien, je le connais tellement. Le grain de peau, la courbe des sourcils, le pointu du nez, le contour des lèvres, la plage du front, la saillie des pomettes, les boutons du menton. Tout ça, c'est ma carte de visite. Premier coup d'oeil, dernière impression.

Bien sûr, l'image n'est pas tout, mais c'est beaucoup. Je me souviens que de retour de mon voyage en sol africain, toutes ces images ambulantes dans la ville m'ont donné la nausée. Chacun était si unique, si stylé, si selon ses goûts et ses possibilités, selon la mode, selon l'air du temps. Je trouvais ça presque vulgaire. Au Togo, pour les hommes et les femmes, le pagne coloré était taillé pour le habits du dimanche. Les autres jours, à tous les jours, un t-shirt, un pantalon, une jupe, c'était toujours les mêmes vêtements portés. La coquetterie, c'était pour célébrer le jour du Seigneur et se retrouver ensemble, beaux et belles pour ce jour de repos, ce jour de la création. Ici, tous les jours, tout le monde il est beau il est joli et maintenant, je n'ai plus cette sensation d'alors. Mais je continue d'observer.

Comme j'ai choisi le dépouillement, d'autres ont choisi l'artifice. Et tant mieux puisqu'il y a toutes ces boutiques qui existent et tous ces employés qui y bossent et tous ces fabricants de produits de toutes sortes et tous ces bourreaux de la mode qui s'ingénient à renouveler une matière qui a pourtant ses limites. Une grande partie de l'économie dépend de notre besoin de modeler notre image. Tant qu'il y aura des insatisfactions à remédier, il y aura des sous à récolter. De toute façon, la beauté est elle-même esclave, esclave du regard qu'on porte sur elle.

Tranquillement, je me prépare au jour où les gens ne verront plus qu'une frêle vieillarde à la chevelure blanche et clairsemée. Ce jour-là, je porterai du rouge sur les lèvres, pour moi, vraiment.

4.22.2007

jour de la Terre



4.21.2007

baba cool

Pendant que M. est en boule avec Nougat le gros chat et que mon charmant voisin P. termine son plat de pâtes assis sur son balcon arrière et que Jl. bosse sur sa présentation de thèse qui arrive à grand pas et que ma mère a peut-être enfin déterré ses vêtements d'été serrés derrière des boîtes de souvenirs - "j'ai retrouvé ta photo de graduation, celle où tu es belle à couper le souffle" -, je m'asseois près de la fenêtre qui ouvre sur les bruits de la ruelle et du ciel, des intonations d'enfants qui s'amusent mêlées à des cris de mouette et des pépiements de moineau.

God Speed You! Black Emperor trame une atmosphère sonore étrange pendant que le jour décline tranquillement après avoir donné un zénith flamboyant.

Ce matin, dans le soleil plombant, j'ai installé notre petite table de teck sur notre balcon pendant que l'Italien avait enfilé ses mules de plastique pour travailloter dans son jardin et que les fillettes de la famille parfaite circulaient en trottinette. La famille parfaite habite à quatre cours de chez nous et depuis quatre ans maintenant, nous les observons souper ensemble à heure fixe, faire des activités les uns avec les autres, stimuler la marmaille qui papillone dans la ruelle. Ils sont quatre: papa, maman, et deux filles. Quand arrive le mois de juillet, ils stockent leur tente roulotte qu'ils remorquent à leur VUS Honda et disparaissent pour deux semaines. Ils sont parfaits parce qu'ils s'aiment et prennent le temps de s'aimer, c'est tout.

Hier soir, nous avons sorti les vélos pour filer jusque chez Sr. et Mx. Dans leur petit 4 et demi, le chauffage fonctionnait dans le tapis. C'est le concierge qui s'occupe de régler la température dans les logements de l'immeuble. Je crois qu'il s'est trompé de côté quand il a manipulé le thermostat, pensant l'éteindre, il a plutôt pousser le tout à fond la caisse. Nous sommes allés prendre une bière au parc Lafontaine. Un homme est venu ramasser les bouteilles qui n'étaient pas encore vides alors nous nous sommes entendus avec lui que nous les laisserions près des grosses pierres, couchées à l'abri des regards, dans un creux dissimulant. Sr. a commenté qu'il avait pris du poids. C'est vrai qu'habituellement, l'été, lorsqu'il se promène en bedaine, sa peau basanée se tend sur un corps souple et svelte. Nous ne connaissons pas son nom et pourtant, il est un personnage familier pour les familiers du parc.

Mx. avait branché son Ipod à des haut-parleurs minuscules qui crachaient toute sorte de musique qui nous ont fait voyager autour du monde et autour de nos souvenirs. Une chanson de Ménélik m'a renvoyé en plein Cégep lorsque j'habitais un appartement seule tandis qu'une autre de Bran Van 3000, m'a projetée deux ans plus tard, lorsque j'étais installée en colocation rue Mont-Royal. Temps qui file et qui s'effrite dans mes méandres mnémoniques. Nous avons apprécié des airs mahgrebins et africains, français et québécois. La poésie de Daniel Bélanger en pleine nuit dans un espace vert et ouvert, quel moment sacré.

En revenant de notre rencontre, juchés sur nos vélos, nous avons remonté la rue Brébeuf. Devant nous, le mince croissant de Lune était suspendu bas, entre deux tours situés au bout de la rue sur lesquelles des points rouges scintillent pour dessiner ces fantômes grandioses dans les airs. La nuit d'encre portait comme un pendentif ce satellite nimbé d'une lumière laiteuse.

Avant de partir visiter Sr. et Mx., nous avions pris une bière sur le balcon avant avec les voisins Fn. et Sm. Décompression du vendredi soir. Je leur ai donné une copie de mon manuscrit pour qu'ils me donnent leur avis. Nk., un collègue du onzième qui part pour la France dans une semaine et demie, a accepté d'emporter quatre copies qu'il postera là-bas. J'hésite encore pour déterminer à quelles maisons d'édition je l'enverrai. Advienne que pourra et quand on veut, on peut et quand on y tient vraiment, le rêve finit par se réaliser. Je suis un moteur de volonté qui modifie le cours de la vie.

4.19.2007

small is beautiful

Dans la vie, il a y des moments forts. Chaque respiration est bien sûr aussi exaltante que la précédente, mais disons que l'ivresse de cet air inhalé est un peu beaucoup relayé dans la cour des choses acquises. Cependant, parfois, la vie nous secoue. Elle nous dit en rigolant "regarde bien, tout ça se déroule devant tes yeux". J'aime quand elle me secoue. Ça m'en fait une complice et je deviens vraiment allumée, interpelée par l'ensemble, moi l'élément.

Petites choses, toutes petites, si petites que la plupart du temps, si on ne développe pas un malin plaisir à les voir passer, elles passent malgré nous, sous nos yeux bouchés aux petites choses merveilleuses qui nous relient à la grande source.

Je vous raconte mes choses anodines, oui?

Aujourd'hui, deux choses parmi tant d'autres.

Vers 9 h 15, un collègue entre dans la salle de travail où je bosse depuis quelques semaines maintenant du lundi au vendredi, de 7 h 30 à 15 h 30. Il nous apporte une carte de voeux de prompt rétablissement pour Lc., une patronne à nous. Elle s'est faite opérer pour je ne sais quoi, quelque chose de gênant peut-être puisqu'on ne sait pas de quoi au juste. Lorsque Vr. me tend la dite carte, un tournesol flamboyant me frappe en plein visage. Je souris. Hier soir, après le repas du soir, M. affirme qu'à partir de maintenant, il sait ce qu'il veut comme affiche dans son bureau de travail, pour toute sa vie. Il veut des images de tournesol. Eh oui. Monsieur est sous le charme de la représentation de Chagall qu'il a déniché dans un commerce de vente d'images le jour de l'achat de nos planchers de liège. Je lui dis que Van Gogh en a reproduit des beaux. Il ajoute que Monet aussi.

Dans la carte j'écris: Les pensées lumineuses font guérir le corps à la vitesse de la lumière, je ne crains rien pour toi.

Vers 10 h 15, pause café sans café, je me dirige vers les ascenceurs pour descendre rejoindre ma maman qui m'attend au sixième où elle travaille. Dn. mon collègue cuistot réno extrême me suit en boitant. En sortant, il tâte sa poche et constate avec soulagement que sa carte d'employé est dans sa poche de manteau. Sans notre carte, c'est la galère pour accéder à notre poste de travail et même, pour accéder à l'immeuble boulot. Il me dit qu'il a perdu sa carte une fois, mais que c'était au bureau alors ouf! Moi, je lui dis "pareil pour moi". Ouf!

Passe une deux heures et demie et maintenant il est 13 h et je reviens d'une marche d'une heure en compagnie de ma mère. Elle passe le tourniquet qui a reconnu son identité par sa carte balayée devant le détecteur. Je viens pour la suivre et voilà, ma carte n'est plus accrochée là je l'accroche toujours. Elle n'est plus là. Elle est sans doute tombée quelque part à quelque moment pendant cette heure à silloner les rues ensoleillées.

Je monte au onzième pour demander à Nc., ma patronne, si je peux rebrousser chemin pour essayer de la retrouver, ce qu'elle m'accorde. Et me revoilà partie en sens inverse. Pendant que je reviens sur nos pas, je revois les scènes qui se sont évanouies dans un passé encore frais. Je revois le Carlin que je flatte pendant que ma mère essaie de rassurer l'homme qui s'inquiète de l'énergie débordante dans cette petite bête de trois mois. Maman lui dit que les Carlins sont très bons avec les enfants. Je revois la petite fille juchée sur les épaules d'un grand homme qui est sans doute son père. Elle pointe avec émerveillement, à défaut de pouvoir dire à son papa avec des mots, un rougegorge qui sautille. Il attend, il comprend. Je revois l'arbre mangeur de clotûre que j'ai pointé à maman, deux employés de la ville qui passent d'un coin de rue à l'autre pour changer les signes d'arrêt-stop en écoutant du Rush à plein régime, les bols en céramique dans la petite galerie que nous avons visitée.

Je ne retrouve pas ma carte d'employée. Et comme dans une tour de Babel, la responsable qui peut la désactiver est remplacée par un employé substitut qui est lui même absent aujourd'hui, alors suppléé par un autre employé.

Quand je raconte à Dn. que j'ai perdu ma carte, il est abasourdi. C'est trop fort qu'il dit. En fait, il s'exclame: It's unbelivable man.

Well, I'm a believer.

4.17.2007

grand condor

Bon alors, je vous écris avec un dos droit. Et aujourd'hui, assise sur le coin d'un bureau pendant une réunion au onzième, j'avais conscience de mon dos droit. Mon ostéopathe m'a recommandé d'être plus attentive à ma posture au travail surtout. Les longues heures trahissent souvent la bonne volonté et mon corps se ramollit en glissant sur ma chaise pourtant ergonomique. Je suis une grand perche. C'est peut-être pour cela que j'aime appuyer mes pieds sur l'appui-pied en étirant les jambes qui entraînent tout le reste.

C'était mon second rendez-vous hier. Je ne crois pas la revoir bientôt. Lors de notre première rencontre, il fesait un froid de février et mes cuisses brûlaient malgré les combinaisons que j'avais enfilées. Cette journée-là, c'était aussi le lendemain d'une fièvre qui m'avait affaiblie une journée durant. Un hiver, un jour de maladie, un bilan santé somme toute assez béton. D'ailleurs, après notre première rencontre et malgré mon allure générale assez flageolante, mon ostéopathe, A-M, m'a affirmé que mon corps allait bien et que je prenais soin de moi. Au début de notre entretien, elle avait noirci des feuilles en me posant des questions concernant des douleurs, des blessures passées, des habitudes de vie, mon taux de globule rouge dans le sang, chose pour laquelle je n'avais pas de réponse sinon que mon dernier bilan sanguin s'était avéré bon à part pour un manque à gagner au niveau de ma B12, vitamine souvent carentielle chez les végétariens. Et hop, un comprimé.

Hier, nous avons beaucoup échangé pendant la session. Deuxième rencontre donc plus à l'aise toutes les deux et surtout, moi plus en forme de moi. A-M est enceinte. Alors, comme ça, nous avons discuté accouchement en milieu hospitalier versus celui assisté d'une sage-femme ou d'une accompagnatrice. Elle m'apprend que pour elle, ça se passera à la Cité de la Santé, comme ma soeur pour Em. Je lui dis que je déménage bientôt à St-Hubert-on-the-beach et elle dit que Pierre-Boucher a un bon département de natalité. Elle parle de l'attitude du milieu hospitalier en général, de son support, du confort qu'il offre à la mère, des soins prodigués bien sûr. Elle me fait penser au milieu hospitalier universitaire plus interventionniste comme elle dit et pullulant d'apprenants agglutinés au chevet des femmes en délivrance. Pour une première expérience, elle a préféré s'en remettre à un obstréticien plutôt qu'à une sage-femme. Pour un deuxième enfant, elle verra. Chaque grossesse est unique, chaque accouchement aussi.

Ses mains tâtent mon pied droit, celui que je me suis tourné dans un nid-de-poule il y a bientôt deux ans. Elle sent quelque chose bouger et elle dit: ça va faire du bien. Pendant la première séance, c'est mon bassin qu'elle a surtout rebalancé et elle répétait sans arrêt cette formule magique: ça va faire du bien. Et de fait, ça a fait du bien. Ma lombalgie ne m'a pas importuné pour tout un mois et demi et mes élancements dans me jambe droite se sont volatisés avec ce brûlement inconfortable.

Quand j'y pense, mon corps pourtant bien planté, porte des bobos du matin au soir. Par exemple, mon poignet droit qui s'enflamme depuis quelque temps, sans doute parce que je tape à longueur de journée. Clavier greffé aux mains. J'avais aussi mal au dos, à la jambe droite, au pied droit, à l'épaule gauche, à la machoire gauche. Elle a fait le tour de tous ses maux. Je crois que mon corps a trouvé des mains guérisseuses.

Aujourd'hui Dn. mon collègue cuistot et handyman me dit qu'il réalise que son corps vieillit. Il a peut-être huit ans de plus que moi. Une bosse pousse sur son orteil depuis trois jours. C'est tellement douloureux qu'il boite. Nous nous sommes mis à quatre hier pour le convaincre de se déscotcher de son siège pour aller consulter un docteur. Il est revenu avec un semblant d'explication: accumulation d'acide urique. Prise de sang aujourd'hui et radiographie vendredi. Il n'a pas demandé qu'est-ce qu'il pouvait changer dans son alimentation ou dans ses habitudes pour prévenir à l'avenir. Il ne sait pas ce qu'est l'acide urique et surtout, on ne lui a pas expliqué.

De retour de mon heure de dîner, il me dit qu'il se demande ce que son corps essaie de lui faire comprendre. Un muscle du bicep déchiré par un faux mouvement l'a incommodé pendant deux mois à la fin de l'été dernier. Et là, son orteil. Il pose la question avec grand sérieux, lui qui est terre à terre. Il ne s'attend pas à une réponse ésothérique du genre: les blessures de ton corps traduisent des blocages émotionnels. Il veut savoir. Concrètement. Je lui dis: pense-y et tu trouveras. Et il a déjà une piste de réflexion. Il a tendance à pousser son corps au-delà de ses limites lorsqu'il travaille. Mais il viellit qu'il me répète. Il doit apprendre à faire attention à sa machine. Je lui dis qu'il a beaucoup d'énergie et que de s'entraîner au gym - ce qu'il fait depuis peu - peut l'aider à équilibrer l'effort qu'il fournit dans ses activités de rénovateur extrême.

Le corps est un matériau. Par lui, j'interprète les sensations et je provoque le mouvement. N'est-ce pas qu'il faut soigner ce vaisseau?

4.16.2007

pour une dernière fois, bis

Pendant que deux collègues font claquer les touches de clavier rapidement et que trois autres discutent de l'expérience de paintball vécue par l'un d'eux ce week-end, je me remémore mon périple de ce matin. Debout devant la fenêtre donnant sur la rue Jarry à 6 h 20, je tentais de me motiver à mettre le pied dehors. Aucun piéton en vue pour jauger de la courbure de son corps face au vent et à la pluie froide afin de me préparer mentalement.

Arrivée sur le trottoir, l'eau s'accumulant en flaque au coin de la rue me fait comprendre que mes bottes d'hiver qui recouvrent mes pieds de caoutchouc sont le bon choix. Il y avait des semaines qu'elles étaient retournées dans le garde-robe, prêtes à y dormir pour un bon moment. Les objets reprennent vie dans l'eau glacée pendant que le parapluie résistant au vent offert par ma soeur se brise sous la force de la bourrasque. Les cinq coins de rue qui me séparent du métro sont plus loin que d'habitude et je marche dans la rue puisque les trottoirs innondés sont barrés d'accès par une accumulation d'un mélange de neige lourde et d'eau. Si je tente quoi que ce soit, mon pantalon sera mouillé pour de bon et je serai transie la journée durant. Un mélange de pluie et de verglas se précipite sur moi tandis que tendue, je me prépare à bondir sur le côté à chaque fois qu'une voiture passe en éclaboussant toute cette bouillie glaciale à droite et à gauche. Je me concentre pour arriver dans le gouffre chaud du train souterrain sans trop de peine. Aujourd'hui, je mêle mon bêlement à ceux des contrariés par la Nature. Dieu, quand nous présenteras-tu le printemps de l'an?

4.14.2007

autopsie d'une soirée réussie

Debout dans la salle de bain, tout nu, tout juste sorti de la douche, il mange un quartier de mangue en plongeant les dents dans cette chair douce et sucrée. Il se sent comme un animal qu'il dit et je comprends qu'il est un grand félin qui ripaille. Animal, c'est une carte de tarot qui a beaucoup sortie hier soir. Elle et aussi Misère, Possibilité, Nombre, Vie, Feu, Donner, Rassemblement et Parole pour P. mon charmant voisin et Temps et Bien pour J. ma charmante voisine. C'est un jeu unique de 64 cartes, mais ce matin, après avoir compté par deux fois, il en a maintenant 63. Trois personnes ont peut-être la dite carte que je n'aie pas encore identifiée. Trois hommes: deux par mégarde, un par choix. Peut-être.

Il y avait huit bouteilles de rouge alignées sur la table de cuisine, des coupes avec des élastiques de différentes couleurs et grosseurs enroulées à leur pied, deux tire-bouchons, un rouleau de papier hygiénique d'extra sur le réservoir, des chaises d'installées dans le boudoir, F. nomme ainsi cette pièce de l'appartement, de la musique dans les hauts-parleurs et de l'encens pour dissiper les ondes, pour les rendre souples et accueillantes, réceptives à toutes ces énergies que nous allions recevoir dans notre antre.

A., soeurette en beauté de M., s'est présentée en premier. Un début de bon augure si vous voulez mon avis. M. lui a appris qu'il avait appelé son papa pour le remercier du cadeau reçu. Les yeux pleins d'eau nous avons respiré ensemble, les trois, l'instant d'un silence heureux. M. était en brouille avec son papa. Des mois de séparation imposée par un fils blessé par le geste de son père ayant brisé le cocon familial. À partir d'ici, tout y ira bien, tranquillement.

F. appelle et demande s'il peut débarquer maintenant. Et le voilà qui quitte son logis du dessous pour grimper d'un étage. Sa présence est celle d'un être plus grand que nature. Il s'asseoit dans un fauteuil et il nous raconte que c'est à 26 ans, âge du célébré, qu'il a perdu son père en novembre et son grand-père avant, en février, que sa première femme était enceinte de leur fille et qu'il se promenait en décapotable américaine. Je ne me souviens plus à quel moment les cartes sont sorties ni qui j'ai tiré en premier. Étrange pourtant puisque je me souviens d'Am. qui les manipule pour les observer. Alors ce doit être F., mais plusieurs viendront s'asseoir dans la chaise face à moi pour voir leurs cartes tracées un semblant de cohésion par leurs mots, leurs graphismes, leurs liens déclenchés. Curieux de jouer avec le sort, de s'amuser avec lui.

L. et Ax. arrivent avec de grandes bouteilles de bière dans des sacs de papier. Puis ce sont les charmants voisins qui suivent et ensuite, nos voisins de palier, et Mx. et S. qui surprennent M. Ils ne les avaient pas vus venir ceux-là. Il est heureux de cette réunion. Et il montre à tout nouvel arrivant sa scie en l'empoignant pour simuler le travail manuel qu'il pourra accomplir avec. Cadeau de sa lulu: ensemble d'outils. L'homme qu'il est jubile.

Sm., le voisin du rez-de-chaussée, arrive avec un six pack de bières noires. À un moment, je le vois boire d'un pot Masson. Pas de problème Sm. que je lui dis après remarquer son drôle de verre. Il dira plus tard dans la soirée que mon positivisme lui fait du bien. Tiens, tiens.

Mais c'est un dernier arrivant, à qui je demanderai pardon à genoux sur le balcon plus tard dans le soirée, qui surprendra M. Voyez-vous je n'avais pas invité Mt. Ni lui ni l'autre parce qu'ils sont deux Mt. qu'on appelle les deux Mt. J'explique à mon amoureux ce manquement intentionnel de ma part du fait qu'ils ne contactent pas M. souvent. Pour moi, l'amitié doit être vivante pour se maintenir. Alors quelle belle leçon d'humilité que de le voir arriver, sans rancune, pour fêter avec M. D'ailleurs, à genoux, tête penchée, accrochée à son pantalon, j'implorerai son pardon, qu'il m'accordera.

Une réunion heureuse, un peu trop de vin pour moi, de beaux hommes, de belles femmes, des amis, des rapports humains, un jeu de tarot étrange et bouleversant. L'équation parfaite pour une estafilade dans la mémoire. En coupant le chou-fleur pour la crème de légumes qu'il prépare au moment où j'écris ses lignes avec un estomac retourné, M. déclare au même instant, sans me lire, mais tout de même connecté, qu'il faut s'en souvenir de cette soirée parce que bientôt, nous aurons des enfants. Mais quand l'excès est gentillement ponctuel comment ne pas l'accueillir lui aussi en bon ami?

4.12.2007

pour une dernière fois

Cet après-midi, du onzième, je regardais les peaux de lièvre tombées des cieux congestionnés. Merveille de la nature. Et mon Dieu que ce sursis de température printanière en peine plus d'un. Combien de lamentations se sont élevées aujourd'hui de mon immeuble boulot? À lui seul, sûrement un bon millier. Putain que ça chialent les êtres humains qui veulent à tout prix socialiser et se serrer les coudes. Étrangement, pour se conforter dans ce que tout le monde sait déjà pourtant. Oui, il neige. Oh la, la, quel malheur, non? Moi, je sors mes mitaines et ma tuque et je rigole en entonnant à qui veut bien l'entendre ma litanie plate de positivisme, au grand dam de mes collègues. Quand on se plaint, on veut se rouler avec l'autre dans la gadoue de notre misère commune. Je préfère suivre la chute des flocons denses jusqu'à leur disparition dans le brun tassé en monticules allongés par les roues des voitures ralenties par cette précipitation majestueuse. Ça me chaud au coeur de savoir que l'hiver tardif tient à ses derniers instants, jaloux de la prochaine saison.

Et M. de déclarer qu'il ne se souvient pas d'un anniversaire enneigé. Demain, 13, vendredi 13, anniversaire de monsieur M. plus précisément, que j'aime et que j'adore. Eh bien, cher amoureux, neige il y aura. Beau cadeau de Dieu, non?

Et dimanche dernier, jour de Pâques, chez ma mère, plus au nord, le décor ressemblait plutôt à celui de Noël. Malgré tout, maman se leva avant le soleil pour aller demander à un bouleau de bien vouloir lui céder un peu de son écorce pour une lubie gentille, une tradition mise en branle il y a quelques années maintenant. C'est ainsi que, des heures plus tard, nous nous sommes relayés autour de son coffre dans le salon où reposait l'échantillon d'écorce et une paire de ciseaux. Il paraît que de glisser un bout de cette retaille enchantée quelque part dans son porte-monnaie nous assure de l'argent pour l'année. Jolie superstition. Et moi de gambader dans les couloirs du onzième hier matin pour distribuer les précieux morceaux. Nc., ma patronne à la crinière blonde, a tendu la main en connaisseuse, la seule complice, à part pour Ct. Dans l'après-midi, elle m'a interpelée pour me demander d'où je connaissais cette tradition que sa mère perpétuait aussi de son vivant, là-bas en Gaspésie. Je ne sais pas comment ma mère s'est attachée à ce rituel.

Et moi de raconter à Nc. que la veille, lorsque j'ai acheté mon tout nouveau porte-monnaie dans une boutique du Westmount Square, j'ai mentionné cette tradition de l'écorce de bouleau, birch bark I told them et la dame de me demander if it is a native thing et Nc. de rigoler et de dire que j'aurais dû retourner la voir affublée de plumes multicolores et moi de rajouter, oui, oui, en chantonnant et en balançant mon corps d'avant à l'arrière. Au onzième, on prend le temps de déconner parfois.

Et pendant que je vous écris, M. n'est toujours pas arrivé. Prévisible puisque la neige continue de se jeter sur notre coin de la planète et donc, d'engorger la circulation comme disent les spécialistes. India Arie bat le rythme de mes touches et je pense à B. qui est à l'autre bout de la Terre, à quand nous écoutions cet album installées dans son Echo vert bouteille, d'une fois en particulier où nous chantions ensemble au coin Bélanger et St-Hubert. B., Bb. et les enfants respirent sous des cieux dégagés depuis quelques jours et le soleil réjouit ma soeur qui n'en pouvait plus de la grisaille causée par la pollution.

Au fond, la température éveille la plante en nous. C'est peut-être pour ça qu'on la guette tant.

4.10.2007

désir impitoyable

Est-ce que la laideur a aussi droit au désir? Entrée en matière un peu directe s'il en est une mais que voulez-vous, c'est à cela que je pensais aujourd'hui, il y a à peine une heure lorsque en descendant du train j'aperçois un homme court qui gambade jusqu'à un muret près de l'escalier roulant pour faire signe à une femme au visage blafard et ravagé par l'obésité de l'attendre. Quelques pas plus loin, il la rejoint et l'embrasse rapidement sur les lèvres. J'avais imaginé qu'ils étaient collègues de travail peut-être. Mais voilà, ils sont amoureux. Les jambes de la femme sont moulées dans un legging qui laisse ses chevilles découvertes. Je vois sa peau rougie et marquée de plaques sèches. L'homme au crâne rasé porte des lunettes épaisses et se plante devant elle. Ils ne parlent pas. Et je passe mon chemin.

Ils s'aiment et je me réjouis de voir que ces deux êtres se soient trouvés. Mais pourquoi au fait? Pourquoi me réjouir pour eux plutôt que pour un autre couple jeune et joli par exemple ou grisonnant, mais resplendissant de santé? Pourquoi me réjouir pour ces êtres? Et puis, je pense qu'ils sont sans doute fidèles l'un à l'autre, immanquablement. Oui, mais pourquoi immanquablement? Pourquoi n'auraient-ils pas droit, eux aussi, au désir qui vient parfois tout chambouler un court instant ou des années, selon? Tout simplement parce qu'ils ne rentrent pas dans les critères socialement établis pour l'humain "beau".

L'humain beau, pourtant, a de multiples visages. Et je reviens à cet homme et à cette femme . Ils ne sont pas beaux et pourtant, leur union retient mon attention et arrive même à me tirer une joie. Cette femme a-t-elle eu envie d'un homme un jour qui l'a rejetée? Même chose pour l'homme aussi sans doute. Sans doute, comme la plupart d'entre nous d'ailleurs. Et pourtant, je ne peux m'empêcher d'habiter cette peau gercée l'espace d'un moment. Et bizarrement, je sens que l'homme l'aime plus qu'elle ne l'aime lui. Chaque amour trouve son équilibre. Je lui souhaite de l'avoir choisi par amour et non par dépit.

Mais plusieurs choisissent par dépit, non? Peur d'être seul, peur de ne pas trouver meilleur partenaire, peur de se tromper, peur de l'inconnu. Peur du désir aussi. Fait qu'il n'apparaisse pas de peur de ne pas pouvoir y résister ou au contraire, de peur d'y succomber. Désir de mes deux qui titille l'être chaud, vivant, avide de l'autre. Et pourtant, je crois que le désir est moteur lorsqu'il n'est pas maître. Je suis maître. Je. La chimère fantasmagorique n'est que la chimère fantasmagorique, n'est-ce pas? Je prends le désir et je le plie de tout bord tout côté. Grâce à l'origamie, il devient une brise caressante qui effleure mon âme en chatouillant mon corps d'abord. Délice que je glisse dans ma poche, près de mes pierres philosophales.

Mais quand je désire un morceau de chocolat, je succombe à tout coup. Priorité oblige.

4.09.2007

la Pâques tire à sa fin



Ça peut avoir l'air d'un lapin, non?

L'auteur de ce dessin qui a retenu mon attention par un samedi après-midi, en direction marché Jean-Talon habite rue Drolet, a dû faire hommage à son chocolat.

4.07.2007

coup de pouce

Bonjour à vous lectrices et lecteurs,

Parce que l'univers des blogs est vaste et foisonnant, j'attire votre attention sur une adresse: www.canadaartblogs.canalblog.com qui accueille les artistes-bloggeurs du pays, quelle que soit leur discipline. Cette initiative est celle de M-H, bloggeuse au talent inoui et à la générosité sans bornes.

Venez y jeter un coup d'oeil et si vous créez, inscrivez-vous. Plus on est de fous, plus on rit.

Bon samedi.

4.06.2007

vendredi saint

Allô? Allô? Armand, c'est ta créatrice qui décide que tu avales ton bout de pipe et que tu tombes raide mort dans l'aile psychiatrique pendant que Marc réussi enfin à embrasser Jeanette qui aussitôt lui flanque un coup de poing bien senti dans le flanc pour finir dans le bureau du Dr Viel qui lui prescrit un médicament trop fort parce qu'il est distrait par l'image de Violaine et de sa chevelure noire. Berthe, elle, elle demeure à tout jamais anonyme.

Voilà pour ça.

C'est assez. Pour maintenant, je reviens au bitume de la ville parce que c'est lui mon inspiration ultime. Et que ce soir, avec S., j'ai foulé la Mont-Royal un coin de rue après l'autre, vers l'est, là où j'allais sauter dans une 45 transportant, entre autres, un jeune homme aux baskets identiques à ceux de M. qui battait du pied au rythme déversé de son casque d'écoute.

Au restaurant, elle me parle et me révèle des choses que je ne savais pas. Elle me les annonce comme ça, comme si, puisque je la connais depuis des années maintenant, comme si j'étais au courant de ces choses qu'elle me révèle. Et je sens que je n'ai pas l'énergie de parler aujourd'hui. Je me sens nulle de ne pas être là, avec des mots miraculeux qui peuvent dire exactement ce qu'elle a besoin d'entendre. Elle est forte S. et je sais qu'elle n'a pas besoin d'entendre quelque chose pour vivre paisiblement. Il y a des jours comme ça où il faut savoir reconnaître sa limite. Aujourd'hui, c'est le mien. D'un autre côté, justement parce que nous nous connaissons depuis des années, je peux être celle-là un peu à côté de la plaque. S. accepte ma présence et cela lui suffit. Le baume de l'amitié sans artifices, le miel de la fraternité cultivée au fil du temps.

Congé pascal. En rentrant, je suis passée devant une église sur Tillemont. Ce bâtiment, M. et moi l'avons remarqué pendant une marche il y a déjà trois ans de cela. C'est son mur de vitraux qui nous a fait dire qu'il faudrait un beau matin pénétrer dans l'antre sacré pour constater la luminosité teintée de tons de rouges et de bleus qui doit baigner le lieu de recueillement. Nous avons gravi les marches une ou deux fois peut-être pour toujours tomber sur une porte verouillée. Les églises ne sont plus ouvertes en permanence de nos jours. Les vols d'objets et le vandalisme ont obligé les paroisses à n'ouvrir leur porte que pour les heures de cérémonie. Adolescente, je prenais plaisir à aller m'asseoir dans le ventre de ces bâtisses au voûte surélevée pour sentir le benjouin qui flottait dans l'air et entendre le craquement des bancs de bois sur lesquels les croyants prennent place pour communiquer avec lui. Lui ou elle, mais je dis lui comme on dit "il pleut fort", sans désigner personne mais plutôt le constat lui-même. La pluie, l'univers, c'est un peu beaucoup la même chose, non? C'est grâce à des pluies torrentielles que la croûte terrestre a finalement commencée à ressembler à un lieu habitable. C'est aussi quand il pleut que les douleurs refont surface dans les âmes et dans les corps. Nostalgie et rhumatismes, c'est de la matière à mâcher le temps que ça passe j'imagine.

Ce soir, la porte était ouverte. Une femme a gravi les escaliers et a ouvert la porte. J'ai bien failli suivre son sillage et me retrouver là pour prier, mais j'écoutais de la musique et M. n'était pas avec moi pour voir et j'aurais préféré être avec peu de gens. Je crois qu'une messe allait débuter d'un instant à l'autre et mes pas ont tout simplement continué de se diriger vers le parc, tout près de l'appartement. Je prie où je veux et quand je veux. Mais j'aimerais pouvoir rentrer dans n'importe quelle église quand l'envie me prend. Ce sont des endroits extraordinaires, érigés avec majestuosité et grandeur. Des espaces chargés où il fait bon de se ressourcer. Comme le couvert d'une forêt ou l'appui d'une montagne.

Et pendant que Jésus descendait de la croix cet après-midi, je concoctais une soupe pour mon amoureux. Par temps froid, il aime être réconforté par un bol fumant. Quand je suis rentrée, il mangeait, attablé avec Fn. notre voisin du palier de dessous. Pauvre Fn. qui a voulu discuter avec moi en lançant la conversation sur la lignée de "votre génération travaille beaucoup et ne prend pas le temps d'avoir du plaisir et vous vivez beaucoup plus la compétitivité que dans mon temps, comment expliquer cela? Comment faites-vous? L'individualisme?" On ne refait pas le monde que je lui dis. Du travail, il y en a toujours eu à accomplir à la sueur de nos fronts et lui de relancer le tout dans le sens des inégalités entre le monde occidental et les pays où il n'y a pas d'eau courante pour tous par exemple. Pauvre Fn. parce que ce soir, je n'ai pas l'énergie pour discourir. De toute façon, cette discussion nous l'avons eue un millier de fois sur le balcon. Le geste fait la différence, l'action parle et au pied de ma croix, j'écris.

4.03.2007

XV

Abattu, Armand se dirigea vers la salle de ping-pong. Marc était affalé dans un coin, là où s'entassaient des tapis de gymnastique. Qu'est-ce que ces foutus tapis faisaient là, dans cette pièce, dans cet asile de fous? Nul ne le savait. Mais pour l'instant, Marc y était écrasé à défaut de combines à tramer ou de drogue à s'injecter.

L'air d'Armand n'échappa pas à Marc qui sourit un sourire de dents noires, sympathique.

- Pauvre gars, tu commences à devenir fou toi aussi, non?

- Laisse tomber. Tu ne comprendrais pas.

Et pourtant, après un long soupir suivi d'un interminable silence, Armand décrivit à Marc toutes ses péripéties, content de pouvoir laisser couler toutes les émotions endiguées. Marc écoutait attentivement. Il était toujours friand des récits des autres internés. Depuis le temps qu'il fréquentait ce genre d'institutions scellées à double tour, il en avait entendu des vertes et des pas mûres. Marc aimait analyser les montées de névrose, les chutes en enfer, les paranoïas à fleur de peau. Dans ce cas-ci, la perte de mémoire semblait être au centre du casse-tête. Rien de bien excitant à prime abord, mais puisque son cerveau fonctionnait très rapidement pour détecter la faille qui permettrait à la malice de faire son nid, il mijota sa riposte en attendant que le pauvre amnésique termine son récit.

- Écoute mon vieux, lança-t-il à Armand, tu peux profiter d'un peu tout le monde dans cette histoire.

- De quoi parles-tu? M'as-tu seulement écouter? Je suis un étranger aux yeux de ma femme et celle qui prétend être la mienne me donne la chair de poule.

- À part quand tu la baises comme un animal.

- C'est une sorcière cette Corneille. Elle m'a envoûté.

- C'est ça et je suis grand-papa Bi.

- Écoute, tout ce que je veux, c'est retrouver ma vie auprès de ma Violaine.

Armand répétait ce souhait comme un leitmotiv ou mieux, comme une supplication. Marc ne comprenait pas cette étroitesse d'esprit. Dans son cas, il n'aurait pas cherché à s'accrocher au passé, bien au contraire. Marc aurait couru vers toutes les possibilités futures: de nouvelles expériences, des nouvelles rencontres, des nouvelles ressources peut-être, pourquoi pas? Une page blanche, ni plus ni moins. Il discourut encore pour un bon quart d'heure pour faire miroter ce joyau d'occasions qui était à la portée d'Armand, mais en vain. Telle une vache ruminant constamment le même pâturage, le pauvre ne démordait pas de sa chère existence volatilisée.

Marc, exaspéré par le peu d'imagination de son comparse, lui suggéra de téléphoner un ami à lui pour tirer au clair son passé.

- Un ami pourra te dire ce qu'il sait de toi et te parler de ta vie. Mais attention, il faut le faire parler avec habileté. Dire que tu es dans un asile de fous n'est jamais une bon moyen pour débuter une conversation anodine.

Armand s'étonna de ne pas avoir penser lui-même à cette option toute simple. Cependant, son esprit était tellement emberlificoté ces jours-ci qu'il se pardonnait facilement ce manque de raisonnement somme toute assez logique. Marc regarda son bracelet-montre et indiqua à Armand qu'il devait faire vite car le cadenas reviendrait bientôt verouillé l'appareil libre pour quelques heures seulement à la fois.

Arrivé dans le couloir, Armand remarqua pour la première fois l'appareil démodé accroché au mur. Il savait qui appeler. Il contacterait Jules, son ami de toujours, celui qui l'avait vu grandir dans les rues en pavée crevassé de la campagne reculée. Fébrile, il composa le numéro et à la quatrième sonnerie, une femme décrocha l'appareil.