autopsie d'une soirée réussie
Debout dans la salle de bain, tout nu, tout juste sorti de la douche, il mange un quartier de mangue en plongeant les dents dans cette chair douce et sucrée. Il se sent comme un animal qu'il dit et je comprends qu'il est un grand félin qui ripaille. Animal, c'est une carte de tarot qui a beaucoup sortie hier soir. Elle et aussi Misère, Possibilité, Nombre, Vie, Feu, Donner, Rassemblement et Parole pour P. mon charmant voisin et Temps et Bien pour J. ma charmante voisine. C'est un jeu unique de 64 cartes, mais ce matin, après avoir compté par deux fois, il en a maintenant 63. Trois personnes ont peut-être la dite carte que je n'aie pas encore identifiée. Trois hommes: deux par mégarde, un par choix. Peut-être.
Il y avait huit bouteilles de rouge alignées sur la table de cuisine, des coupes avec des élastiques de différentes couleurs et grosseurs enroulées à leur pied, deux tire-bouchons, un rouleau de papier hygiénique d'extra sur le réservoir, des chaises d'installées dans le boudoir, F. nomme ainsi cette pièce de l'appartement, de la musique dans les hauts-parleurs et de l'encens pour dissiper les ondes, pour les rendre souples et accueillantes, réceptives à toutes ces énergies que nous allions recevoir dans notre antre.
A., soeurette en beauté de M., s'est présentée en premier. Un début de bon augure si vous voulez mon avis. M. lui a appris qu'il avait appelé son papa pour le remercier du cadeau reçu. Les yeux pleins d'eau nous avons respiré ensemble, les trois, l'instant d'un silence heureux. M. était en brouille avec son papa. Des mois de séparation imposée par un fils blessé par le geste de son père ayant brisé le cocon familial. À partir d'ici, tout y ira bien, tranquillement.
F. appelle et demande s'il peut débarquer maintenant. Et le voilà qui quitte son logis du dessous pour grimper d'un étage. Sa présence est celle d'un être plus grand que nature. Il s'asseoit dans un fauteuil et il nous raconte que c'est à 26 ans, âge du célébré, qu'il a perdu son père en novembre et son grand-père avant, en février, que sa première femme était enceinte de leur fille et qu'il se promenait en décapotable américaine. Je ne me souviens plus à quel moment les cartes sont sorties ni qui j'ai tiré en premier. Étrange pourtant puisque je me souviens d'Am. qui les manipule pour les observer. Alors ce doit être F., mais plusieurs viendront s'asseoir dans la chaise face à moi pour voir leurs cartes tracées un semblant de cohésion par leurs mots, leurs graphismes, leurs liens déclenchés. Curieux de jouer avec le sort, de s'amuser avec lui.
L. et Ax. arrivent avec de grandes bouteilles de bière dans des sacs de papier. Puis ce sont les charmants voisins qui suivent et ensuite, nos voisins de palier, et Mx. et S. qui surprennent M. Ils ne les avaient pas vus venir ceux-là. Il est heureux de cette réunion. Et il montre à tout nouvel arrivant sa scie en l'empoignant pour simuler le travail manuel qu'il pourra accomplir avec. Cadeau de sa lulu: ensemble d'outils. L'homme qu'il est jubile.
Sm., le voisin du rez-de-chaussée, arrive avec un six pack de bières noires. À un moment, je le vois boire d'un pot Masson. Pas de problème Sm. que je lui dis après remarquer son drôle de verre. Il dira plus tard dans la soirée que mon positivisme lui fait du bien. Tiens, tiens.
Mais c'est un dernier arrivant, à qui je demanderai pardon à genoux sur le balcon plus tard dans le soirée, qui surprendra M. Voyez-vous je n'avais pas invité Mt. Ni lui ni l'autre parce qu'ils sont deux Mt. qu'on appelle les deux Mt. J'explique à mon amoureux ce manquement intentionnel de ma part du fait qu'ils ne contactent pas M. souvent. Pour moi, l'amitié doit être vivante pour se maintenir. Alors quelle belle leçon d'humilité que de le voir arriver, sans rancune, pour fêter avec M. D'ailleurs, à genoux, tête penchée, accrochée à son pantalon, j'implorerai son pardon, qu'il m'accordera.
Une réunion heureuse, un peu trop de vin pour moi, de beaux hommes, de belles femmes, des amis, des rapports humains, un jeu de tarot étrange et bouleversant. L'équation parfaite pour une estafilade dans la mémoire. En coupant le chou-fleur pour la crème de légumes qu'il prépare au moment où j'écris ses lignes avec un estomac retourné, M. déclare au même instant, sans me lire, mais tout de même connecté, qu'il faut s'en souvenir de cette soirée parce que bientôt, nous aurons des enfants. Mais quand l'excès est gentillement ponctuel comment ne pas l'accueillir lui aussi en bon ami?
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