orphelins de l'Éden

3.31.2007

XIV

Armand suffoquait. Il réalisait que c'était l'abjection qui l'étouffait. L'avilissement tel le lierre se propageait d'un organe vital à l'autre en prenant racine dans ce sexe pourri qu'il maudissait. La Corneille s'était installée sur la chaise recouverte de vinyle en prenant bien soin d'aller inspecter auparavant son allure dans la glace de la salle de bain. Armand aurait voulu sauter dans la douche, frotter ce corps qu'il exécrait parce qu'il venait de le mener par le bout du nez. Il savait bien que son amour pour Berthe-Violaine était réel et pourtant, une part de lui avait dominé toutes les autres l'instant de tout mettre en péril. Sa dignité s'étiolait à chacune de ses respirations. De surcroît, le destin avait voulu que sa femme, pas la Corneille, l'autre, Berthe, les suprenne dans cette pose indécente. Comment allait-il l'aborder à présent? L'aborder en lui déclarant son amour surtout, l'aborder en tentant d'évoquer mille et un petits souvenirs pour provoquer une étincelle dans son coeur qu'il croyait connaître si bien, mais qui aujourd'hui, lui disait-on, lui était étranger.

Désemparé, il vacilla jusqu'au lit et s'affala. Il pâlit tellement que la Corneille s'inquiéta de voir son teint blanchir aussi rapidement. Il semblait se vider par l'appétit vorace d'une sangsue invisible. Alarmée, elle quitta la pièce et lui, secoué par un froid sibérien se contracta sur sa couche, en proie à des crampes violentes qui lui déchiraient l'abdomen. Il suait, il râlait. Le délire n'avait prévenu personne et surtout, pas lui.

La Corneille réapparu peu après qu'il ait perçu des chuchotements. Il s'imaginait que sa conscience débattait avec ses bas instincts quelque part, non loin. Il s'imaginait que tout cela, le mur sur lequel rebondissait son regard fiévreux, le mince drap humide qui le recouvrait, les crampes qui le sciaient en deux, Jeanette dans la salle commune, Marc qui le conseillait plus tôt, la prise de médicaments aux couleurs de l'arc-en-ciel, tout cela n'était qu'un très, très mauvais rêve. Pitié, qu'il demandait à la force supérieure, pitié.

Des mains tâtèrent son bicep. Une piqûre brûla sa chair rigidifiée par le souffle glacé qui s'abattait sur lui. Et puis, plus rien. Black-out.

Le lendemain, il s'éveilla avec une soif inextinguible. Le feu nichait dans ses entrailles. Affaibli par le choc de la veille, il peina à se sortir du lit. Il remarqua qu'on avait rajouté une couverture pendant qu'il dormait. Arrivé au comptoir de la réception, il vu la garde à l'air maussade et revêche et faillit s'effondrer lorsqu'il comprit que Berthe-Violaine avait terminé son quart. Ratée sa chance de tirer au clair sa situation. Par chance, l'épuisement le terrasserait une bonne partie de la journée.