orphelins de l'Éden

3.27.2007

XII

Ma bouche brûle à présent d'avoir reçu autant de bonbons à la cannelle. Je suis un gros bébé lala, que voulez-vous? Merci pour votre indulgence, c'est un bec-et-bobo du tonnerre!

Requinquée, je repars:

Les visiteurs commencèrent à affluer sur l'étage. Les internés les recevaient dans la salle à manger, dans la pièce commune, dans celle consacrée aux jeux ou encore, tout simplement dans leur chambre. Certains visiteurs étaient venus le soir d'avant. Armand les reconnaissait par leur attitude pleine de sollicitude envers les êtres fragilisés. Parce que les fantômes aux jaquettes bleues étaient bel et bien fragiles. Quelque part sur le fleuve tranquille de leur existence, un siphon avait aspiré leur cours des choses pour le tirer vers le chaos, vers des profondeurs inexplorées qu'il fallait maintenant sonder pour retrouver la cohérence, la paix ou à tout le moins, la rationalité. Ici, Armand fréquentait des tourmentés. Dans leurs têtes, des tempêtes rageaient ou pire encore, des trous noirs semblaient s'être installés, inexorablement. Parmi cette faune marginale, il détonait par sa contenance.

Dans un coin de la salle commune, Jeanette, assise, observait les arrivants de son point de vue. En retrait, elle les voyait sortir de l'ascenceur que la majorité de fantômes n'avaient pas le droit d'utiliser. Il fallait demander la permission pour descendre même si on avait obtenu le feu vert du psychiatre en ce qui concernait les sorties. Marc avait expliqué à Armand que les toubibs accordaient un nombre d'heures de sortie aux patients qui montraient des progrès. Ici, on parlait de progrès quand le patient répondait bien au cocktail de médicaments couleur fuschia, turquoise ou citron en se comportant agréablement en société. La plupart devenait un peu légume. Leur apathie soupesée, il était renvoyé dans la masse sans crainte. Aussi, le tout se faisait en progression. Un patient se voyait accorder un bloc de deux heures aux deux jours, puis quatre heures à la même fréquence, puis peut-être un avant-midi par-ci, par-là et enfin des journées complètes avec comme consigne de revenir avant la fin de la période des visites. Quelques-uns remontait plus rapidement la pente et à eux, on leur permettait plus, plus rapidement. L'ultime but pour les internés était le congé définitif qui leur rendait leur liberté. Cependant, Marc prétendait qu'un écorché demeurait à tout jamais lié à l'asile, soit avec un fil presque transparent, soit avec un câble épais comme un boa constrictor.

Armand vint prendre place près de Jeanette. Aucun visiteur ne s'était dirigé vers cette pièce. Le téléviseur affichait des images de téléroman américain traduit pitoyablement. De toute façon, personne ne portait attention au babillage des personnages peinturlurés qui défilaient à l'écran. Jeanette avait une mine renfrognée. Armand s'imagina qu'elle attendait peut-être quelqu'un qui tardait à arriver. Mais peut-être était-ce plutôt un visiteur qu'elle ne désirait pas recevoir. Ici, il était assez difficile d'éviter la personne qui venait nous rencontrer. Ainsi, les parents forçaient leur place près de leur progéniture déroutée en tentant de les ramener sur le droit chemin. La tactique moralisatrice n'était pas la meilleure position à adopter auprès des déboussolés qui bien souvent n'avaient pas cherché à finir leur trip de dope emmaillotés dans une camisole de force. Certains, plus insondables, avaient perdus le nord par cause de mauvaise soupe génétique. Ceux-là, Armand les plaignait vraiment.

Armand, perdu dans ses pensées, n'entendit pas Jeanette qui s'adressait à lui à voix basse pour lui annoncer la venue de la femme à la chevelure noire vers eux. Jeanette l'avait aperçu l'autre jour, sortant de la chambre du nouveau venu. Elle la trouvait belle, trop belle à vrai dire. Jeanette observa la démarche féline de cette créature de rêve. Elle l'enviait. Elle aurait presque voulu lui sauter à la figure pour lui crever les yeux, mais elle retint son agressivité en se rappelant les privilèges qu'elle avait acquis depuis qu'elle ne cédait plus à ses pulsions. La brutalité qui se terrait en elle se réveillerait une fois qu'elle serait retournée dans le monde. Elle le savait bien puisque c'était son troisième séjour dans ces murs.

Armand réalisa que la Corneille était devant lui lorsqu'il leva enfin le menton. Elle le regardait avec des yeux presque implorants, l'air de crier un besoin de reconnaissance. Elle lui tendit la main. Il la ferma dans la sienne. Un choc le secoua et de sa cervelle une impulsion sexuelle déferla dans son corps violemment.

2 Comments:

At 7:27 p.m., Anonymous Anonyme said...

Très bien ce post.
Voici maintenant mes mots:

- chaleur
- douceur
- égaliseur

M.

 
At 8:04 p.m., Anonymous Anonyme said...

Chère Lulu,
j'ai reçu ton message. Je croulais alors sous les lectures. J'ai pensé à quelques vers héraclitéens d'un poète du 16e siècle :
" Tout coule,
Toute s'écoule,
Tout s'écroule"...
Enfin, à force de travailler sur des auteurs obscurs, force m'est de constater que certains vides et questions finissent par s'infiltrer en moi. Je ne leur ouvre pas trop l'esprit, mais il s'agit de chapardeurs habiles qui font éclater quelques verrous.
Je vais, je vais. J'irai, j'irai mieux le 20 avril, une fois que l'épreuve sera "exécutée". J'imagine que je quitterai l'obscurité de toutes ces questions et te rejoindrai dans le visible du printemps.
Ton amie qui t'aime beaucoup,
Ah oui, je dois te parler de sites de bloggeurs littéraires. Important. Si tu m'appelais?
Bises

 

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