orphelins de l'Éden

3.14.2007

VIII

Berthe. Armand n'avait jamais entendu ce prénom auparavant. Il ne connaissait aucune Berthe et cette femme, c'était sa Violaine, aucun doute là-dessus.

Dr Viel se retira de la chambre, laissant le pauvre confus mijoter dans son tourment. Avant de quitter, il avait tenté de se faire rassurant en expliquant que souvent, lorsque quelqu'un subit un choc quelconque, la mémoire mêle tous les souvenirs telle un enfant qui jette un paquet de cartes à jouer très haut dans les airs pour s'amuser à les voir tomber n'importe où et n'importe comment. Armand sentait les larmes lui piquer les yeux. Il fallait qu'il retrouve les bornes de son existence, quelques bouées de sauvetage pour le tirer de ce mauvais pas.

Il décida de se lever pour partir à la recherche de sa femme, pas cette inconnue à la crinière noire. Tiens, pensa-t-il, il l'appelerait la Corneille. Sa femme, sa Violaine, si elle travaillait ici, devait être là, près de lui. Quand il la verrait, s'imaginait-il, il pourrait lui parler et là, quelqu'un croirait qu'il n'est pas timbré.

Armand prenait conscience de sa chambre pour la première fois. Il y avait un lit, sur lequel il était assis, une chaise de bois au recouvrement de vinyle rouge, une console métallique, servant de table de chevet, une grille sur la fenêtre, un meuble penderie et des rideaux rugueux pendus à une pôle inatteignable. S'il voulait se pendre, il lui faudrait un escabeau. C'est bien connu, les psychiatrisés sont suicidaires. La salle d'eau exigüe était réservée à l'usage de deux chambreurs, donc située entre deux pièces, deux chambres, l'autre aussi triste que celle dans laquelle se trouvait Armand.

Un homme assez gros était assis sur la chaise dans cette pièce miroir à celle de laquelle Armand venait de faire le tour en la balayant du regard. Il était vêtu d'une jaquette bleu pâle attachée lâchement derrière son dos à la hauteur du cou et peut-être des reins, mais la chair molle était immobile dans ce fauteuil et Armand pouvait constater que l'homme avait les cheveux gras et qu'il était chaussé de pantoufles au tissu carrelé à semelle de caoutchouc rigide. Les bras étendus sur les appuis laissaient pendre deux mains longues, semblables à ceux d'un pianiste. Armand se racla la gorge. L'homme se retourna sèchement et son regard bleu clair sembla passer au travers Armand. La tête ronde à la coiffure hirsute revient tranquillement dans sa position initiale. L'homme attendait peut-être quelqu'un et de toute évidence, Armand n'était pas le visiteur désiré.

Armand s'aventura dans le couloir qui était large et dont les bas de mur étaient salis et marqués de longues stries horizontales. Armand comprendrait plus tard que ces marques venaient de fauteuils roulants et de chariots de nourriture ou d'entretien ménager. Pour le moment, l'espace était calme et un soleil lumineux baignait les dalles crèmes mouchetées de gris. Armand jeta un coup d'oeil à l'extérieur. Cette clinique était haut perchée. Il estimait être au septième étage d'un immeuble.

Une rumeur lui parvenait à présent. Des chuchotements perceptibles lorsque l'on tend bien l'oreille. Armand avanca dans le couloir, toujours décidé à trouver sa femme. Au bout du couloir, un bureau de réception campait là, au milieu du lieu cloîtré par d'immenses portes bleues. Arrivé à ce point central, Armand vit une jeune femme vêtue d'un uniforme mauve qui feuilletait un dossier épais assise derrière un comptoir encombré de paperasse. Il demanda Berthe. La jeune femme observa Armand avec beaucoup de douceur, peut-être un peu trop même, l'air de dire pauvre vous tout confus, fraîchement débarqué dans cet asile. Armand répéta sa requête. La femme articula lentement que Berthe ne devait revenir que demain soir et que pour l'instant, il valait mieux pour lui de continuer son chemin parce qu'il était interdit de s'attarder à la réception trop longtemps. L'aiguille sur l'horloge accrochée au mur juste en face de lui n'avait pourtant bougé que de deux coches depuis qu'il se tenait là.

Armand décida de suivre le murmure de la rumeur et lorsqu'il parvint à la pièce commune, il vit un certain nombre d'individus, hommes et femmes mêlés, affalés dans des divans et fauteuils disparates mais tous recouverts de vinyle. Tout ce beau monde était rivé à l'écran d'un téléviseur. Sur les murs, deux tableaux d'artiste de bazar pendaient, penchés par le poids du temps qui passe sans doute. Quand Armand pris place sur un siège jaune serin, sa voisine aux lunettes épaisses se tourna vers lui et lui demanda:

- Pourriez-vous m'enlever mon écharde? en lui tendant un doigt jauni par le tabac.

1 Comments:

At 7:49 p.m., Anonymous Anonyme said...

gifle
luxure
mélancolie

à toi...

F.

 

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