Assise devant l'écran, la couette dans les airs et les yeux fripés, je sais que je n'ai pas assez dormi. Lundi férié heureusement. Nous sommes revenus à 2 h 30 du matin de St-Cuthbert, là où le père de Sm., notre ancien voisin du rez-de-chaussée, a acheté une maison et une ferme bâties sur une terre immense qu'il loue en partie à des agriculteurs qui cultivent le soja. Sm. nous a invité à aller célébrer son anniversaire autour d'un feu. Nous nous rendons donc, à bord de Jasmine la Fit, accompagnés de nos anciens charmants voisins. Nous passons les prendre à leur nouveau paradis qui est franchement beau. J. nous fait visiter tous les recoins de leur nid. Dans la cour, le vent siffle des mélodies dans les feuillages d'arbres gigantesques plantés dans des cours voisines. Ces arbres sont les témoins centenaires de l'endroit.
Dans la voiture, P. est comme le stroumph grognon. Monsieur met son grain de négativisme dans toutes les conversations: désillusion face au virage vert des grandes entreprises, doute sur la véracité d'un fait dans une histoire que J. raconte, mauvaise foi quand finalement elle aboutit à la conclusion de son monologue après un grand détour. P. est au prise avec le stress du déménagement subit au paradis. M. et moi, on tente de rassurer ce couple charmant que ce n'est qu'une phase temporaire et que bientôt, ils savoureront la pleine valeur de leur
move. L'achat d'une propriété est un défi à relever, des choix décoratifs à la signature chez le notaire, en passant par les rénovations et la recherche d'un évaluateur chevronné, sans oublier les coûts à défrayer, l'adaptation au nouveau milieu de vie, l'angoisse face à la décision.
Nous prenons la sortie Berthierville et de là, P. tente de guider M. à partir des indications que J. a notées au téléphone quand Sm. les lui expliquait, mais j'annonce tous les prochains virages que M. doit faire avant lui. Le shtroumph grognon dit que je lui vole tous les punchs. P. est plein d'humour, tout le temps. Oui, je me souviens, mais cette fois, la terre ne dort plus sous un manteau blanc, elle ondoie de multiples teintes de vert. J., qui venait pour la première fois, dit qu'ici qu'on constate l'infini du Québec.
C'est un Sm. heureux qui nous accueille. P. dit que Sm. est déguisé en épi de maïs parce qu'il porte un t-shirt jaune pétant et des baskets de skateux aux lacets de la même couleur flashante. Dans la maison ancestrale que son père retape petit à petit, le paternel est là justement, une bière à la main. Sm. et lui sont en train de préparer des tartiflettes, plat rapporté par Sm. d'un voyage en Europe. Attentionné, Sm. en prépare une sans bacon pour J. et moi. M. qui aurait sans doute goûter à la version viandée s'abstient d'en manger quand le plat est déposé sur la table parce qu'il y a du reblechon. Le fromage coupe l'appétit de mon chéri à tout coup, à part sur la pizza. Un blocage culinaire associé à un traumatisme d'enfance.
Pendant que Sm. et son papa poursuivent la préparation du repas, Br. arrive avec sa petite-fille El. dans ses bras. Je leur trouve un air de famille évident et je la prends pour la mère. Jc., le papa de Sm., me dit que Br. est la grand-maman. Je comprendrai plus tard que Br. est l'amoureuse de Jc. et non la mère de Sm. De nos jours, il faut faire attention avec ses assomptions. Deux fins de semaine de suite, j'ai fait la gaffe de ne pas poser la bonne question: qui est relié à qui ici et de quelle façon? La semaine dernière, c'était Lr. et JF que j'ai associé père-fils parce qu'ils ont le même air taquin. En fait, Lr. est maintenant l'amoureux de la maman de JF, mais pas son papa. Familles reconstituées, quand tu nous tiens.
Sm. nous propose de sauter sur les quatre roues pour suivre le chemin qui traverse la terre de son père. Je suis énervée comme une gamine tant et tellement qu'une fois rendu au bout des champs, P. me propose d'enfourcher l'appareil qu'il conduit pour le retour. J. qui s'agrippe à moi me dit qu'elle me fait confiance. Et je pars avec un sourire étampé sur le visage. Après le souper, qui tombe dans nos estomacs comme une tonne de briques avec toutes ces patates, ces oignons, cette crème 35% et ce fromage, Sm. nous embarque à l'arrière d'un tracteur plus vieux que moi. À un moment, P. propose que je le conduise et Sm., patiemment, m'explique comment manipuler l'engin. M. prend des photos de moi et parce que la pénombre tombe rapidement pour faire place à la nuit, le flash clignote avant de se décider à saisir le moment. M. est Thor sur un chemin de terre à St-Cuthbert.
Sm. nous emmène jusque dans un boisé où s'élèvent des hêtres et de la pruche, deux essences rares au Québec. Là, il y a une cabane à sucre, la première que J. voit dans sa vie. C'est une bâtisse toute petite pour faire une production privée. Pour revenir, Sm. embraye la troisième et le tracteur roule à toute allure pour rentrer au bercail. En descendant, J. et moi on repart sur le chemin pour faire une marche santé. La tonne de brique nous pèse encore sur l'estomac. Elle me parle de sa mère et de son père, de leurs vies pendant que la lampe de poche que je trimballe projète des ombres à nos pieds et sur les arbres de la pinède.
À notre retour, on mange une pointe du gâteau rose fluo aux fraises que je suis allée chercher chez Première Moisson. Je raconte comment la fille qui a pris ma commande ne pigeait rien de ce que je lui disais à cause de mon accent. Ça grouillait de Françaises derrière le comptoir de la boulangerie. J. rit aux éclats et P. fait la remarque qu'il y a plus de Français que jamais en ville. Sm. dit que c'est parce que les cours reprennent.
Après, on se dirige au feu, près de la ferme. Deux amis de Sm., Mr. et Ch., viennent d'arriver dans leur 323. Les dreadlocks de Mr. sont beaux à présents et plus tard, elle chantera avec brio une chanson de Tryo accompagnée par Ch. à la guitare de P. On joue de la musique et à des jeux de logique. Ct., une autre amie de Sm. que l'on connaît pour l'avoir vue ici même au mois de février, comme Mr d'ailleurs, pendant notre fameuse partie de hockey sur l'étang, débarque et nous raconte qu'elle et son amoureux ont ramené des punaises de leur voyage à Cuba. L'enfer. Elle nous explique comment faire disparaître ces minuscules bêtes suceuses de sang d'un logement. Je me rappelle de la fois au cégep où la gale avait contaminé nombreux d'étudiants dont moi. Cet araignée microscopique qui pond sous la peau est une satanée bestiole. Étape par étape, il faut tout aseptiser, mais se débarasser des punaises, c'est plus
heavy encore. Nous plaignons tous la pauvre Ct.
On fait l'accolade à notre cher Sm. et on rembarque dans Jasmine. Je mets du Bob Marley pour me tenir réveiller en chantant. Les trois autres tombent tous endormis, mais M. se réveille en passant le pont Legardeur pour me tenir compagnie et s'assurer que je prends les bonnes sorties. J. et P. se réveillent quand le véhicule s'immobilisent à destination. Je fais un pipi parce que ma vessie ne tiendra pas le coup jusqu'à l'autre rive. Je traverse pour la première fois le pont Victoria en conduisant. On arrive, on se brosse les dents et je dois dire à M. de se taire pour enfin m'endormir. Je sombre subito. Ça fesait 21 heures que j'étais réveillée.