orphelins de l'Éden

9.26.2007

l'univers porté, l'univers à portée

Glace, exercice, orthèse et osthéopathie. Aujourd'hui, la douleur semble s'être évanouie. Je continue à suivre les recommandations de Jt. qui m'a tâté tout le bras droit lundi, de l'épaule au tendon sous ma peau entre mon pouce et mon index. Après tout, c'est elle l'experte. Alors, je vous raconte l'histoire de ce garçon que je rencontre parfois dans l'autobus tout en mots, sans photo.

Donc à tous les soirs, quand je finis de travailler, je me retrouve dans l'autobus qui décolle du quai à 15 h 54 précisément. À force d'habitude, je croise d'autres passagers qui, comme moi, sont réglés telles des montres Suisse. Il y a cette femme aux cheveux bourgogne peu épais et coupés ras, cet homme mince à la moustache grise qui s'assoit toujours près d'une fenêtre, cette jeune adolescente Asiatique qui trimballe un trousseau de clefs accroché à sa poche de jeans qui fait cling-cling à chacun de ses pas, d'autres et lui, qui arrive parfois en courant, à une seconde près du départ de ce bus. Je ne connais pas son prénom. Pas encore. La prochaine fois que nous nous rencontrons, je lui demande parce que là, j'aimerais bien le saluer correctement.

D'emblée, il est différent des autres parce qu'il se déplace difficilement. Je crois qu'il est atteint d'une maladie dégénérative. Ses jambes sont pliées en permanence et ses genoux se touchent presque quand il marche. Quand il s'assoit, son corps demeure crispé et courbé. Quand il parle, ses mots sont articulés lentement et c'est un autre langage à saisir. Il me rappelle Rn. que j'ai connu un peu il y a quelques années. Rn., lui, se déplaçait avec une chaise roulante sur laquelle il prenait appui pour marcher et dans laquelle il travaillait. Rn. vendait des crayons Bic sur l'Avenue Mont-Royal. Peut-être les vend-il encore? Il y a longtemps que je ne l'aie vu. Il y a longtemps que je ne suis allée sur l'Avenue.

Le garçon de l'autobus, comme Rn., a toute sa tête. Je me souviens que Rn. m'expliquait combien il était ardu pour lui de subir le débit ralenti de sa parole puisque ses idées, elles, s'alignaient tellement clairement et rapidement. Je me souviens aussi que parfois, quand il me parlait, je manquais quelques bouts de ce qu'il me disait et je lui demdandais de répéter. Parfois, il répétait, d'autres fois, il s'impatientait et je m'en voulais alors j'aiguisais encore plus ma concentration. Rn. et moi, on discutait environ une heure par rencontre. Je m'asseyais sur un rebord de commerce et nous parlions de politique, de la vie, de la nature humaine, de sa frustration à ne pas avoir d'amoureuse avec qui partager toutes les petites choses du quotidien.

Et donc, le garçon de l'autobus, lui, travaille sans doute pour une branche de Videotron puisqu'il est toujours vêtu d'un polo à l'effigie du superclub video et qu'une fois, il a ouvert son porte-document de cuir pour en extraire des pochettes de plastique de DVD vides qu'il a triées méthodiquement.

La première fois que je lui ai adressé la parole, M. était là avec moi dans l'autobus. Il revenait de se faire couper les cheveux et il savait quel autobus je prenais. Le garçon est monté et un homme bedonnant qui ne prend habituellement pas l'autobus de 15 h 54 mais plutôt celui de 16 h 04 l'a salué et la femme à la chevelure bourgogne aussi. L'homme bedonnant lisait Harry Potter et à ce moment-là, je le lisais aussi, mais il était dans mon sac à main parce que cette fois-là, M. m'accompagnait. Le garçon et l'homme ont commencé à parler du bouquin et je n'ai pas pu m'empêcher de m'en mêler quand l'homme bedonnant a mentionné quelque chose que j'oublie maintenant. Ainsi donc, à partir de ce jour, le garçon, l'homme bedonnant, qui m'a aujourd'hui dit qu'il avait terminé la lecture du dit bouquin et qu'il n'avait pas beaucoup aimé la fin, et la femme à la chevelure bourgogne me saluent aussi.

Le garçon, quelque fois après cette première fois, m'a adressé la parole et j'ai compris qu'il lisait un livre épais sur François Mitterand. Il me lançait une blague avant que je ne descende parce qu'il aime bien s'asseoir à l'entrée de l'engin tandis que je préfère la banquette du milieu qui longe le mur de la porte arrière, et c'était tout. Un bonjour poli et un éclat de rire échangé. Mais aujourd'hui, il est arrivé à la dernière minute et il a dû venir vers l'arrière du véhicule.

Nous n'avons commencé à parler qu'une fois rendus sur le boulevard Milan. Il a pris place en face de moi et il a sorti le fameux livre de Mitterand. Il m'a montré la page de garde qui était déchirée. C'est son livre. Il l'a tellement manipulé qu'elle a fini par se défaire. Je suis replongée dans ma lecture et cette fois, il m'a tendu un pamphlet à propos du village natal de Mitterand. Impressionnée, je lui ai "t'es un vrai fan". Et oui, le garçon est Foubrac de la France et de ses présidents. Il est allé visiter le village en 1999 et à la même occasion, il s'est rendu sur la tombe de De Gaulle. Je lui demande pourquoi il est si mordu de la France et il ne sait pas. Son père m'apprend-il a travaillé à l'étranger et lui a permis de réaliser ce voyage de rêve.

Nous en venons à Sarko comme le garçon l'appelle affectueusement. Il le trouve super et il met son pouce dans les airs. Il me dit qu'il est le seul homme dont la photographie est affichée dans sa chambre. Je lui demande ce qu'il pense de sa femme et il me dit qu'elle est belle. Mais ce sont plutôt les deux filles de Cecilia, blondes et superbes qui ont retenu son attention. Nous faisons des blagues à propos de lui qui aimerait bien devenir président un jour pour avoir à son bras une belle blonde. Sa mère dit que les belles blondes coûtent cher à entretenir. En blague je lui lance que je suis d'accord avec elle, qu'elles sont comme des voitures de luxe et qu'elles ont besoin de petits soins, constamment.

Cette fois, juste avant que je ne descende, il me dit que c'est bon d'avoir des rêves. Oui, c'est bon. On appelle ça rêver mieux.

1 Comments:

At 6:40 p.m., Anonymous Anonyme said...

hé bien !
Je devrais parler à mes compagnons de bus moi aussi !
Depuis quelques semaine je prend le même, à la même heure.. même chauffeur à chaque fois, même gang à chaque fois..
Mais aujourdhui , soit jai raté le bus (j'en doutte je suis arrivée à la même heure !) ou soit il n'était pas là. En fait celui de 7h15 n'est pas passé.. j'ai donc pris celui de 7hrs20... n'empêche que tous les habitués du 7h15 ont tous attendus sagements à chacun de leurs arrêts respectifs....
Comme quoi finalement je ne parle pas mais c'est si drôle d'observer !!

M-H

 

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