orphelins de l'Éden

11.02.2009

fortissimo

Monsieur pesait 8.1 livres à sa sortie de la matrice à 19 h 32 précises et mesurait 21 1/4 pouces. Voilà pour tous ceux qui me prédisaient un petit bébé en regardant ma bedaine. Pas gros, mais long, oui. Un poids en extension.

Ses cheveux, ils étaient ondulés, collés sur sa tête par le mélange de vernix et de liquide amniotique séché. Son nez aux narines ailées, pareil à celui de son papa. D'ailleurs, plus nous le découvrions en le scrutant avec fascination, plus j'avais la confirmation que mon intuition avait été bonne: bébé Bo. est la version miniature de M., jusqu'aux sillons sous les yeux que j'ai remarqués lorsque mon fils est venu s'installer à mon sein.

Notre séjour à l'hôpital aura duré quatre jours et demi, du dimanche matin au jeudi midi. Après l'intervention chirurgicale rondement bouclée, nous nous sommes retrouvés tous les trois dans la chambre privée 305, notre bulle d'intimité pour les premiers jours de ces instants fondamentaux. Seul le flot constant du personnel médical et des préposés nous rappelait au monde extérieur. Et quel flot.

Pendant les premières heures suivant la césarienne et la naissance assistée de Bo., les signes vitaux venaient être consignés à tous les quarts d'heure, pour ensuite passer au demi-heure, puis aux heures et finalement, aux quatre heures.

Dès que je me retrouvai réunie avec mon fils, je demandai de l'aide pour débuter à l'allaiter. C'était le début de plusieurs tentatives, opérées par autant d'infirmières, pour le mettre au sein. Mes mamelons étant paresseux, ils ne stimulent pas assez son palais et Bo. n'a donc pas le réflexe de succion pour s'y accrocher tout à fait, réflexe qu'il a de très bon pourtant quand vient le temps d'aspirer un auriculaire. Mes seins ont tellement été pétris, triturés, malaxés, même pincés, qu'ils se sont couverts d'hématomes en peu de temps. Les premiers boires ont donc été le résultat de l'extraction de colostrum, une précieuse goutte à la fois recueillie au creux d'une petite cuillère en plastique que nous glissions ensuite entre les lèvres de Bo. Quand au bout de quelques sessions pénibles une infirmière a décidé d'aller chercher une téterelle, il a agrippé l'embout de silicone placé sur la pointe de mon sein avec appétit et c'était le début de ses sessions de sustentation.

Mais par la suite, à chaque nouveau quart de travail du personnel infirmier - minuit à 8 h, 8 h à 16 h, 16 h à minuit -, une nouvelle opinion entrait dans notre chambre. La téterelle? Mais pourquoi? Avez-vous essayé sans? Laissez-moi tenter avec vous. Pourtant, toujours, il leur fallait admettre que pour l'instant, Bo. a besoin de cette "béquille".

Mais au final, on s'en fout. C'est ce que M. et moi avons décrété pour garder le moral face à cette cohorte négative, incluant la pédiatre qui nous a fait rester une nuit de plus à l'hôpital entre autres pour cette raison. On s'en fout parce que Bo. boit bien, prend du poids et évacue en urines et en selles, signes indéniables. Heureusement aussi, ma soeur G., ma marraine d'allaitement, m'a donné un coup de main éclair, mais salvateur lors de sa visite du lundi soir, et en deux temps, trois mouvements, Bo. a pu se régaler sans plus ressentir toute ma maladresse.

Quand nous avons pu quitter jeudi midi, c'est avec un soulagement immense que nous avons intégré Jasmine la Fit en nouvelle équipée. Le moteur activé a réveillé la carcasse sur roues et dans l'habitacle, Sigur Ròs a commencé à nous bercer tous les trois. Papa avait choisi tout particulièrement l'ambiance sonore pour son fils. À peine en marche, installée sur la banquette près de Bo., j'ai éclatée en sanglots gros comme des moutons sur une mer battue par l'ouragan le plus impressionnant. M. a croisé mon regard dans le rétroviseur et l'émotion l'a aussi totalement secouée. Nous avons pleuré jusqu'au paradis et encore en passant la porte. Quel moment fort. Celui qui ramenait notre nouvelle vie pour de bon à la maison.