orphelins de l'Éden

5.19.2009

cohérence

Pas le temps de venir ici hier parce qu'après ma journée de huit heures au onzième, je devais restée en ville pour aller à mon troisième cours de photo en soirée. Mais parce que parfois des journées passent et qu'on ne réalise pas toujours les minuscules fils conducteurs qui trament des thèmes au passage des heures, le recul du lendemain me permet de relater deux mini-événements dignes d'un rapprochement évident.

D'abord, une dizaine de minutes après être arrivée au boulot, un jour férié je vous le rappelle, mes collègues et moi entamâmes une conversation à propos de l'itinérance, de la pauvreté, des ressources disponibles, des causes pouvant mener quelqu'un à cette vie marginale, de la gentrification de certains quartiers montréalais, du rôle du gouvernement, de la nécessité à investir dans le système d'éducation afin d'outiller les jeunes citoyens à devenir autonomes. Beaucoup de mots, d'arguments échangés, d'opinions basées sur une mélange d'expériences et de préjugés. Une conversation qui s'est étayée en se mordant la queue pendant un bon gros vingt minutes. Après, le sujet de l'éducation a définitivement pris le dessus et bien que j'aie passé cinq années de ma vie engagée dans ce domaine de sorte de pouvoir y devenir une actrice active, je me suis retirée à mon poste pour laisser à d'autres de dresser le portrait selon eux pitoyable de la situation de notre coin du monde. D'après El., une collègue volontariste, elle-même mère d'une enseignante maintenant, notre système éducatif ferait piètre figure sur l'échiquier mondial. Nos enfants seraient en déficience par rapport à ceux de d'autres pays comme la Chine par exemple, la Russie, la France aussi. Moi, bien sûr, égoïstement, j'ai pensé au moment où petit être atteindrait ce stade de fréquenter les institutions scolaires, mais je n'ai soufflé mot.

Quelques heures plus tard, une autre collègue, Hl., Grecque d'origine et Grecque dans son mode de vie et sa spiritualité, me montre des photographies du baptême de l'enfant dont elle est devenue la marraine. La religion grecque orthodoxe m'impressionne à chaque fois que j'apprends de nouveaux détails liés aux rituels pratiqués. Sur les photographies, on aperçoit le prêtre vêtu d'une soutane d'une beauté à couper le souffle prenant place près du bassin rempli d'eau bénite symbolisant le Jourdain, dans un décor fastueux. Les Grecs orthodoxes sont à l'opposé total des Protestants en ce que le somptueux matérialise le domaine de Dieu pour les premiers tandis que pour les seconds, le dépouillement nous rapproche de l'essence divine. Quel monde étrange réunit ces deux façons de pratiquer sous une même bannière, celle du christianisme.

Je quitte le onzième à 15 h 30 et je me dirige vers le centre-ville en passant par Ste-Catherine d'abord, jusqu'à une boutique de chaussures où je reluque des modèles qui me laissent indifférentes. Je traverse le coeur de la Place Ville-Marie, celui à la surface, coincé entre des tours vertigineuses, et je décide de poursuivre mon chemin sur René-Lévesque, en direction du Complexe Desjardins. Quelques coins de rues plus tard, de nombreux protestants convergent vers une mer de drapeaux des Tigres de libération de l'Eelam tamoul qui m'oblige à traverser le boulevard. Mais justement, il y a là une basilique, une des seules de la ville que je n'ai jamais visitées. L'immense bâtisse religieuse s'appelle la Basilique St-Patrick et lorsque je pénètre dans son ventre, les teintes chaleureuses des boiseries sculptées de moult détails, l'éclairage tamisé créé par quelques cierges allumés et les nombreux vitraux multicolores filtrant les rayons du soleil, les tapisseries étampées de motifs dorés, les colonnades de marbre s'élevant jusqu'à la voûte impressionnante, les fresques dévotes, la chaire magnifique, tout cela qui remplit mes yeux porte un seul mot à mes lèvres: fastueux. Une autre époque du catholicisme montréalais, lui aussi sous la bannière du christianisme, s'étale devant moi dans toute sa splendeur.


Je me rends à l'arrière de l'église, là où les bénitiers se trouvent, mais l'eau qui semble croupie me fait retenir mon geste de plonger le bout de deux de mes doigts. Je fais donc le signe de la croix dans mon fort intérieur et je débute officiellement mon exploration des lieux, respectueusement. Je sors à peine mon appareil photo de son étui quand une femme passe une porte lourde et se signe pieusement. Je cadre ma première prise de vue quand elle m'aborde pour me dire qu'elle est une réfugiée et s'il vous plaît, auriez-vous un peu d'argent pour que je puisse nourrir mes enfants. Pendant qu'elle me déballe sa requête, sa lippe tremble d'émoi et ses mains se frottent. Mon coeur bat tout à coup un peu plus vite. La Ludivine d'il y a quelques années auraient ouvert son porte-monnaie et aurait tendu tout ce qu'elle pouvait se permettre de donner à ce moment-là. Mais là, mon coeur qui bat vite me souffle aussi à l'oreille que depuis quelques années, j'ai choisi de devenir donatrice auprès d'un organisme venant en aide aux personnes itinérantes et que c'est ma façon plus en retrait de contribuer. Je regarde cette femme qui prend mon silence pour un possible gain et enfin, je m'excuse, mais je ne peux rien vous donner. Elle fera ainsi le tour de tous les visiteurs du lieu sacré. Cette femme a compris à quel point des sentiments de contraction naissent dans l'esprit de celui ou celle qui se rend dans cette maison de Dieu, couvant sans doute des valeurs incluant celle de la générosité, qui se fait aborder par elle, par sa souffrance. Une façon de mettre quelqu'un sur des briquets ardents. Mais je ne suis le juge de personne. J'ai seulement le pouvoir de faire des choix. Parfois. Parce que souvent, la survie l'emporte et le luxe de choisir prend le bord. Alors, l'instinct me pousse. Et sans doute cette femme.

1 Comments:

At 9:03 a.m., Anonymous Anonyme said...

c'est vrai, c'est toujours dechirant de savoir quoi faire quand qqn nous demande de l'argent pour manger... ma solution est d'avoir souvent de quoi manger sur moi et de le donner. mais j'avoue que ton choix d'appuyer un organisme qui vient concretement en aide aux personnes itinerantes est encore plus constructif! bravo lu!
Jo

 

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