orphelins de l'Éden

2.25.2009

cosmogonie

Pour Rc., qui est mort cliniquement dix minutes, qui est revenu.

L'Homme se lève doucement. Il déplie son corps long et fort. Il défie la gravité. Sa montagne l'attendra.
Debout sur ses pattes de bête intelligente, il ne regarde pas vers ce confort qu'il a quitté, cette pierre lourde comme des milliers de pas incalculés sur les chairs du temps. L'Homme est géant. Sa Mère l'appelle.
Il voit dans les arbres les feuillages qui dansent. Des présages de beau temps ou d'orage. L'Homme peut continuer sans pain ni vin. Au passage, il cueille l'or d'ananas à l'écorce féroce.
L'Homme est fatigué. Il se souvient de ses rêves sur le sommet de sa montagne, tête roulée dans son cou. Il s'étend sur le sable du désert, s'endort pendant trois songes et s'éveille pour creuser un cercueil en terre tapée de chaleur conservée.
L'Homme ne faisait que se reposer. Il décide de suivre l'ombre du soleil. Des voyageurs le croisent sans le reconnaître, mais parmi eux, un enfant hurle. L'Homme lui demande pourquoi il crie. Il lui répond qu'ils sont tous aveugles et sourds aussi, coupés de leurs voix intérieures, celles de leurs pensées tendres, celles de leurs condamnations infâmes.
L'enfant a les cheveux argentés. L'Homme devient le père de la jeune ardeur. Avec lui, il choisit les fleurs, le bouquet pour la Mère. Ils marchent loin des consciences éteintes et renaissent près des cavernes de la reconnaissance. Ils lancent leurs voix sur les parois de ces maisons de pierre creuse. Ils appellent la Mère.
Elle se lève doucement. L'eau glisse sur sa peau, de son nombril vers Vénus qui brille comme l'étoile. Elle avance vers son enfant et cherche l'Homme. Elle sait qu'il est comme elle a voulu qu'il lui revienne, comme elle a voulu qu'il se déchire de sa montagne pour savoir qu'il peut se souder à elle.
La Mère est debout dans l'eau. Ses pieds sont des cailloux engloutis sous les cascades. L'Homme la voit et avance à son tour. Elle embrasse ce visage autre et le sien disparaît tout aussitôt, éloigné de ce chaste baiser. L'écorce couvre ses yeux, ses joues. Elle entend l'organe fibreuse se répandre sur l'étendue de ses courbes. Ses cheveux poussent en feuilles. Ses bras allongent en branches. Ses pieds creusent en racines. La Mère retourne à la Terre. Elle le savait. Elle le voulait.
L'Homme essuie ses lèvres et tend sa main vers l'enfant qui attrape le pouce et le porte à sa bouche de peur de devenir à jamais un être de transformation éternelle.
L'Homme et l'enfant s'endorment dans une caverne. Une chauve-souris s'envole boire la taverne afin d'oublier que les histoires germent et fuient, que les montagnes et les arbres témoignent de la vie et que les hommes sont des femmes aussi. Paroles de bestiole de minuit.