orphelins de l'Éden

2.10.2009

espace de transition

Adolescente et plus tard jeune femme, février était mon Sahara sans gourde ni oasis, mon mont Blanc au sommet piquant sous la Terre, direction le Sheol. Ces jours gris, froids et anonymes parce qu'aucun souvenir digne de me réchauffer le coeur ne semblait vouloir coller à ces dates, ils me drainaient. Je me vois encore dans ma vingtième année roulée en boule au milieu de mon futon à m'évader dans le sommeil. Passer le plus d'heures possibles sous la surface de la conscience. Noyer le spleen par les songes en creusant le matelas de mon corps en hibernation.

Dans ce mois, il y a la St-Valentin, mais entre vous et moi, la superficialité de cette célébration soulignée à coups de chocolats, de fleurs, de mots doux peut-être, n'a jamais supplanté l'aura glauque de ce creux annuel. Dans ce mois, il y a surtout la mort de mon père, son dernier souffle, les pleurs au petit matin lorsque mes soeurs et moi avons été transformées par cet événement irréversible. Alors adolescente et jeune femme, février déjà difficile, déjà long malgré qu'il soit le plus court des douze mois, ce février, il est devenu triste et bardé de ténèbres.

L'arrivée de M. dans ma vie a été un virage. Dès le début de notre relation, il a compris combien ce mois m'était pénible. Près de lui, les jours gris ce sont animés de joues rouges à s'exercer à l'extérieur et de la sensation chaude nos corps lovés sous une couverture pendant des séances de cocooning. M. a veillé sur mon humeur, s'assurant que je tenais bon devant le visage hypnotique de la mélancolie. Maintenant, février est devenu un mois nécessaire, glissé entre un janvier de gels et un mars de dégels. Et la date d'anniversaire de la mort de mon père a été transmuée par la conception de ma magnifique filleule qui jase tout plein ces temps-ci apparemment. La vie a parfois de ces hasards hallucinants. La première enfant de la nouvelle génération de ma famille a décidé de s'accrocher au nid de ma soeur B. le même jour où le fantôme de notre père revenait nous saluer pour une quinzième année consécutive. Brillant.

Étrangement, hier j'ai eu un flash. Il me semble que le 10 février, c'était l'anniversaire de quelqu'un que j'ai peu connu, mais auquel j'étais mystérieusement liée. Il me semble qu'aujourd'hui donc, c'est le jour d'anniversaire de Jf., ce garçon qui était un très bon ami de l'amoureux de ma soeur B. Je l'ai connu lorsque j'avais dix-sept ans. Je venais de terminer ma relation avec Tr., mon premier amoureux auprès duquel j'avais marqué mes trois dernières années d'existence. Jf. et moi sommes allés au cinéma voir je ne sais plus quel film. Je me souviens que l'album Mellow Gold de Beck jouait dans sa bagnole et que c'était la première fois que j'entendais cet artiste. Je me souviens qu'à notre retour à l'appartement, nous nous sommes étendus sur mon lit étroit et que je ne me suis pas sentie confortable blottie à ce corps nouveau, trop musclé à mon goût. Jf. aurait aimé continuer à me fréquenter, mais j'ai décliné son offre de découverte mutuelle, malgré sa douceur romantique.

De son côté, B. est restée en relation avec Fr., l'ami de Jf. De temps en temps, elle me disait que Jf. parlait encore de moi. À un moment, elle m'a même dit qu'il avait réussi à mettre la main sur une photo de moi et qu'il l'avait affichée dans son casier au travail. Je crois qu'il était devenu pompier. Je ne l'ai pas revu souvent. Je me souviens d'une boom qui a eu lieu chez lui sur la rive-sud. Je me souviens d'avoir traversé le pont Victoria pour la première fois de ma vie au retour.

Jf. est décédé il y a quelques années. Il était de ces individus casse-cou, à la recherche de sensations extrêmes. Il a plongé en bas d'un pont élevé, comme il l'avait fait à plusieurs reprises auparavant, du même endroit, mais cette fois-là, sa tête s'est heurtée à une roche sous la surface de l'eau et lorsqu'il est sorti de la rivière, une partie de sa mâchoire avait été arrachée. Il a expiré quelques minutes plus tard près de sa mère si je me souviens bien. Une histoire horrible. Une mort sordide. Il a laissé derrière lui un petit garçon.

J'ignore pourquoi il est revenu me visiter hier. Parfois, la mémoire ouvre des valves qui nous permettent de rendre des hommages. C'est bien peu cher Jf. Mais je sais que ceux qui te portent en eux ne t'oublient pas.

Et que février flirte avec les esprits.

2 Comments:

At 9:24 p.m., Anonymous Anonyme said...

Février a souvent été cité comme un des mois des plus difficiles dans les pays froids. Qui sait - est-ce une coincidence ou le temps? En tout cas, ziwi se joint à la bloggueuse pour "cafarder" un peu. J'ai décidé (avant de lire le blog) que c'est une sale période, ces temps-ci.

 
At 4:32 a.m., Anonymous Anonyme said...

Pour ton info ma Lu, Jf etait policier et non pompier... Tu ne realises pas combien tu as marque (et continue de le faire) plusieurs personnes ds ta vie par ton intelligence et ton savoir faire si unique. Et Jf avait bcp de respect pour toi, ca je le sais!
Je t'aime,

Bxo

 

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