orphelins de l'Éden

11.25.2008

si tout le monde était comme toi

En revenant du boulot hier soir, je suis tombée sur J-P qui rêve d'être Français dans l'autobus. Celui que je désignais auparavant comme J-P l'handicapé m'a justement confié sa tristesse d'être différent physiquement. Pour la première fois, nous avons abordé le sujet de son handicap parce qu'il m'a raconté avoir été congédié par son employeur des dix dernières années et que, selon lui, c'est à cause de la subvention que le gouvernement versait à celui qui l'engageait, lui l'être amoindri point de vue productivité, qui venait de prendre fin. J-P a de la difficulté avec sa dextérité fine c'est vrai et quand il parle, il faut s'habituer à la prononciation des mots qui sortent plus lentement de sa bouche qui se contorsionne dans l'effort de communication. Mais puisqu'il travaille dans un club vidéos, pas de problème à placer des films sur les tablettes comme il le dit lui-même ni à conseiller les clients cinéphiles.

J-P me dit à plusieurs reprises pendant notre échange que ça le blesse d'être ainsi traité. Il voudrait être considéré pour l'humain qu'il est. Il en a marre des employeurs qui le prennent pour bénéficier de l'aide gouvernementale et qui le jettent dès que les délais de compensation financière expirent. Ça, ce n'est sans doute que la pointe de l'iceberg par rapport à l'entièreté de sa vie.

Je me souviens entre autres d'une fois où il était installé sur un banc à deux places dans l'autobus et qu'il était tourné vers moi qui était debout dans le passage. La femme prenant place à son côté l'a poussé à un moment parce qu'il empiétait un peu dans son espace vu qu'il bouge son corps crispé lorsqu'il s'emballe. Mais le visage de cette femme, je vous dis qu'il était barbouillé de dégoût et que sa main me sembla chasser un moustique horriblement visqueux. Parce que J-P n'avait pas réagi à ce mépris, mais avait tout de même fait plus attention, je n'ai pas voulu faire de remarque à la femme. Pour cause de le côtoyer, je le sais fort. Autonome.

Pendant qu'il m'explique son ambivalence par rapport à la dite subvention qui lui facilite son intégration sur le marché du travail tout en lui mettant des bâtons dans les roues, il me regarde très sérieusement et en mettant sa main sur mon avant-bras, comme il a pris l'habitude de faire avec beaucoup de respect lorsque nous discutons, il me demande que je ne le prenne jamais en pitié. À mon tour, je plonge mon regard dans le sien, celui d'un enfant dans un corps de trentenaire, et je lui assure que non, bien que non, que j'aime nos discussions. Il soupire, soulagé et dit qu'il le sent bien que c'est quelque chose de bon qui motive mon ouverture à son égard. Il me le dit et son visage se détend dans un demi-sourire peiné qui traduit toute la fatigue de porter le fardeau de sa prison.

Pour tout dire, j'aime son intellect, son vocabulaire riche, ses manières de faire des liens avec ses expériences passées qu'il a de variées, ses éclats de rire qui emplissent l'air morose de l'autobus ramenant les banlieusards au bercail, sa différence. J'aime sa différence. J'aime le fait qu'il ne se soit pas arrêté pour lier conversation avec moi ce jour-là où M. Rn., un autre voyageur avec qui je jase de temps en temps, lui et moi avons parlé d'un des tomes de Harry Potter. Il ne s'est pas arrêté à penser que j'étais une inconnue. Il a vu l'humaine en moi. Celle qui partageait un intérêt avec lui: la lecture. Il a vu qu'il pouvait compter sur moi pour un brin de conversation qui n'a rien de bien engageant, à part une demi-heure de temps en temps, bien installés sur une banquette. Nos discussions me sont toujours heureuses. Pitié? Non, J-P, en fait, je te prends de plus en plus en amitié.