orphelins de l'Éden

4.18.2008

fourmillement

Je dois vous dire à quel point cette journée a été belle. Je dois vous dire à quel point je suis ravie, de retour au paradis.

Mes yeux s'ouvrent à 5 h 29 ce matin. Je suis en congé parce que je travaille en fin de semaine. Mais je dois me rendre en ville tôt pour me mettre dans une file d'attente qui me mènera à une salle d'attente, puis à une petite pièce, la 1, 2, 3 ou 4, pour me faire faire une prise de sang. Bonne habitude pour maintenir une bonne santé.

Je quitte la maison chaussée de mes sandales - je vous l'avais bien dit hier! - et vêtue de ma jupe de Gitane, mais il fait un peu froid au petit matin alors j'enroule mon écharpe en laine d'alpaga et je boutonne ma veste aux airs de Vietcong. Direction centre-ville de l'Île.

Après la file, dans la salle d'attente, je rencontre M-Hl. avec qui j'ai vécu un stage au Togo il y a six ans je crois. Elle me parle d'elle, de sa fille, de son amoureux, de sa carrière, de son accouchement extra difficile et compliqué. Je parle peu. J'habite St-Hubert-on-the-beach, je travaille au onzième, j'aimerais qu'un embryon s'accroche à mon utérus.

Mon nom est appelé après le sien et une dame très calme qui a ouvert la fenêtre de sa salle de travail où elle prélève me perfore le creux du bras droit pour remplir trois fioles de mon liquide de vie écarlate. Elle a le choix entre trois belles veines qu'elle me dit.

Je sors. Maintenant, j'ai faim. Je suis à jeun depuis plus de douze heures. Je gruge la chair juteuse d'une mangue orange que j'avais apportée pour cela justement. Je marche vers une superbe boulangerie dans le Vieux-Montréal, là où le pain est roi, les viennoiseries, duchesses. Un palais pour tout gourmand avide d'un endroit empreint de beauté. Je vais chez Olive et Gourmando. Je prends place à la fenêtre, juchée sur un tabouret, tournée vers la rue de pierres ancestrales avec ouverture sur le fleuve. Dans les rayons du matin qui s'éveille, je me régale de rôties de pain de levain exquis beurrées de confiture maison de framboises recouvertes de tranches de Cheddar Perron accompagnées d'un verre de lait de soya transformé en chocolat chaud Valrhona mousseux. Parce que j'ai les yeux plus grands que ma panse, je décide de mettre ma brioche au chocolat noir et bananes dans un sac de papier pour plus tard.

Je suis maintenant en direction du nouveau salon de coiffure où j'irais dès aujourd'hui me faire transformée de temps en temps par coups de ciseaux. C'est Ml. qui sera ma coiffeuse, elle qui vient du Témiscamingue et à qui je dis, lorsqu'elle me l'apprend, que c'est la troisième personne à me parler de cette région en l'espace des quelques heures écoulées depuis mon réveil hâtif. Il y a eu mon monsieur régulier à l'arrêt d'autobus avec qui j'ai parlé d'oiseaux, encore, et qui m'a dit que dans son coin de pays, en Abitibi, il n'a pas remarqué autant d'espèces de volatiles qu'ici, sans doute à cause de la végétation que je lui fais remarquer. Et puis, il y a eu M-Hl. qui m'a appris qu'elle a vécue deux ans à Val-D'Or pour y rejoindre son amoureux d'abord et ensuite tomber en amour avec cet endroit.

Les cheveux courts joliment coupés, je descends la St-Laurent pour aller chez Blank. Là, le vendeur sympathique me fait essayer différents modèles et me conseille, moi qui n'aime pas beaucoup passer à la cabine d'essayage d'ordinaire. Je me gâte aussi en m'achetant un beau collier, moi qui n'en porte pas depuis des années. Le beau temps m'inspire, c'est certain.

Et parce que j'ai eu un de ses maux de dos à cause de mes chaussures gentilles pour l'environnement, mais pas gentille pour ma lombalgie, il y a deux semaines, je décide de poursuivre sur la Main jusqu'à la Godasse. Là, je revois une paire de baskets aux airs de chaussures de grand-père avec laquelle j'étais déjà un peu tombée en amour lorsque je l'avais aperçue chez La Cordée il y a deux semaines. Je repars avec la dite paire de baskets après une sympathique discussion échangée avec le vendeur à propos des produits Patagonia. Je ne savais qu'ils faisaient des chaussures, il ne savait qu'ils faisaient des vêtements. Maintenant, nous nous sommes tous les deux instruits. Une trophollaxie axiologique en quelque sorte. Les meilleures, surtout par une belle journée ensoleillée.

Justement, le soleil est bon alors je termine mon périple chez Meu-Meu, après un arrêt d'abord chez Renaud-Bray, où je me procure une petite B.D. de la Pastèque. À la crémerie, le maître glacier exulte de convivialité derrière le comptoir. Je succombe pour deux parfums - fromage et coulis de bleuets et citron et zeste confit bio - que je vais savourer dans le petit coin de verdure sur Rivard, à deux pas de la station Mont-Royal. Pendant que je déguste mes boules qui ramollissent tranquillement, j'écoute la conversation qu'une jeune femme et un jeune homme ont, installés au banc public non loin du mien. Elle parle de l'eau, de sa qualité au robinet, de l'aberration de la boire en bouteille, ressource qui se fait pomper des aqueducs et filter selon elle. Elle raconte même qu'un voisin à elle a pelleté sa neige dans la rue hier pour finalement se lever ce matin et achever le boulot en arrosant l'asphalte pendant une heure avant qu'elle n'aille lui demander de fermer le flot s'il vous plaît parce que mes enfants n'auront plus de cette ressource dans vingt ans si vous continuez. L'homme, malheureusement, lui a dit de se mêler de ses affaires. Mais la jeune femme semble pleine de cette énergie revendicatrice et elle tient bon. Il faut faire bouger les choses sinon personne ne le fera qu'elle dit. Son interlocuteur est d'accord.

Et je rentre au paradis, avec une bouteille d'eau dans mon sac réutilisable Blank, plein de vêtements fabriqués au Québec, d'une B.D. dessinée par un illustrateur dont je détiens maintenant le seul exemplaire qu'il y avait dans tout le vaste réseau du libraire, d'un exemplaire de l'Itinéraire défrayé à un vendeur qui m'a avoué être dans la lune, d'une paire de baskets en cuir et liège dont la boîte est demeurée chez le détaillant qui allait la recycler, et d'une viennoiserie sublime fabriquée par des amoureux des bonnes choses. Je sais que l'eau en bouteille est une aberration chère étrangère, mais je mourrais de soif sous le soleil d'avril, moi qui marchais depuis des heures. Et les fontaines publiques que je connais étaient bien loin. N'oublie pas, il y a toujours une multitude d'éléments nécessaires avant de faire tomber le couperet du jugement. Dans un cas comme dans l'autre, le couperet coupe toujours. Sépare plutôt que de réunir. Toujours, heureusement, il y a par contre la formulation qui passe le message en douce, avec ouverture et amour d'autrui. De specimen de l'espèce à un autre. Sans division. Les trophollaxies axiologiques sont les meilleures, garanti.