orphelins de l'Éden

5.16.2007

rien ne se perd, rien ne se crée

Nous revenons de chez le notaire. Ça y est, nous sommes propriétaires et toutes les dettes qui nous tombent dessus pour les vingt-cinq prochaines années nous rendent légers de bonheur. Ces dettes nous appartiennent pour un bon bout de temps et nous serons responsable de les faire fondre tranquillement, au fur et à mesure que notre actif grandira. Nous avons maintenant notre lopin de terre et notre chaumière. Ou plutôt, la Caisse a notre lopin de terre et notre chaumière, mais bon, c'est tout comme.

Ainsi, ce matin, j'ai quitté l'appartement comme à mon habitude, chaussée de mes baskets vertes et munie de mon sac à dos couleur limette. Seulement, dans son ventre, je transportais un chèque lourd comme une charette chargée de lingots d'or. Ni vu, ni connu.

Et puis, le printemps a décidé de remballer le beau temps, histoire de se faire désirer les rayons davantage. Alors, sur le coin de rue de mon immeuble-boulot, mon parapluie a brisé. Clac! Un coup sec et fatal qui a décrété la mort de cet objet qui m'était fidèle depuis presque quatre ans. Étrangement, c'est arrivé aujourd'hui, jour où nous allions notarier. Ce parapluie, je l'avais acheté pendant une vente trottoir sur la Mont-Royal qui a lieu pendant l'événement Nuit Blanche sur Tableau Noir à la mi-juin. Je me souviens que je venais de passer ma première nuit d'amour avec M. Nuit blanche en effet, mais plutôt sur tableau de chair pendant laquelle nous avions exploré à peu près toutes les parcelles de nos corps. Au petit matin, nous nous étions assoupis, enfin lui, pas moi. Moi, j'étais partie chercher notre petit déjeuner.

Jl. m'avait passé son logement pour le weekend. Je crois qu'elle était allée visiter de la parenté dans son Abitibi. Et moi, j'étais entre deux feux, ici et là, séparée tout récemment de mon ex. La semaine, ma soeur B. et mon beau-frère Bb. m'hébergeaient dans leur jumelé à Bellefeuille parce que je travaillais à St-Jérôme. Je prenais le vélo pour me rendre à l'école où j'enseignais. Il ne me restait que quelques jours à travailler avant la fin de l'année scolaire.

Le logement était situé sur la rue Messier, à deux pas du tout nouveau nid de Sr. et Mx. Ce matin-là, il y a bientôt quatre ans, lorsque je suis arrivée sur l'avenue ouverte aux piétons, j'ai pu admirer les oeuvres exécutées au courant de la nuit. Je m'étais procuré un appareil photo jetable pour immortaliser mes groupes d'étudiants. J'en ai donc profité pour photographier un chat roulé en boule qu'un artiste avait dessiné sur le bitume. Il avait des yeux immenses et un air heureux. C'est là que j'ai déniché mon parapluie, juste en face de ce dessin. Il y avait ce commerce rempli de sac de voyages de toutes sortes, de sacoches, de valises et de parapluies. Je me souviens avoir négocier le prix avec le marchand, chose que je ne fais que très rarement. J'étais repartie avec cet objet long qui me donnait des airs de dandy avec son motif carrelé et son manche de bois patiné.

Après, je m'étais arrêtée aux Copains d'Abord pour des viennoiseries et à la fruiterie pour du jus et des figues fraîches. Revenu au logement, M. et moi avions mangé sans savoir que plus tard, bien plus tard, nous en viendrions à aujourd'hui. Mais mon parapluie semblait savoir lui que son mandat n'allait durer que pour ce premier pan de notre relation, qu'à partir de maintenant, M. et moi, nous rentrions dans une nouvelle étape de notre vie, que notre sac de billes ne serait plus constitué de deux moitiés réunies mais bien d'un ensemble à chérir ensemble, l'un avec l'autre. C'est Louis-José Houde qui avoue attribuer une âme aux objets et bien que le matériel surabonde autour de nous, certains objets ont vraiment un statut particulier. Des associations provoquées par les souvenirs ou les émotions nous lient à ces choses qui nous suivent dans nos demeures, nos sacs à main, nos bureaux. Mon parapluie était un de ceux-là. Mon parapluie est mort. Vive cette nouvelle étape de notre vie. Jamais je ne t'oublierai période d'avant la nidification. C'est par toi que nous sommes passées pour aller de l'avant, vers nos futurs soudés par une matérialité qui accueillera, si Dieu le veut, nos oeuvres d'art ultimes: nos enfants.