orphelins de l'Éden

8.16.2011

petites vies

À force de fréquenter les petits parcs dans notre coin, je finis par revoir des visages et à retenir des prénoms. Par exemple, hier, pendant notre sortie au petit parc de l'autre côté du grand parc, là où à tous les matins vers 9 h 45, un groupe d'une vingtaine d'enfants d'une CPE débarque pour jouer le temps d'une bonne heure, je recroise Sn. et sa petite El., à mon grand étonnement.

Sn., un natif du Manitoba marié à une Québécoise, m'explique que sa petite lui est revenue pour deux semaines parce que son éducatrice en milieu familial est en congé. El., qui a tellement grandi dans le dernier mois et demi, a commencé la garderie début juillet, d'où mon étonnement de les voir là. Tout se passe bien pour elle là-bas, heureusement. Il paraît même que Sn. éprouve un peu de jalousie à l'entendre gazouiller de joie dès qu'ils arrivent à proximité de la garderie.

Aujourd'hui, dans le petit parc juste à deux pas du paradis, c'est un grand-papa accompagné de sa petite-fille Nm. que je revois après plus d'un mois eux aussi. Plus loin, sur un banc, je vois l'arrière-grand-mère de Nm. et je la salue. Cette femme m'a déjà raconté que lorsqu'elle a emménagé dans la maison où elle habite encore, juste de l'autre côté de la rue, il n'y avait rien que des champs à perte de vue. Ni maisons, ni petit parc, ni boulevard. Lorsqu'elle vient vers nous, elle me répète qu'elle habite juste de l'autre côté de la rue et qu'il n'y avait rien que des champs à perte de vue lorsqu'elle a emménagé dans sa maison. Ce genre de répétition, tout le monde peut en faire, surtout quand il est question de papoter avec des visages familiers certes, mais tout de même beaucoup plus étrangers qu'autre chose. Nous en venons ensuite à ses enfants, ses petits-enfants, ses nièces et neveux et leur enfants à eux, à toute cette famille qui l'entoure et la visite encore régulièrement, pour son plus grand bonheur, elle, une femme autonome âgée de 82 ans. Rien de plus fort et de plus durable que les liens familiaux.

À un moment, elle nous salue parce qu'un homme est venu couper le gazon chez elle et qu'elle doit aller le payer. À peine engagée sur le sentier pavé qui mène à la rue, son fils me confie que ça devient de plus en plus difficile, que l'Alzheimer, ce mal foudroyant, a débuté ses ravages dans le cerveau de cette doyenne. À tous les jours, un membre de leur nombreuse famille vient s'assurer qu'elle se porte bien, que sa sécurité n'est pas compromise par un rond du poêle laissé allumé par exemple. Son fils s'occupe de payer ses factures, qu'elle jette à présent plus souvent qu'autrement sinon. Il dit aussi: lorsqu'elle partira, c'est moi qui sera l'aïeul à présent. Mon coeur se serre sous l'effet de ce fatalisme. Encore si vivante avec son regard perçant bleu électrique m'a-t-il semblé, mais déjà si près de sa fin selon sa propre chair.