orphelins de l'Éden

4.17.2011

r.i.p.

Sous mes mains, tous les muscles de son corps se relâche. Ce n'est déjà plus elle. Elle n'est déjà plus là.

De retour à la maison, en nettoyant les planchers parce qu'en quelques heures seulement sa vessie a décidé que c'était la fin, je la revois à plusieurs moments de ma vie. Quinze ans de compagnonnage, ça laisse des traces. Elle qui m'a suivie au travers vents et marées. Ma bouée de sauvetage qui me ramenait à l'essentiel en me ronronnant une berceuse.

Il fallait bien que ça arrive. Un animal de compagnie, ça vient avec une date d'expiration. C'est triste à dire, c'est peut-être trop cru pour certains, mais à moins d'être un perroquet qui peut vivre jusqu'à cent vingt ans, c'est vrai.

Le pire, c'est que de tous les moments, elle a choisi hier soir. Notre soirée d'intimité chaude s'est transformée en veille de deuil et garçon qui découchait pour la première fois de sa vie reviendra à une maison sans elle. À part le fait qu'elle ne sera plus jamais avec nous, roulée en boule au pied du lit ou courbée au-dessus de son bol à nourriture occupée à faire craquer les grains durs sous ses crocs, c'est ça le plus terrible, que garçon n'ait pas eu la chance de lui donner un dernier gros bec en enfouissant tout son visage dans ses poils comme il aimait tant le faire à plusieurs moments de sa journée.

M. me demande si je pense qu'il sera traumatisé. Partir sans nous pour revenir dans une maison vide de la présence de son chat adoré. Plus jamais pouvoir aller la brosser avec sa brosse spéciale qu'il allait chercher dans son armoire à elle, plus jamais passer ses orteils en éventail dans son pelage lorsqu'il est assis sur le petit pot le matin, plus jamais pouvoir l'embrasser première chose après avoir mis le pied à terre au réveil, plus jamais courir après pour la flatter. Je ne sais pas. Sans doute sera-t-il comme nous, triste de ne plus la trouver nulle part.

Nougat le gros chat, je te revois avec tes quatre frères, à gambader auprès de ta maman et de ta grande soeur au coeur de ce joyeux troupeau. Seule avec moi ensuite, seule mais avec toi, dans mon appartement sur Saint-Denis. Et puis, partout ailleurs où j'ai posé mon baluchon. Sur Mont-Royal, à St-Sauveur, sur Fabre, De Lorimier, St-Joseph où tu as rencontré ton papa chéri, Saint-André coin Jarry, et enfin ici, au paradis. J'aurais pu récupérer tes cendres pour faire ce pèlerinage à reculons et revenir dans l'Est de la ville où je t'ai rencontrée, mais j'ai préféré l'option d'hériter de l'empreinte d'une de tes pattes dans un moule d'argile pour pouvoir te garder avec moi toute ma vie.

Pour tout dire, j'ai bien failli ne pas te connaître aussi longtemps. Des cinq chatons de la portée, je t'avais choisie avec un de tes frères pour aller te faire adopter dans un pet shop. Il manquait deux semaines à ton sevrage et donc, je t'ai rapportée et plutôt que de choisir un petit chaton au pelage de vache, mon coeur a penché pour toi, douce beauté noire. Dès lors, je suis devenue ta maman, à laver ta litière, à remplir tes bols d'eau et de nourriture, à consulter un vétérinaire pour te soigner lorsqu'il le fallait, à jurer sur la tête de Dieu que tu ne subirais plus jamais de raclée par un chat de ruelle comme ce gros matou blanc qui t'avait déchiré l'oreille à notre première tentative de sortie en faisant de toi un chat d'intérieur, à implorer ce même Dieu à genoux lorsque j'étais revenue d'une tournée au marché Jean-Talon et que je t'avais retrouvée sur le balcon arrière où je t'avais oubliée, exposée au soleil plombant de juillet, ce qui t'avait complètement déshydratée et affolée.

Ton pelage soyeux, tes yeux jaunes, ton museau délicat, ta discrétion, ton affection, ta fidélité, notre communication. Tu es un gros morceau de moi. Pour des siècles et des siècles, je t'aime.