orphelins de l'Éden

1.01.2009

vlan!

Irons, irons pas. Ça été comme ça toute la journée d'hier. M., qui était fatigué et qui ne voulait pas sortir dans le froid glacial de la nuit noire, disait que non. Moi, désireuse de me défoncer à fond la caisse sur un plancher de danse pour commencer la nouvelle année, je disais oui. Alors à sept heures du soir, M. s'est dirigé vers le lit pour dormir jusqu'à 21 h 30 selon notre alarme et je l'ai suivi. Je n'y croyais pas encore. J'en étais même venue à lui dire que ça allait, je comprenais, on pourrait se reprendre un autre tantôt, lors d'un futur événement techno. Debout deux heures et demie plus tard, nous ressemblions à des fantômes en pyjamas. Écrasés tout emmitouflés devant le téléviseur pour écouter la revue de l'année selon Infoman, je n'y croyais vraiment plus. Mais quand le Bye Bye très ordinaire à mon goût a débuté, M. s'est levé et il a dit: "C'est bon, on y va." Wow, il était environ 23 h 40.

Nous nous sommes vêtus rapidement, comme si chacun de nous avait déjà planifié son accoutrement plus tôt dans la journée. M. a enfilé une paire de jeans bleu délavé de style relax et son hoodie rayé rouge et noir. J'ai sauté dans une paire de pantalons hyper confortables Lululemon, passé une camisole genre tube long avec bretelles et zippé par-dessus une veste bleu royal aux détails rose fluo. Dans mes pieds, j'ai décidé de briser la nouvelle paire de chaussures au look totalement old school trouvées hier en après-midi pour une bouchée de pain. Quand la vendeuse a constaté mon choix, elle m'a dit que c'était un excellent pour faire des sports du genre badminton. Moi, c'était pour porter à mes pieds ce printemps et, oh surprise, pour aller danser.

Danser. Cette drogue physique qui me chicote une fois aux quelques mois qui tombent dans le néant. Bouger tout mon corps, le secouer en suivant cette musique complexe qui le guide dans le mouvement. Sentir les vagues naître de mon ventre et s'étendre à mes bras, à mes jambes, à ma tête, à mes pieds. Fermer les yeux aux sons gonflés à bloc, mais harmonieux de la ligne directrice et des sonorités subtiles qui s'accrochent à elle. Ne pas savoir où la musique va. La suivre comme l'on suit l'odeur du pain chaud pour trouver la mie fondante. Ronronner de plaisir quand tout s'aligne: la musique, le mouvement, mon corps dans l'énergie. Alors, nous allions danser pour commencer l'année.

C'est dans Jasmine la Fit, en direction du pont Jacques-Cartier, que nous nous sommes souhaités des voeux de nouvel an très courts et très sobres. Aucune ombre de tristesse, juré. Juste une politesse conventionnelle échangée entre amoureux.

L'endroit de la fête avait été révélé le jour d'avant seulement, soit le 31 en soirée. Grâce à Google map, nous savions exactement où nous devions conduire notre bagnole bien-aimée. Le quartier où nous nous dirigions n'était en fait qu'au sud de notre ancien patelin. À deux pas du parc Père-Marquette, juste devant une route menant je ne sais où portée sur d'immenses piliers de béton que j'aurais donc dû aimé croquer dans mon appareil photo, surtout dans cet éclairage étrange créer par les projecteurs de la ville, nous avons tiré une porte difficile à ouvrir pour nous engouffrer dans le lieu désigné par les organisateurs de la soirée.

À l'intérieur, à l'entrée, nous avons contribué chacun d'un billet vert, tarif peu coûteux considérant que c'était une soirée du nouvel an, et le garçon recueillant les fonds nous a souhaité une bonne année en marquant notre main droite d'un trait doré. Ça y est, nous étions là.

L'endroit était typique des raves organisés du temps où ces événements étaient undergrounds et borderline sur le plan légal. À l'époque, lorsque j'étais cégepienne, j'avais compris que les lieux d'une soirée techno n'étaient révélés que 24 h à l'avance parce qu'ainsi les policiers n'avaient pas assez de temps d'émettre un mandat nécessaire pour pénétrer dans l'enceinte temporaire investie par les fêtards. Depuis de nombreuses années maintenant, les raves sont devenus des événements très lucratifs et mainstream prenant lieu dans des méga-salles, du genre le Palais des Congrès ou le Stade Olympique. Peu nombreux sont les événements comme ceux d'hier soir, encore frileux par rapport à la loi parce que les organisateurs ne se sont pas procuré de permis d'alcool pour vendre leur bière à prix d'amis, en plus de prolonger la fête jusqu'à 10 h du matin.

Mais peu importe tout ça, la soirée valait le détour. Dans cette shop désaffectée aux planchers de béton et aux plafonds surélevés, des tours de son étaient dressées et des tables étaient montées pour l'attirail technologique des DJ et des VJ de l'alignement préétabli. Il y avait des fresques réalisées par des graffiteurs pour habiller le squelette brut de la bâtisse et la faune était composée de jeunes gens au style assez difficile à décrire: pantalons parachutes noirs, coiffures dreads, manteaux sur-dimensionnés ou chandails ajustés mais pas trop noirs aussi, foulards tendance emo autour du cou, leg warmers courts aux chevilles, tuques péruviennes sur la tête. Un étrange look hétéroclite dont j'ignore s'il a un mot pour le désigner. Quoi qu'il en soit, eux, entre eux je veux dire, ils doivent sûrement en utiliser un pour se définir. En revenant, M. m'a donné sa théorie sur leurs vêtements. Il pense qu'ils se les fabriquent. Oui, sûrement.

Alors, pour en venir à l'essentiel, sachez que lorsque j'arrive à ce genre d'opportunité pour danser, je dépose mon sac ou mon manteau et je danse. Aussi simplement que ça. Je danse. Beaucoup, beaucoup, je bouge, j'ondule, je me ferme les yeux, je m'éclate, j'évacue l'énergie et je la gobe, je fais circuler l'électricité qu'il y a dans l'air. Pendant trois heures, sans arrêt véritable, nous avons donc dansé. Là, au milieu de jeunes appartenant à une sous-culture sous le radar, j'étais pleine d'une intemporalité délicieuse. Redevenue organique. Discourant avec les esprits sur un autre niveau le temps d'une transe. Le temps de décrocher de la ligne du temps.