orphelins de l'Éden

12.14.2008

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Je dévie de quelques pas de ce sentier à peine tracé dans le parc immense et je me laisse tomber dans le manteau blanc qui se déchire de la forme exacte de mon corps caché sous mon parka matelassé. Je suis à nouveau gamine. Le visage tourné vers un ciel couleur anthracite, chargé à bloc, comme prêt à ouvrir son ventre où bout la prochaine tempête. Mais pour l'instant, ce ne sont que de microscopiques bijoux de glace qui viennent mourir dans la fourrure de mon capuchon dans un crépitement qui s'échappent du royaume céleste. Le silence du froid, du dimanche matin immobile, de cette saison bien engagée à présent, tout ce silence, il me fait croire que je suis un ange flottant ailleurs que dans le maelström du plancher des vaches. Décidément, l'hiver calme le jeu.

Tout ce froid et cet immobilisme, si on les pénètre, ils nous accueillent pour nous ramener souvent à ces souvenirs d'enfance où pendant de longs après-midi, les bonshommes de neige prennent forme. Ainsi affaissée dans la neige, emboîtée à la perfection dans la matière, je me dis que seul un regard d'enfant pourra reconstituer sans trop d'efforts la scène que ma trace évoquera. Quelqu'un a voulu s'allonger ici, voilà, c'est tout. Un adulte passera et son regard suivra les pas, qu'il comptera peut-être s'il est pointilleux dans sa reconstitution, qui mènent à la marque creusée pour en venir à estimer quels volumes ont pu remplir cette béance. Peut-être pas non plus. Peut-être que l'adulte passera son chemin et qu'un enfant aussi et que je me perds à ne rien dire, une fois de plus.

Là, étendue sur le dos, les jambes repliées, une main couvrant l'autre sur le ventre, je me suis écoutée parler dans ma tête de la soirée de la veille. Une réunion d'amis de M. pour l'anniversaire d'un des leurs, quelques bonnes conversations. J'ai revu Dv., vulnérable et si intelligent malgré son air perdu, I., que j'apprends à connaître un peu plus à chacune de nos rencontres, Ls., l'éternel chercheur d'apaisement dans son rapport à Dieu. Je crois qu'il m'a recommandé la lecture de Jésus, fils de l'homme de Khalil Gibran une vingtaine de fois en l'espace d'une heure. Ls. est comme ça, totalement intense.

Et puis, le fils de l'homme, j'irais le prendre dans mes bras tout à l'heure. Petit Lc. qui tire beaucoup de jus à sa maman sentira bon le bébé, son visage dans mon cou, pendant que nous jaserons du quotidien chamboulé des nouveaux parents qui font du super boulot.

À la table au souper d'hier soir, M. et moi étions installés à côté du couple formé par la soeur du fêté, Dm., et son conjoint, M-A. Ils attendent leur premier enfant pour le mois de juin. Dm. a mangé une patte d'ours à la mélasse sortie comme par magie de son sac avant que le repas ne soit commandé parce que son estomac creusait de plus en plus. Nous avons donc parlé grossesses et bébés. M. en a même profité pour dire à son ami A. que nous étions sûrs maintenant de pouvoir procréer. Et bien que nous ayons appris qu'une autre grossesse est en cours parmi le groupe d'amis, en plus de celle de Dm. et M-A, ce qui monte à six le nombre de grossesses de ce nouveau baby boom autour de nous, mon coeur n'a pas perçu un seul pincement parce que maintenant, ma tête lui dit que ça finira par être notre tour d'être les deux pieds dedans. La raison et l'émotion s'équilibrent bien ces jours-ci. Un répit né du gel. Une trève de doutes. Une bombance qui scelle l'alliance. Reste plus qu'à voir pour les jours à venir.