branchées
Les cieux étaient d'un rouge diffus hier soir quand je suis rentrée à la maison, tirant sur le rose de l'aube. Un immense arc-en-ciel à la courbure parfaite témoignait de l'entre-deux atmosphérique. J'ai bien tenté de saisir l'étrangeté de la lumière naturelle avec mon appareil photo - que j'adore soit dit en passant -, mais le capteur ne cessait de déclencher le flash et le résultat n'a pas du tout rendu la beauté du décor. Notre coin du monde venait d'y goûter.
Ce n'est que ce matin, en écoutant le radio journal de 6 h, que j'ai su que huit poids lourds avaient été fauchés par le seule force des vents de la tempête noire qui s'est abattue vers 14 h hier après-midi. Du onzième, à cette heure, nous avons observé la progression du mur sombre. L'avancée du mauvais temps était impressionnante et quand nous nous sommes retrouvés au coeur de l'orage, nous étions tétanisés, incapables d'être tout à fait fonctionnels, comme si notre instinct savait que la fin du monde, ça ressemblerait à quelque chose un peu beaucoup à cela.
Quand j'ai quitté le boulot, la déferlante avait roulé plus loin et je me suis rendue au centre-ville sous un ciel plus clément. J'avais rendez-vous avec Jl., mon amie de toujours. Nous nous étions promis un spa pour nous féliciter de nos permanences. Alors nous y étions à cette gâterie. Ensemble, nous avons profité du sauna et des soins de beauté à la marocaine. Nous avons enduit nos corps de savon noir et après une exfoliation extensive au gant rêche, c'est le rassoul qui a apaisé notre peau, baignées dans l'expérience du hammam. Bon d'accord, sans doute cette expérience était-elle abrégée comparativement au véritable thermes féminins que l'on retrouve au Maghreb, mais quoi qu'il en soit, dans l'intimité des lieux, nous avons eu l'impression d'être sur notre île déserte, en retrait du brouhaha et du béton.
Après avoir parlé agriculture biologique en sirotant un thé roux, étendues sur des lits, nos corps détendus enduits d'huile parfumée, nous sommes retournées sur le bitume, direction resto hongrois que nous allions découvrir. Nous sommes arrivées là, à ce Café Rococo, après seulement quelques minutes de marche de notre oasis. Nous nous sommes attablées sur la terrasse et nous avons partagé des plats délicieux: salade de concombres vinaigrés, crêpes aux champignons, goulash végétarienne. Jl. a dit que l'emplacement du restaurant, cette terrasse nichée au pied de tours hautes et grises, lui rappelait la banlieue parisienne. Moi, ça me rappelait plutôt New York. Mais il faut dire que je ne suis jamais allée dans la banlieue parisienne, à part par le cinéma.
Quand je suis rentrée au paradis en autobus, après notre soirée, il n'y a eu aucun retard. Ce n'est qu'en arrivant que j'ai compris que la tempête avait causée des dommages. M., qui parlait très rapidement, m'a pointé l'arbre du voisin qui gisait à présent sur son carré de pelouse, m'a dit que le téléphone ne fonctionnait plus, m'a raconté son aventure en scooter en rentrant sous la pluie, à devoir suivre un trajet alternatif parce que des fils électriques pendaient dangereusement au-dessus d'un tronçon de route, a poursuivi en disant qu'il était rentré plus tôt du travail vu que sa boîte avait été paralysée par la panne de courant, tout ça dans l'espace d'environ une minute et quart. Mon homme était fébrile, encore branché sur l'événement exceptionnel qui s'était produit quelques heures plus tôt.
En faisant le tour du jardin pour constater les dommages du passage du mur orageux, j'ai été heureuse de voir que seuls quelques plants ployaient un peu à l'image de la Tour de Pise. Je sais dans quelle direction le vent violent soufflait, ça c'est certain.
De cette journée à la météo spectaculaire, je me souviendrai surtout du temps paisible avec Jl., de ma rencontre avec cette femme liée à moi et moi à elle. L'orage, nous le portons en nous. La lumière étrange aussi. D'une beauté à couper le souffle.
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