orphelins de l'Éden

5.12.2008

l'étranger

Trois. C'est le nombre d'étrangers qui m'ont adressé la parole aujourd'hui. Le premier, il s'est manifesté pendant mon heure de dîner, en compagnie de ma soeur G. Prenant toutes les deux un bain de soleil dans un petit parc charmant avant de remonter au onzième, les souliers dans un sol sableux semblable à une plage du sud, un homme est arrivé, tenant la main d'une enfant d'au plus deux ans. Il nous a saluées, comme un poli citoyen le fait envers un concitoyen qui partage un même lieu paisible. Bonjour à vous qui savourez le même moment que je m'apprête à savourer. Dans un état d'esprit communautaire. Ensemble. Ainsi, lorsque nous nous levons à peine deux minutes après leur arrivée, il lance quelque chose comme quoi notre halte ici prend fin déjà. Eh oui, que je lui réponds, le devoir du boulot. Bon après-midi qu'ils nous souhaitent avec la gentillesse d'une vieille connaissance. Quel baume.

Et puis, le deuxième étranger me paraît bien exotique lorsqu'il m'apparaît. Lui, assis les jambes croisées, m'a sans doute aperçue bien avant, dévalant la côte Greene d'un pas décidé à attraper la rame de métro qui me permet d'être dans la première moitié de la file d'attente de l'autobus quittant à 15 h 54 le quai d'embarquement. L'homme est un Noir aux allures de dandy, mais sans tout l'attirail, émanant une classe naturelle, l'air décontracté et serein. Poli lui aussi, mais d'une politesse semblable à celle de l'homme de cet après-midi, franche et apaisante. J'aime l'espèce humaine, qu'il vibre, et chacun mérite un respect authentique. Cet homme-là me rappelle les hommes au Bélize, ce petit pays aux routes de terre dont on entend jamais parlé au bulletin de nouvelles. Pendant quelques jours là-bas, j'ai vu ces hommes-là, pareil à cet homme-là, pouvant se contenter de s'asseoir confortablement des heures durant, à se faire lécher par l'Astre et le souffle aux humeurs suivant une mystérieuse symphonie. L'homme me regarde, il me voit. Je le vois aussi, quand enfin je l'aperçois, en traversant en diagonale le coin de rues, me dirigeant directement sur lui. Si je détourne le regard, je mens. Et ce mensonge est trop gros parce qu'il est clair que nous nous sommes vus. Il me sourit et je lui souris en retour. C'est tellement plus facile d'accepter cette venue de l'étranger, l'espace d'un instant de pure camaraderie au sein de l'espèce. D'autant plus que nous avons le bonheur ici d'échanger quelques mots et de nous comprendre, partageant le même langage, au sein de l'espèce aux millions de mots. Comment ça va? Bien. Bien. Beau soleil, belle journée. À bientôt et bon après-midi. Quel baume. De l'inattendu qui fait chaud au coeur.

Et puis, l'étranger numéro trois est une femme. Celle-là, c'est parce que les portes à l'arrière de l'autobus ne veulent pas ouvrir lorsqu'elle appuie sur l'une d'elles et qu'elle s'impatiente un peu et que je pousse doucement, là où il le faut, et qu'elle me regarde, quand les portes balancent enfin, l'air de dire "mais j'ai fait la même chose". Pour la rassurer et l'aider à faire diminuer sa pression artérielle, je lui dis que les portes de ce modèle d'autobus sont parfois capricieuses. Elle hoche la tête, d'accord avec cette idée qui fait que ce n'est pas elle l'incapable, mais plutôt la porte qui est capricieuse. Loin de moi l'idée qu'elle ne soit incapable, mais que voulez-vous, les gens ont tendance à se faire monter le rouge aux joues pour des pacotilles. Alors vaut mieux les rassurer et les aider à faire diminuer leur pression artérielle. Une mini-bombe de désamorcée, ça fait un mini-baume à tout coup, un mini ouf!

Et puis, il y a eu aussi deux pas étrangers tout à fait, mais un peu tout de même. Ceux que j'appelle mes réguliers. Ceux du trajet d'autobus, ces visages familiers qui s'activent aux mêmes heures que moi pour se transporter en commun. Ce matin, ce fût Jn., un des quatre fils d'en face, le plus vieux, celui aux airs rebelles, mais à l'énergie altruiste bouillant sous ce couvert looké. Le second, c'est en rentrant que je l'ai croisé, dans l'autobus de 15 h 54. J'ai rencontré J-F, ce jeune homme handicapé, qui bouffe toute littérature qui concerne les grands hommes politiques contemporains. Sa lecture d'aujourd'hui, la revue Le Point. Intello à l'os, mais toujours prêt à rire un bon coup. D'ailleurs, il s'esclaffe littéralement quand, en parlant des vacances, il m'annonce qu'il n'en a pas, jamais, avec grand sérieux, et qu'avec une ironie pleine de sympathie, je lui dis: "Ah oui, c'est vrai, tu es une machine. Jamais besoin de décrocher un peu." Il rit et rit et répète le mot "machine" comme s'il l'entendait pour la première fois. Enfin, il me dit que lorsqu'il prendra des vacances, ce sera pour faire un voyage à Amsterdam et à Cannes, seul.

Et parce que nous parlons d'étrangers sympathiques, sachez que demain, M. se verra offrir un cadeau sur l'antenne de CISM. Si vous voulez écouter en simultané, syntonisez le 89,3 juste après le bloc pub de 8 h. Maryse, l'animatrice de Pas de parcimonie, devrait dédier une chanson à mon amoureux, parce que je lui en ai fait la demande il y a un mois, pour son anniversaire, et qu'elle n'a pas eu le message à temps. Elle a donc décidé de le faire demain, un mois plus tard. M., qui adore Maryse, une étrangère, pour ses choix musicaux, va prendre la voiture afin de recevoir live ce cadeau particulier. Je dis "prendre la voiture" parce que mon chéri se déplace maintenant en scooter. Oui, oui, Jasmine a maintenant un petit frère que Honda a appelé Ruckus. Moi, je l'appelle Scoot, gentiment. M. c'est scooter boy. Zoom zoom. Et demain, Maryse lui envoie une rose, un papillon, une chanson. Juste pour lui. Avec amour. L'amour de faire des choses qui font sourire. Pour la beauté du geste qui multiplie cet état de détente qu'est le don, sans attache, gratuit et enrichissant. Les uns et les autres, unis par la force de la rencontre. Simplement.