orphelins de l'Éden

3.24.2008

un ange de plus

Je me bourre la fraise de chocolat. Belle-maman Cl. nous a offert de beaux oeufs de chez Heyez et puis, nous n'avons pas vraiment dîné aujourd'hui. Levés tôt en ce lundi férié, nous nous sommes installés dans Jasmine la Fit direction Plantagnet, Ontario. Ce village allait célébré le départ de l'un de ses piliers, mon oncle An. Quatre-vingt-huit ans qu'il est demeuré sur ce bout de planète. Du temps de pur bonheur pour ce vaillant homme qui a élevé sa nombreuse famille sans jamais rechigné.

Sur le ruban d'asphalte qui relie mon enfance à ma vie d'adulte, je regarde filer les terres endormies, prêtes aux labours qui viennent bientôt. Les bottes de foin s'empilent dans le froid et les bâtiments centenaires aux toits couleur rouille croulent de fatigue. Aucune bête à l'horizon, à part pour un cheval solitaire à la robe brune et épaisse qui sort son museau pareil à un chien.

Nous passons là où mon regard de passagère a déjà vagabondé mille fois. Je revois la maison de ma maîtresse d'école en troisième année, le Blue corner où ma meilleure amie a travaillé adolescente, la bijouterie Major d'où venait la bague en or que mon père m'a offerte le Noël avant de mourir, la ferme de la famille Pomainville, la rue sur laquelle ma maison d'enfance a pignon. Je revois une foule de lieux qui m'ont vue déambulé haute comme trois pommes, puis six, puis dix. Je ne suis plus ici, mais je suis d'ici. Étrange.

Dans l'église pleine à craquer, je m'assois près d'une femme que je ne connais pas. Il n'y a pas assez de place sur le banc où ma grand-mère est assise près d'un homme qui m'est également étranger, suivie de ma mère et de M. Pendant l'homélie, je réalise que le prêtre qui préside la cérémonie n'en a que pour la Pâques qui vient de s'achever. Il nous explique que Pâques signifie passage. Son discours est ponctué d'exclamations théâtrales et à un moment, il mentionne même des "passages sexuels" de la vie. Ma mère n'arrive pas à retenir son rire, alors elle penche la tête et tente de l'étouffer. Assise derrière elle, je pouffe à mon tour. C'est à croire que tous les autres n'écoutent pas. Ma voisine secoue la tête imperceptiblement, navrée. Elle m'apprend que c'est le prêtre de Wendover qui dit la messe dans sa communauté. Elle le trouve bizarre. J'utilise plutôt le mot déconnecté.

Impossible de ne pas penser à ma soeur B. C'est dans cette même église qu'elle et moi avions été expulsées par ma grand-mère lorsque nous n'arrivions pas à cesser le fou rire qui nous ébranlait à chaque tintement de clochettes. Nous avions l'impression d'entendre quelqu'un briser des carreaux de vitre à chaque fois que le servant de messe les agitait. À l'époque, nous étions jeunes adolescentes je crois. Me voilà trentenaire et toujours aussi impertinente. Je dis à ma voisine que mon oncle An. doit avoir un plaisir fou à entendre ce prêtre voguer dans ces élucubrations spirituelles à l'eau de rose. Marie par-ci, la vie éternelle par-là, la grâce, le sauveur, le miracle, la Pâques, le passage, encore. Nous sommes là pour honorer la mémoire d'An. et lui bat des bras tel un illuminé sans prendre en considération tout le poids du deuil. Un peu de retenue aurait tout de même été de mise compte tenu que plusieurs dans l'audience avaient les yeux bouffis.

De retour à St-Hubert-on-the-beach, Nougat le gros chat nous accueille avec ses yeux en fentes jaunes, en s'étirant les pattes de devant pour pousser ses fesses vers le ciel afin de secouer la torpeur des heures de sommeil. La Pâques, le passage. Tous les jours nous apporte la même chance. Mon oncle avait compris cela.

2 Comments:

At 10:52 a.m., Anonymous Anonyme said...

Je pense que cette année, Pâques aura donné son lot de réflexion à tout le monde....
Je connais une âme qui a du croiser celle de ton oncle, à quelques jours près...

L'hiver est long... j'ai hâte au printemps.. :-(
M-H

 
At 8:42 p.m., Anonymous Anonyme said...

c'est vrai que ça a AUCUNE alure les sermons des prêtres ici pour les enterrements. Franchement, ils sont trop hors contexte et hors temporalité avec leur préchiprécha de catéchisme: "la très chrétienne Mme X"... va dont au diable! on est pas là pour entendre un speach sur l'église, mais pour partager ensemble le départ de qqn.
N'importe quoi l'Eglise des fois...
ms en même tps, ça dépend tellement d'un prêtre à l'autre...
Mon amoureux et moi, à Pâques, on était en camping d'hiver à ste sophie. la pleine lune, la nature, le soleil, tout était tout simplement sublime. Ton oncle a choisi un moment d'annonce de Printemps pour changer d'horizon. Je lui souhaite bien de la paix.
Jo

 

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