orphelins de l'Éden

2.18.2008

mon père qui es aux cieux

Dans deux ans, mon écriture atteindra sa majorité puisqu'il y a 16 ans, lorsque j'avais 14 ans, je t'ai rédigé un poème pour que tu le reçoives là où tu pouvais être, quelque part dans les cieux. Un peu comme une lettre au Père Noël envoyée au pôle Nord. Papa est dans le ciel, c'est là que je dois faire parvenir les mots. Alors je t'ai écrit. Parce que dans ma tête de jeune fille de 14 ans, si je couchais des mots sur papier, ils viendraient jusqu'à toi. Par voie magique, par force d'invocation.

Et c'est comme cela que le rituel a débuté. À tous les ans, à tous les 18 février qui sont venus par la suite, je t'ai écrit. Quelque chose de spécial, des mots seulement pour toi. Et puis, j'ai eu la piqûre. J'ai aimé communiquer par l'écriture. J'ai aimé me rapprocher des choses qui sont imperceptibles en tentant de les décrire. J'ai aimé pouvoir me voir évoluer au fil des textes accumulés. Encore aujourd'hui, j'aime replonger dans cette personne que j'étais à telle date précise de mon passé ou à telle autre. Pour moi, ces preuves de mon existence antérieure sont beaucoup plus évocatrices que l'image imprimée sur papier photo. Je me vois.

Je me rappelle bien souvent de l'endroit où j'étais quand j'ai écrit tel passage ou de l'état émotionnel dans lequel j'étais alors plongé. Je me souviens que j'ai débuté mon cahier bleu lorsque nous étions réunis pour le mariage de ma soeur G., quelque part dans les montagnes de la Californie; je me souviens qu'un dessin gribouillé dans mon cahier Bécassine me représente assise dans l'aire ouverte entre la Place-des-Arts et la Musée Contemporain en pleines Francofolies; je me souviens de la rencontre avec un Africain sur la rue Jean-Talon qui m'a fait pondre un bout de mon manuscrit Testament.

La dernière fois, je vous ai parlé de l'intuition. Eh bien, mon écriture, je l'associe à la grâce. Plus jeune, quand l'inspiration me touchait pour écrire, j'avais l'impression que les cieux s'ouvraient et qu'une main venait recouvrir la mienne pour l'agiter au-dessus du papier. C'est pour cela que ce sont des cahiers que j'ai d'abord remplis. Je trimballais mon cahier et mon crayon partout, au fond dans mon sac à dos, prêt à recevoir le message qui déborderait de moi, le véhicule, là où il se manifesterait. Bien sûr, parfois, je décidais de l'endroit en m'assoyant quelque part pour l'attendre. Dans ces cas-là, je couchais les premiers mots qui venaient clairement, la première formulation, et puis, tout déboulait. D'autres fois, une phrase survenait dans mon esprit, comparable à un éclair net et je m'arrêtais pour partir d'elle et poursuivre l'envolée.

C'est pour cela que je sais que tu m'as toujours accompagné par l'écriture. Tu es celui qui m'apporte la grâce. Peut-être était-ce parce que j'ai choisi ce moyen pour te retrouver que tu as nourri mon moulin afin que j'y prenne de plus en plus plaisir. Quoi qu'il en soit, je sais que mon écriture est un peu beaucoup la preuve que tu existes encore. Ensemble, nous créons en confondant l'éther et la matière, la mort et le vivant. Partenariat ultime, nul doute.

Salue à toi donc être flottant étampé dans chacune de mes cellules. Je t'aime, je t'aimais, je t'aimerai.