orphelins de l'Éden

2.04.2008

le feu, le coeur, l'abri, le nid

Quelque chose brasse là-haut, c'est certain. Maman veut se trouver une maison sur une terre à bois parce qu'elle repense sérieusement à faire de l'équitation. Sa retraite approchant à grands pas, elle s'imagine marcher des heures durant sur un bout du monde qui lui appartient, où elle aura la sainte paix, où son chien pourra s'épivarder sans crainte de représailles d'un voisin. Une grande terre de 120 arpents sur laquelle une maison ancestrale rénovée s'y trouve, en plus d'un ruisseau et d'un boisé, vient de lui échapper. Dans sa voix il y a quelques minutes, la déception poignait. Je lui dis qu'au moins cette opportunité passée a confirmé quelque chose dont elle se doutait depuis plus d'un an. Maintenant, si elle tend vers cette terre désirée, elle la trouvera. Elle a ce pouvoir de concrétiser.

Et puis, il y a ma soeur B., avec qui je viens tout juste de parler avant ma mère, moi commençant mon lundi, elle le terminant. Elle me dit qu'elle a vu une maison à vendre affichée sur l'internet. Même s'ils ne reviennent que dans un an ou deux, elle cherche une propriété dans l'agglomération montréalaise. Cette maison, elle est située à une rue de là où nous avons passé nos années adolescentes. Pendant que nous parlons, je me rend sur MLS pour voir quelques photos de l'endroit. Elle dit que ce serait parfait pour leur famille, en plus d'être tout prêt du onzième et du métro. Ils pourraient même y demeurer cet été pendant les deux mois où ils viennent nous visiter.

B. a tout le temps adorer éplucher les fiches descriptives de maisons à vendre. Avant l'internet, c'était devant le poste télé consacré à la vente de propriétés et de biens matériels qu'elle s'assoyait pour les regarder défiler les unes après les autres. Elles les comparaient, les étudiaient. Pendant que nous habitions ensemble dans le dernier appartement que nous avons partagé elle et moi, j'ai même fait un travail universitaire sur cette habitude qu'elle avait dans un cours où nous devions observer le déplacement du religieux. J'ai consacré une de mes observations à ma soeur et ses maisons parce que c'était tout à fait approprié de le faire.

En effet, tout phénomène religieux est constitué des trois R: rites (ex: sacrements, pujas), récits fondateurs (ex: la Genèse, le Coran, les Upanishad), représentations (ex: la croix, Shiva au trident, le Bouddha en lotus). Dans notre société ayant évacué la religion catholique, il y a eu déplacement parce que cette dimension de la nature humaine ne peut être tronquée du fait qu'elle y est intrinsèque. L'étymologie du mot religion remonterait religare, ce qui veut dire, tout simplement, relier. Relier à nous-mêmes, relier aux autres, relier au monde dans lequel nous vivons. Pour qu'il y ait un sens. Pour que l'esprit intelligible se déploie de façon équilibrée.

Alors pour revenir à ma soeur et ses maisons, son rite consistait à s'intaller devant le moniteur et à détailler chaque propriété. Son récit fondateur, c'est le discours qu'elle attachait à ce rêve d'avoir une maison: sécurité, famille, longévité du noyau. Les représentations, c'étaient les maisons elles-mêmes, qu'elle finissait par connaître par coeur tellement elle les regardait souvent. Bien sûr, c'aurait pu être aussi ce fameux dessin que tous les enfants exécutent à un moment ou à un autre, celui avec la maison, le soleil, les nuages et la famille, papa, maman, soeurette, frèrot. Ce dessin que les psychologues étudient lorsque l'enfant a des problèmes de comportement, qu'il est renfermé ou colérique par exemple. Ma soeur B., elle voulait une maison, elle voulait un mari, des enfants. Sa famille dans un lieu idéal pour tout l'amour qu'elle avait à offrir. Qui dit que les rêves ne sont pas réalisables?