orphelins de l'Éden

1.24.2008

l'intimité

Je reviens tout juste du travail. Je rentre toujours à quelques minutes près du 4 h 30 sur mon horloge numérique affiché sur le four dans la cuisine. Je dépose ma boîte à lunch sur l'îlot et je lève les yeux comme pour me rassurer à tout coup en me disant "ça y est, il me reste un bon 45 minutes avant de commencer le souper". Ainsi, nous mangeons au plus tôt à 18 h, au plus tard à 19 h, à part pour des journées exceptionnelles comme dimanche dernier où nous cuisinons notre premier poulet à vie. Nous nous sommes alors attablés à 20 h 30. Heureusement, les deux autres repas de la journée avaient été repoussés eux aussi sur la grille horaire.

Dans l'autobus en rentrant, j'ai beaucoup avancé dans ma lecture. Depuis ce matin, je suis plongée dans une plaquette d'une centaine de pages écrite par Guillaume Apollinaire au début du 20e siècle. C'est mon amie Jl. qui me l'a refilé. Le livre s'intitule Les exploits d'un jeune Don Juan. Pour ne pas faire rougir mon beau-frère à Hong Kong, je dirai simplement que c'est le genre de lecture qui plonge dans la volupté. Losrqu'elle a parcouru mon manuscrit érotique, mon amie, qui est, soit dit en passant, professeure de littérature au Cégep, m'a recommandé de travailler un peu plus sur le raffinement de mes mises en scène parce que le tout est apporté de façon un peu trop crû selon elle. Jl. dit que mon récit se rapproche plus de la pornographie que de l'érotisme. J'ai presque pris cela pour un compliment.

Oui, je dis que j'ai écrit un livre érotique. Mais je sais aussi que ce que j'y décrit et la façon que je le fais est très direct, presque comme allumer des phares en plein ébat. Je veux que mon manuscrit fasse l'effet d'une loupe grossissante, pas pour déformer la réalité, mais plutôt pour la mettre en avant plan de façon crédible, en synchronisme avec la libération supposée des moeurs, sans histoire d'inceste innocent ni d'attouchements non assumés. Je veux mettre en scène la rencontre sexuelle entre deux individus, entre deux êtres portant chacun leur bagage érotique, leur histoire personnelle, leurs expériences intimes les ayant amenés à ce point de jouissance échangée.

Pour ceux et celles qui n'ont pas lu Unis, je peux vous dire que le fil conducteur est assez simple. Le manuscrit débute avec les révélations intimes d'une femme de 35 ans qui se remémore, entre autres, les fois où elle s'est exhibée à son voisin d'à côté, spectateur dans la mansarde. Le chapitre suivant, nous passons aux révélations intimes du dit voisin qui mentionne en passant la frigidité de sa femme. Dans le chapitre qui suit, nous apprenons que la femme en question n'est pas frigide, seulement lesbienne. Et ainsi de suite. Au suivant pour ainsi dire. Chaque chapitre est assez court. Aucun attachement aux personnages n'est vraiment possible parce que dès qu'il commence à se créer, nous découvrons un nouvel univers pour pratiquement oublier le précédent. Ce livre érotique est à feuilleter comme un album photo. Chaque chapitre est un condensé de détails parfois très crus, oui, mais parfois presque tendres.

Quoi qu'il en soit, j'aime bien lire des récits érotiques en plein autobus, surtout lorsqu'ils n'ont pas de titres trop révélateurs. Ça me permet de constater l'intimité de lire. Lire implique une coupure d'avec tout ce qui nous entoure, peut importe le contenu. D'ailleurs, quand je m'installe dans l'autobus, je m'accoutume aux bruits environnants assez rapidement pour ne plus qu'immerger qu'à quelques arrêts du mien. Si des voix brisent mon fond sonore, je suis déconcentrée et je perds le fil. Comme ce soir quand deux habitués qui descendent à mon arrêt ont engagé une conversation presque parvenus à destination. Désirant garder un peu de lecture pour mon voyage de demain matin, j'ai donc rangé bien sagement mon livre mince dans mon sac à ce moment. Je le rendrai à Jl. lorsque j'arriverai dans leur nouvelle demeure, demeure que j'ai bien hâte de voir puisque la première fois, l'endroit était un véritable chantier.

Jl. m'assure que ce lieu est celui de leur famille pour les années à venir. Tl., sa fille, claironne dans toute la garderie sa joie d'y habiter. J'ai rêvé que je visitais leur maison. Dans mon rêve, l'endroit était empreint d'une âme nomade et créative. Je reconnais là mes deux amis, Jl. et Tv. Vivement leur enracinement.