orphelins de l'Éden

1.12.2008

confession

Vous ne le savez peut-être pas, mais cet espace que je remplis, je le veux positif, je le veux scintillant, drôle peut-être, réconfortant. Il y a dans ce monde suffisamment de creux, de difficultés, de peines, de tristesses, de méchanceté aussi, de dollar obtenu sur le dos des autres, par humiliation, par ignorance. Alors, voilà, aujourd'hui, j'enfreins ma règle d'or et je vous l'avoue enfin, les derniers mois ont été durs, très durs.

Jeudi dernier, j'ai craqué. Comme prédit avant mon congé de Noël, j'ai craqué. Au onzième. Pas de façon agressive, zéro cri, zéro bris. J'ai simplement fondu en larmes et passé d'une pièce à l'autre pour m'accrocher au combiné téléphonique pareil qu'à une bouée de sauvetage. Maman, j'ai besoin d'aide, je n'en peux plus, je veux me mettre en boule pour des mois à côté de ton poêle à bois. Maman a eu peur, c'est normal, elle m'aime et habituellement, je n'étale pas mes pleurs pêle-mêle. Je suis, pour la plupart du temps, solide mentalement, raisonnable, disciplinée moralement. Craquer, c'est cracher la faiblesse en pleine face. Craquer quand on a pas l'habitude de baisser les bras, c'est une défaite, surtout pour quelqu'un qui a la volonté de voir le bon côté des choses et pourtant, comme ma soeur B. me l'a si bien rappelé, les émotions, les larmes, le désarroi, c'est ce qui nous différencient des automates et des robots.

Deuxième appel sauvetage, ma patronne. Au onzième, il est possible de contacter les patrons qui ne sont pas au bureau par cellulaire. Je suis si étouffée par les sanglots que je murmure à Nc. que je ne file pas, que j'aimerais partir s'il vous plaît. Elle sait bien que depuis des mois, ça dégénère, mon état empire. C'est elle qui m'a même recommandé le thérapeute que je vais voir. Parce que oui, en passant, mes voyages du lundi à Outremont, c'est pour aller rencontrer un homme aussi petit que je suis grande et parler pendant une heure. Ce n'est pas la première fois que je consulte, à la différence cette fois que j'ai dépassé le fameux trois séances d'apprivoisement d'une part et d'autre pour décider d'y retourner. M. J. m'écoute donc déballer mon existence, un chapitre à la fois. Bon Dieu que mon bagage est lourd. En gros, il dit que j'ai appris très jeune à vivre sur le mode survie afin de passer au travers les coups durs. Survivre, oui peut-être. Mais aujourd'hui, je ne survis plus, je vis. Enfin, ça c'est en mettant de côté le fait que j'ai bâti mon présent sur les fondations de mon passé.

Je quitte le onzième en longeant les murs et en gardant le regard baissé. Mes yeux ont tellement coulé que j'ai sans doute des sillons qui creusent mes joues. Désorientée, je me dirige presque d'instinct dans la maison de Dieu. Cette église aux fresques représentant tous les subordonnés du Fils dans les cieux, anges, apôtres et compagnie, est une des dernières à avoir les portes ouvertes en plein jour alors j'en profite pour me faufiler dans l'aile droite, où Joseph dans un coin tient le bébé Jésus. La sculpture blanche brille des milles teintes des vitraux qui dépeigne le rôle du menuisier dans la vie sainte du messager. Je m'assois dans ce lieu vaste où je suis la seule âme qui frémit. Et je continue à pleurer. Je sanglote, totalement perdue dans cette abysse qui se replie sur moi. Je ne suis plus que douleur et égarement. Parfois, je me calme, je ne pense plus à rien. Je tourne mon regard vers la crèche immense dressée dans le choeur et puis, une nouvelle vague de fond vient râteler ma paix fragile pour la chambouler et la réduire en débris perdus dans le mouvement du désespoir. Je me lève enfin, quarante minutes plus tard, quand une vieille femme titubante se dirige vers Marie dans l'autre coin. Je dois rentrer à la maison.

La veille, M. et moi avons eu une discussion à propos du onzième. Il sait bien que je vis des choses là qui me font y aller à reculons plus souvent qu'autrement. J'aime mon travail. Ça, je le sais. Je fais bien mon travail. Tellement bien que c'est parfois un problème parce que mon travail est pris pour acquis, ma productivité est une valeur sûre, mon assiduité, une assurance. Aussi, je travaille constamment en équipe. Bien que les équipes ne soient pas les mêmes éternellement, il arrive qu'elles durent pour des mois. Sans m'étendre sur des détails, disons seulement qu'il est difficile de travailler avec des gens qui ont perdu la flamme. Ça devient pénible de tirer la charrette pour combler au manque. Et Dieu sait que je suis capable de tirer. Ça aussi c'est un problème. Je suis une machine. C'est comme ça que je me sens depuis ces derniers temps au onzième. Une machine qui tape et accomplit le boulot que plusieurs devraient accomplir et taper. Et bien que j'aie demandé à mes patrons de me donner une opportunité pour respirer un peu plus, je suis toujours là, à compenser. Une machine. Qui maintenant craque.

Arrivée à la maison enfin, après des étapes pénibles - marche de l'église au métro à me répéter ça va bien, ça va bien, ça va bien, métro aux yeux embués, longue attente de l'autobus qui n'arrive qu'une demi-heure plus tard, plexus solaire réduit à un caillot de plomb oppressant - je me mets au lit et je tente de plonger dans le sommeil salvateur, celui qui efface tout le temps de sa venue. Nougat le gros chat se doute de quelque chose parce qu'elle beugle plantée dans le couloir, traduisant la négativité qui vient de pénétrer dans le paradis. Je me fourre la tête sous un oreiller et je pense que je dors un peu. M. arrive. La maison est plongée dans le noir, mais mon sac est dans l'entrée. Il m'aime, mais il a peur lui aussi. Il me trouve au lit et me dit qu'il n'a pas passé une belle journée. L'angoisse. Son amoureuse ne va pas très bien, il est désemparé. J'ai l'impression d'être dans la pub pour la fondation du cancer. Mon abysse souffle sur tous ceux qui m'aiment. Mais j'ai besoin de leur force, de leur amour, de leur non-jugement. Je ne veux pas entendre parler de responsabilités financières, d'engagement hypothécaire, de futur. Il me faut craquer. Il me faut être fragile. C'est là où j'en suis. Je supporte depuis trop longtemps le report de ce moment. Je porte depuis trop longtemps ce désespoir grandissant. Je suis dans la pub de la fondation du cancer parce que ce qui se révèle là, maintenant, a grossi comme une tumeur.

La soirée passe. Je me suis tirée du lit. Continuer. Faire le souper. Réconforter mon amoureux qui est contaminer. Avant de se mettre au lit, M. me pose des questions pour trouver la source. Il ne pense pas que c'est seulement le travail qui m'a réduite à cet état pathétique. Et pourtant, je lui rappelle que tout a commencé il y a bien longtemps maintenant, il y a presque deux ans en fait. Je me souviens du jour exact où le désespoir s'est dit eh bien voilà une niche confortable, pourquoi ne pas m'y installer et attendre d'être nourri. J'ai bien tenté de ne pas l'engraisser, mais malgré toute ma stabilité, les événements se sont enchaînés et j'ai dégringolé dans une spirale siphonnant mon bon vouloir. Petit à petit, ma force s'est élimée et aujourd'hui, enfin, jeudi, elle avait complètement disparu.

Mais heureusement, comme mon thérapeute l'a si bien constaté, je suis résiliente. Terriblement. Alors, le vendredi, je me lève pour aller au onzième. Je suis déterminée à continuer. Ce gouffre passera son chemin et ira creuser ailleurs. Je suis fragile, mais je suis déterminée. Je me bats depuis des mois, le coup de la veille a été très difficile, mais c'est reparti. D'ailleurs, je téléphone à ma B., ma soeur à Hong Kong, celle qui a vécu avec moi le plus longtemps. Elle m'écoute et elle n'a pas peur. Elle m'aime, mais elle n'a pas peur. Elle-même a vécu des choses difficiles ces derniers temps. Je la sens ancrée comme jamais auparavant. Elle me réconforte. Elle connaît le onzième, elle me connaît. Elle m'injecte une dose massive d'antidésespoir et je me dirige au onzième. Elle va me rappeler qu'elle me dit, là-bas, pour continuer à me parler, pour consolider mon processus de guérison.

Arrivée dans ma salle de travail, je suis seule. Tous les autres membres de mon équipe sont absents. Ils arriveront avec une demi-heure de retard, ce qui n'arrive pour ainsi jamais de façon aussi collective. Installée, Sl. rentre et vient me masser les épaules. Elle ne travaille pas dans la salle, elle passait et elle voulait venir me dire - sans savoir ce qui s'est passé la veille - tiens bon, tout ira bien, tiens bon. Ça y est, je sais que Dieu veille et vient de m'envoyer un ange. La journée continue avec l'appel d'une heure de B. qui m'écoute encore et me soigne l'âme. Je me dis qu'à présent, il me faut l'appeler quand le désespoir enflera pour m'en libérer. C'est là qu'elle me dit que je suis humaine. Humaine, ni un robot, ni un être éthéré qui ne vit que d'amour et d'eau fraîche. Humaine.

La journée s'enchaîne tout en douceur. Ma patronne me rencontre et me demande gentiment si je veux aller en arrêt de travail. Non. Continuer. Elle insiste sur le fait qu'il me faudra un jour regarder ce qui me tiraille en face. Comment lui dire que ça fait deux ans que la bête me ronge et gonfle et que maintenant, elle s'est révélée parce qu'elle ne pouvait plus se cacher et que je peux à présent la nommer, la détailler pour mieux la disséquer? Continuer. GM., la fesse gauche de B. et une amie de la famille, qui est maintenant devenue une patronne, me demande de prendre un quinze minutes de pause avec elle. Elle m'écoute lui expliquer la même chose que j'ai expliqué à M. hier soir, à B. ce matin, à Nc. il y a une heure à peine. Elle me suggère aussi un arrêt de travail. Merci, mais non. Continuer. Parce que mon boulot, je l'aime au fond et que les quarante heures qui s'enchaînent finissent par passer et que je suis bénie pour toute l'abondance qui m'est offerte. La preuve, tous ces anges qui ne veulent que mon bien. Ma soeur G. qui me regarde avec son regard pétillant quand elle arrive au onzième, mon collègue et ami Nk. qui a amené une carte mémoire pour mon appareil merdique. Dieu réussi même à faire tomber le système informatique pour une heure et demie, ce qui nous oblige à ne pas produire. À prendre ça cool. Donc continuer. Parce que ce n'est pas si mal que ça au fond. J'ai des ressources humaines qui valent cent fois l'amplitude de ce désespoir que je réduirai en pièces. Continuer parce qu'il y a Cht., St., Vr. Continuer parce qu'il y a tous les autres aussi et que vraiment, tout ira bien.

Tout ira pour le mieux.

1 Comments:

At 10:08 p.m., Anonymous Anonyme said...

Ma très chère L,

Oh que mon coeur était malheureux de t'apprendre si triste et en désespoir.

Tu as de belles ressources: résilience, plein amour qui t'entoure (et en toi, ce qui te rend si rayonnante), plusieurs collègues qui t'aiment bcp (dont moi), un conjoint qui t'aime très fort, plus un chat qui ressent tes émotions quand tu rentres chez toi ;)!!)

Mais le plus fort dans tout ça pour moi: ta soeur B qui n'a pas peur. Très révélateur. Très stabilisant. Parce que justement, ça vient d'une personne qui te connaît si bien.

Un "breakdown" ne devrait pas faire pas peur (mais on est si habitués à avoir le contrôle sur tout que finalement, ça fait peur quand ça nous arrive). Ça fait aussi peur à un conjoint car il tient si fort à toi. Mais laisse-toi aller, prends cette période comme une sorte de "renaissance" - une révélation qui se fera pour toi avec le temps. Tu apprends à te connaître -un processus qui n'arrête jamais (tant qu'on y demeure ouvert).

Et en ce qui concerne le blog: pour moi, la profondeur d'une personne se perçoit à travers sa douleur, dans ses coins sombres. Et si on était tout le temps heureux, qu'apprendrions-nous? (Rien.)

bizouzzzzzzz =) =) =) (oui oui j'aime cette manière d'écrire le mot... ça insinue un peu de paresse & relaxation infiltrée dans l'échange d'affection!)

 

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