orphelins de l'Éden

2.14.2008

la grande séduction

Ça commence quand un garçon se penche subitement, lorsque l'autobus arrive au quai de débarquement, et vomit plusieurs jets. Les voyageurs s'affolent un peu, la plupart déguerpit subito presto pour éviter cette scène. Seules une femme et moi demeuront près de lui, ce jeune homme dont nous ne voyons pas le visage parce qu'il est encore plié en deux. Je sors des kleenex que je lui tends. Le chauffeur me donne un paquet de serviettes carrées en papier. L'autre femme quitte. J'imagine qu'elle voit bien qu'il est entre de bonnes mains le pauvre. Je m'asseois en face de lui. Je lui pose des questions maladroites du genre "ça va mieux maintenant?", "ça t'as pris tout à coup?", "as-tu bu ou pris de la drogue?" Bon, cette dernière est vraiment nulle, je sais. Mais à le regarder, mon intuition ne peut s'empêcher de me dire qu'il a consommé quelque chose. Peut-être que je lis trop de bouquin aux personnages tordus. Bon dieu...

À force de le questionner, je comprends qu'il est anglophone et qu'il n'a pas pigé un seul mot de ce que je lui ai dit jusqu'à date. Son regard perdu caché derrière des verres fumés me fixe l'air de dire "eh bien, t'es encore là?" Oui, je suis là. Et non, ce n'est pas la secouriste en moi qui reste là près de toi, c'est la fille qui aimerait que quelqu'un soit là pour elle si jamais ça lui arrivait de vomir tout son petit-déjeuner sur le plancher d'un autobus public. Il me dit qu'il a chaud, qu'il pense que c'est pour ça que la nausée l'a terrassé. Nous sortons donc. Je l'installe sur un banc et je fouille mon porte-monnaie pour en déterrer toutes les pièces possible afin de lui acheter une bouteille d'eau. Il me manque 5¢ pour que la distributrice affichant un prix de fou me crache une bouteille. Le jeune homme déterre un dix sou de son porte-monnaie. Super. Il boit et je lui conseille de ne pas prendre une trop grande goulée pour ne pas dégobiller à nouveau. Je le questionne encore. Lorsqu'il parle, il ne fait que murmurer tellement son énergie est à plat. J'approche mon oreille près de sa bouche qui souffle les mots. Il allait à l'école là. Il est malade depuis quelques jours. Une mauvaise grippe. Non, il ne veut pas retourner à la maison. Oui, il pourrait appeler à l'école, où il apprend la mécanique automobile, pour leur signaler son état, il n'y avait pas pensé. Il a tenté rencontrer un médecin au CLSC, mais il n'y en avait pas de disponible lorsqu'il s'y est rendu. Mais il pourrait se rendre chez son médecin qui n'est pas trop loin, à côté du Harvey's. Super.

Il veut prendre l'autobus pour s'y rendre. Il me dit que c'est sur Taschereau, mais ni l'un ni l'autre nous ne connaissons les autobus qui desservent ce boulevard monstrueux. Devant la carte, où en nous y rendant il me demande mon nom, a very French name so just call me Lu, et je lui demande le sien, Ad., nous repérons trois numéros de ligne, mais nous n'en trouvons qu'un seul au quai. Finalement, je le convaincs d'y aller à pied parce que je vois l'enseigne du fast-food et bien sûr, je t'y accompagne. Le pauvre, il est chancelant. Il a froid. Je lui conseille de monter la fermeture éclair de son manteau et de me donner la bouteille d'eau pour que je la glisse dans son sac à dos pour qu'il puisse mettre ses mains dans ses poches. Il a perdu ses gants dans un autre autobus. Il me remercie, ça va mieux.

En marchant, j'apprends qu'il habite chez ses parents et que son père est à la maison parce qu'il est en vacances. Il apprend de moi que je suis malade. Eh oui, moi aussi. Je suis en congé de maladaie aujourd'hui, jour de la St-Valentin. J'ai chopé une espèce de virus ou de bactérie qui a déstabilisé ma flore intestinale. En d'autres mots, j'ai une forme de gastro. Sauf que je ne vomis pas moi. Alors, vous comprendrez qu'aller au travail avec cette courante qui me prend violemment, ce ne serait pas jojo. Donc hier et aujourd'hui, je suis restée à la maison et je jeûne. Je bois de l'eau salée sucrée et si j'ai pris l'autobus, c'est pour me rendre chez Tau où il vende du Bio-K, un probiotique qui va me reconstituer une flore florissante, épanouie, équilibrée. Le plus triste, c'est que le cadeau de St-Valentin que mon amoureux m'offrait, c'était un souper concocté par lui de A à Z. Comme ma mère me l'a dit, ce n'est que partie remise.

Je quitte Ad. arrivé à bon port, au bureau de son médecin. Je lui ai recommandé de demander un billet pour l'école et d'appeler son père. Hmm-hmm. Soigne-toi cher ami. It was very kind of you. Il est poli comme un ange.

Je rebrousse chemin et, après une commission-St-Valentin-cerise-sur-le-sundae pour mon amoureux, j'aboutis chez Tau. Mon énergie va pas mal, mais je sais que le jeûne élime mon acuité. Depuis ce matin, je constate que mes gestes ne sont pas toujours aussi précis que je les veux et que mon esprit entremêle des informations. Par exemple, je fais le tour du supermarché bio, je passe à la caisse, je sors, seulement pour réaliser que la raison qui m'a amenée là, le médicament, m'a complètement échappée. Alors, je rentre à nouveau pour mettre la main sur les gobelets de soya fermenté au goût de mangue. C'est pour ça aussi que je ne suis pas au travail, là où mon cerveau doit rouler à cent milles à l'heure.

Rendue à l'arrêt d'autobus, je rentre dans l'abri pour déposer mon sac de victuailles plutôt lourd. À l'intérieur, l'homme me demande si je veux m'asseoir, si oui, il prendra son fil électrique de métal sectionné dans ses mains. Non, merci, je veux surtout asseoir mon sac. Et comme ça, il commence à me raconter que la dernière fois qu'il avait mis la main sur un fil du genre, la police l'avait interpelé parce qu'il l'avait récupéré dans un container. Monsieur vend le métal à la livre voyez-vous. Il m'explique que le cuivre des quatre fils contenus dans ce tronçon sur le banc vaut 2$ la livre tandis que l'aluminium qui le recouvre en vaut 50¢ pour le même poids. Je ne peux m'empêcher de voir Pierre Verville alias Jean-Guy Lavigueur tirer sur le plastique recouvrant les fils et les enroulant. De l'aluminium, l'homme, aux poils sous la lippe roussis par le tabac, en récupère à l'année longue, avec les canettes écrasées surtout, mais aussi avec des astuces développées avec l'expérience. Il me dit qu'entre autres, il se rend au container de l'Armée du Salut où il trouve parfois des poêlons, tous à base d'aluminium, qui ne se vendaient pas pour x ou x raison. Je le félicite de sa débrouillardise et puis, mon autobus arrive et je le salue parce que ce n'est pas le sien.

Dans l'autobus qui me ramène à la maison, un homme Noir âgé tape dans ses mains à un moment, comme ça, pour aucune raison apparente. J'imagine que sa prière vient de se terminer et que ce geste spontané la conclut gaiement. Il a un air contenté, serein, mais d'une paix joyeuse. Et puis, à un arrêt, une femme Noire descend et salue un homme Noir qui rentre et qui provoque un pouce dans les airs de la part de l'homme en face de moi. Ils se saluent en anglais. Par leur accent, je me dis qu'ils sont Jamaïcains. L'homme serein se déplace en face de son ami et ils jasent un brin, le temps de se rendre à leurs arrêts. L'homme qui était devant moi descend le premier. L'autre, descend à l'arrêt suivant, mais avant, il salue une femme qui est assise tout près. Oh la la, c'est une véritable communauté qui se déploie sous mes yeux. Des gestes de sympathie, des gestes sincères et unifiants.

En cette St-Valentin, j'ai l'impression que l'univers veut me dire à quel point mon paradis, il vaut bien toutes les Montréal du monde et que l'amour que je porte pour les humains, il est toujours bien vibrant. Je vous aime humains qui que vous soyez, où que vous soyez, je vous aime.

1 Comments:

At 11:01 p.m., Anonymous Anonyme said...

Nous aussi on t'aime, Lu ! =)

Surtout, fais attention à toi - te couper encore, ta gastro... (vive les probiotiques!)

ziwi

 

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