loup-garou
Ce soir, coupez-vous les cheveux, il paraît qu'ils pousseront plus vite. C'est la pleine Lune. Les femmes enceintes accouchent par dizaine dans la ville à l'heure où j'écris ces lignes. Les hormones brassées par un intra-raz-de-marée sans doute provoque un tel phénomène. L'homme est composé principalement d'eau, à l'image de la planète. Et la Lune nous joue des tours comme aux touristes du Rocher Percé qui n'ont pas lu l'horaire du bal des vagues affiché dans une cabane avant de s'aventurer sur les galets. Aujourd'hui, c'est le terreau idéal pour l'éclosion des folies, des envies. Certaines pleines lunes sont sexy et d'autres, tendues. Celle-ci, c'est la Harvest Moon. Une collègue me l'apprend lorsque nous nous extasions ce soir, du onzième étage, de la beauté de la Lune immense qui effleure presque l'horizon de sa teinte rosée. Celle-ci éclaire les fermiers qui récoltent au-delà du jour, c'est pour cela qu'elle porte ce nom. Il y a un nom pour chacune des pleines lunes de l'année. Je l'apprends par transmission de connaissances. Cette pleine Lune est éducative.
Sur mon chemin de retour vers la maison, où m'attend M. blotti dans les draps réchauffés de sa torpeur, un homme m'interpèle. Il tient ses bras en croix, étendus de chaque côté de son corps court et musclé. Son crâne est rasé, ses yeux sont pâles, sa peau est hâlée. Il a une coulée de morve, presque de l'eau, qui relie sa narine gauche à sa lèvre. Cet indice et son regard fou m'indiquent qu'il est dans un état "autre". Il parle rapidement. Il aligne les mots à la vitesse du son. Il murmure presque. Ses propos paranoïaques et déjantés tournent autour d'hommes dans un bar, de dans de karaté, d'instructeur s'exprimant en vietnamien, de femme capable de neutraliser n'importe qui par un seul coup, de policiers infiltrateurs. Il me voit, mais il n'adresse pas à moi. Il s'adresse à l'impossibilité de cesser ce flot de sonorités qui le terrasse. Il est sous l'emprise de la verbigération, typique chez une personne en proie à une manie, dans le sens psychiatrique du terme.
Je veux rentrer. Mais je veux aussi m'assurer qu'il tiendra le coup. Je ne peux rien faire pour lui. Une ambulance passera peut-être par là si quelqu'un d'inquiet signale la présence de l'homme. Je reprends ma marche, il me suit et continue son discours incohérent et affolé sur quelques mètres. Pour lui, je suis un poteau mouvant, une possiblité de canaliser son attention. Je lui demande: "Comment te sens-tu?" Il répond "bien", mot coincé dans une tempête de phrases qu'il ne peut pas stopper. Je dis: "Arrête de me suivre". Il continue de parler, mais arrête et retourne d'où il allait plus tôt.
Je demande à Dieu de l'aider et de le protéger, de le tranquilliser et de le mener à l'apaisement, pour sa santé. Je lève les yeux, la Lune est haute dans un ciel de charbon. Qu'il entende ma prière.
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