orphelins de l'Éden

8.22.2006

petit papillon

Une bière noire refroidit au frigo. Le souper est terminé. Un potage sur le balcon, vêtus de manches longues, ça sent un peu l'automne quand même.

Sur mon heure de dîner, je suis allée lire au parc, un carré d'herbe de rien du tout, égaré au coeur des baraques baraquées de Westmount. Un écureuil se débattait au-dessus de ma tête à s'accrocher à une branche. Je me suis imaginé l'animal tombant à mes côtés, sur le banc, sonné.
N'ayant pas de bracelet-montre depuis plus de dix ans maintenant, j'estime le temps. Depuis toutes ces années, je peux compter mes retards sur mes bouts de doigts. Et encore, certains d'entre eux sont survenus lorsque le métro avait décidé qu'il en avait assez de bourlinguer sa carcasse sur les rails qu'il connaît par coeur. Les pannes sont rares, mais elles sont aussi inévitables, à moins de se lancer dans un autobus surchargé ou dans un taxi surchauffé. Je préfère rester assise dans la pénombre et me rassurer en me disant qu'une fois n'est pas coutume.

Rentrée au boulot avec un peu d'avance, je décide de réessayer de parler avec ma grand-mère qui, lorsque je réussi à l'avoir à l'autre bout du fil, m'annonce qu'elle est une véritable trotteuse et que j'ai visé juste en l'appelant aux alentours de midi, heure de repas.

Grand-maman n'aime pas manger à l'extérieur de chez elle. En cuisinant, nous choisissons la qualité de nos aliments et nous mangeons selon nos goûts. Nous en discutons souvent. M. n'aime pas sortir au restaurant et depuis que je cuisine, j'ai tendance à y analyser mon assiette: trop cher, facile à reproduire, aliments quelconques. Grand-maman et moi sommes d'accord: si nous payons pour un resto, il faut que ça soit pour une sortie gastronomique, quelque chose qui nous soufflerait littéralement. Mais nous préférons acheter des boîtes de tomates que nous cannerons pour nous concocter des sauces bourrées d'été en plein mois de janvier.

Elle me parle de ces activités et me demande comment ça va en vélo. Je lui réponds que cette semaine, en allant faire mon marché, j'ai bien failli ne pas pouvoir revenir à bicyclette tellement j'étais chargée. Un ou deux articles de plus m'auraient forcée à manger quelque chose sur place. J'ai installé une boîte de carton à l'arrière et j'ai mon sac à dos. Mais mon cantaloup et ma boîte de biscuits au gingembre n'étaient pas prévus et ils ont bien failli me condamner à rentrer en métro.

Je dis à grand-maman que hier à la télévision, un homme avait le même nom que grand-papa. Nous parlons un peu des noms communs et des modes et je lui dis que son prénom est rare. Elle me dit que jusqu'à tout récemment, elle était la seule L.ai. dans l'immeuble. Elle me nomme Charlotte en me disant qu'il n'y en a qu'une dans tout le complexe et qu'elle danse très bien, "comme un petit papillon" qu'elle dit.

Elle me parle de l'épluchette de blé d'Inde qu'il y aura bientôt, des pêches sucrées et juteuses qu'elle a cannées, de son teint de femme qui profite du soleil, nous parlons de M. qu'elle salue toujours, du fait qu'il faut savoir cultiver son jardin secret et développer nos intérêts. Mon heure de dîner s'achève et je lui dis que je l'aime. Elle m'aime aussi.
Et dire qu'il y a quelques années, je ne savais jamais de quoi lui parler.