orphelins de l'Éden

8.08.2006

si je lis

Mon amie S. me lance: " Je croyais que tu m'avais déjà dit que tu ne lisais pas beaucoup". Il y a quelques années que nous nous côtoyons. Lorsque nous nous rencontrons, nous nous baladons, nous prenons un verre et elle s'allume une cigarette parce qu'un verre ça appelle la fumée, et nous discutons de là où nous en sommes. Elle sait que j'écris. Elle écrit aussi. Je me souviens de la première fois que je l'ai rencontrée. À ce moment, c'est avec A., sa soeur, que je partageais mon amitié. Elles habitaient chez un jeune homme aux lunettes qui parlait des soirées tapis rouge du Festival des Films du Monde. Je crois qu'il y avait déniché un boulot comme on ramasse une pomme lorsque l'on a faim et que l'on est dans un verger, tout simplement.

S. était attablée devant son cahier. Ou peut-être que son cahier était déposé devant elle, négligemment, parmi d'autres objets: cendriers, bouteilles vides, verre d'eau, clés, petits bouts de papiers pour noter une adresse. Il n'y avait pas beaucoup de lumière. Dehors, le soleil éblouissait, dedans l'ombre régnait dans les pièces exigues. A. nous a présenté l'une à l'autre. Bien sûr, l'une et l'autre connaissait l'existence de l'autre et l'une. Et je ne sais pas par quelle intervention de A., mais tout d'un coup, j'avais l'autorisation de lire S.
Je ne me souviens pas de ce qu'il y avait d'inscrit sur les pages. Je me souviens plutôt du ton personnel, de l'âme des écrits, du regard posé sur le monde et traduit intimement, comme un secret. J'ai aimé. Et S. était belle comme elle l'est toujours d'ailleurs. J'étais séduite. Aujourd'hui nous sommes amies.

Dans la Bibliothèque Nationale, la Nation, je circulais à la recherche de bouquins à croquer. Déjà, j'avais refilé à S. une biographie décapante sur Carlos Castenada parce qu'elle m'avait mentionné avoir lu de ses écrits la dernière fois que nous nous étions rencontrées. Dans la biographie, on y apprend qu'il était un brillant imposteur. Bien sûr, rien n'empêche que ses récits initiatiques ont encore à ce jour un pouvoir mystique. Celui qui parcourt l'univers de Don Juan est séduit par les expériences extrasensorielles relatées. Envieux? Peut-être, dépendamment du lecteur sans doute.

Et donc S. de me lancer: "Je croyais que tu m'avais déjà dit que tu ne lisais pas beaucoup". Et moi de lui répondre, "Je lis". Eh oui, je lis beaucoup. Très régulièrement du moins. Dans ma routine quotidienne, dans mon métro, boulot, dodo, il y a justement le métro. Une fois installée sur mon siège, j'ouvre le paquet de feuilles qui m'immerge dans une histoire d'un autre temps, d'un autre lieu, d'un sujet nouveau, d'un style qui me fait rigoler des fois. Une fois pénétrée dans l'antre magique du bouquin, je ne lève pas le regard jusqu'à ma levée du corps qui m'emmenera à la prochaine étape de mon voyage physique.

Est-ce que je lis? Oui, je lis. Des romans québécois pour encourager les auteurs de chez nous. Un peu comme acheter local. Bien que je n'achète pas trop de livres ces temps-ci. Quoi qu'il en soit, lire un auteur d'ici, c'est réaliser que nous avons des écrivains, une culture, des styles, des tons, un langage à nous parce qu'il décrit notre contrée. Je lis aussi des livres de nutrition, de végétarisme plus précisément, et aussi des livres portant sur l'environnement. Je lis des romans érotiques quelques fois et des biographies d'autres fois. Je lis. Des classiques et des auteurs contemporains qui m'apportent leur pays par une histoire peinte sur toile politico-historique. Je lis en anglais parfois pour malaxer mes cellules grises et leur donner un peu plus de fil à retordre. Mais je ne sais pas coudre ni tricoter. Peut-être devrais-je bientôt lire un livre sur le macramé?