tous les chemins mènent à tout
Debout à 6 h 45 ce matin, c'est ma grasse matinée de la semaine. Un jour lent s'annonce, un jour gorgé de lumière grandiose. Je lis un article dans l'Itinéraire, je fais la vaisselle en buvant un bol de lait au chocolat chaud, tranquillement. Ce matin, j'enfile mon manteau gonflé de duvet pour aller chercher des croissants sur la rue Beaubien. C'est décidé, je marcherai pour me rendre là où les viennoiseries valent le détour. Je glisse mon appareil photo dans mon sac et j'ajuste mes écouteurs sur mes oreilles, par-dessus ma tuque. Prête pour l'expédition.
À peine lancée, les rayons qui s'étirent sans obstacle dans la ruelle m'interpellent. Viens, qu'ils me disent, viens te baigner dans un air froid vêtu d'un soleil de plomb. Viens admirer le scintillement de la neige fraîchement tombée cette nuit, à l'insu des dormeurs. Un miroitement délicat presque intact si ce n'est de traces de pattes de chats, d'oiseaux et d'humains lève-tôt dont je fais partie.
Et d'une ruelle à l'autre je progresse vers un parc où je jette par poignées du pain pour les pigeons et les écureuils. Poussière redeviendra poussière, mais tant qu'à faire, pourquoi ne pas nourrir ces bêtes de cette mie durçie?
Avec mon appareil, je tente de saisir la majestuosité de la luminosité qui enflamme l'espace. Je sillonne le quartier vers le sud en grimpant la pente douce du quartier Villeray. Je croise les rues transversales pour m'engouffrer de nouveau dans une ruelle qui m'offre une voie paisible et remplie de magie. Les portes de garage grugé de vert-de-gris, les arbres aux branches nues, les potagers enfouis, les balcons abandonnés, les graffitis maladroits.
Le clocher de l'église Saint-Ambroise s'élève au bout de la ruelle. Mon but est tout près. Je prends deux croissants nature et deux chocolatines, s'il vous plaît. Quand je sors, le sonneur de cloches appelle les fidèles. Je vois deux femmes âgées qui s'avancent vers le parvis pendant que je prends une photographie de l'icône qui brille de tous ses feux au fronton de la maison de Dieu. Je range l'appareil et je repars vers le métro. Je croise un homme de haute stature, aux yeux bleus ciel, aux cheveux blancs, d'énergie fière, détachée. C'est le prêtre qui se dirige vers sa cérémonie que je reconnais par son col romain. En murmurant, je lui souhaite une bonne messe mon père.
Revenue sur la rue Jarry, j'arrête à la fruiterie pour des fèves vertes, du jus d'orange, du lait de soya et des yaourts. À la caisse, il est revenu, celui au sourire dans les yeux. Il m'apprend qu'il est aux études, en graphisme, au cégep Ahuntsic. Je lui souhaite un bon retour.
À l'extérieur à mi-chemin de la maison et de mon dernier arrêt, un homme m'aborde. Il est grand, les cheveux poivre et sel mi-longs, la barbe naissante. Il porte des lunettes fumées et un manteau de jean aux attaches dorées. Il me demande si je peux l'aider à trouver un appartement, un 1 et 1/2 qu'il me précise. Je suis désolée, non, je ne sais pas. Je lui recommande de marcher dans le quartier, il y a bien des immeubles qui affichent la disponibilité de leurs logis. Il ne lui reste que trois jours avant de recevoir son chèque. Il parle franchement, comme un enfant. D'aucuns diraient qu'il a un retard mental. Je le trouve sans défense et sans malice. Il a mal aux pieds à force de marcher qu'il me dit. Aurais-je un peu d'argent pour lui payer son passage dans le métro? Je lui offre 4 $ parce qu'il m'apprend que le tarif individuel a augmenté à 2,75 $. Il me tend la main pour me remercier. Je lui donne la mienne. Il me fait un baisemain. Heureux, il me dit que je goûte le poulet. Je ris et je lui dis que je suis végétarienne. Mais au fond, n'est-ce pas moi-même qui hier encore utilisait le mot poulet pour désigner le petit L., attendrissant neveu de Sr.?
2 Comments:
Très beau texte.
Tu portes de belles lunettes à travers lesquelles tu vois le monde, au moins ce matin. Merci pour cet enrichissement, ce rafraîchissement.
ziwi
L. ! fais attention aux hommes inconnus qui t'abordent dans la rue , tu veut aider tous le monde trs bien mais soit prudente. Son pas tous gentils.
Le Beau frere
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