orphelins de l'Éden

7.04.2008

religare

Mon amoureux est sous le jet et j'ai tellement bien dormi, les fesses collées contre lui. Je suis de retour au paradis pour quelques jours, histoire de passer un peu de temps dans mon environnement avec lui et le gros chat Nougat. Avec moi aussi.

C'est maman qui a gardé les enfants hier. Ma soeur B. est sortie avec deux amies qu'elle n'avait pas vues depuis deux ans. Un gros sac à dos greffé à mes épaules, je suis rentrée sur la rive-sud après plusieurs jours passés dans le nord. B. et moi, nous nous sommes séparées au coin de rues du onzième à Montréal, cette ville-nombril de la région. Elle allait retrouver GM, sa meilleure amie, après des tonnes de conversations téléphoniques échangées. Elles se sont sans doute prises dans leurs bras, l'une et l'autre. Peut-être ont-elles versé une larme de joie. Leur lien est beau.

Dans l'autobus, à mon retour, je me suis plongée dans la lecture d'un bouquin que maman m'a passé. Cette brique rédigée en anglais est la suite des Piliers de la Terre de Ken Follett que j'ai dévoré il y a environ dix ans de cela. Dès les premières pages, je me retrouve plongée à une autre époque, là où l'humain vivait dans la rusticité et s'en tenait au code moral dicté par un mélange de religion et de superstition.

Avant de partir de la campagne de maman, B. et moi, nous avons gravé un autre épisode drolatique à notre histoire à deux. Comme je vous l'ai déjà dit, B. et moi, nous sommes ensemble depuis toujours. Bien sûr, nous sommes soeurs, c'est normal penserez-vous. Oui, c'est juste. Seulement B. et moi, nous nous sommes retrouvées dans la même chambre enfant et nous avons encore partagé la même à l'adolescence malgré les réaménagements de la famille. À cette époque de notre vie, maman s'était remariée et avec son deuxième mari, nous sont venus deux demi-frères. Quand des années plus tard le mariage a éclaté et que notre noyau s'est retrouvé en mille miettes, eh bien B. et moi, à peine rendues à l'âge de la majorité, nous nous sommes retrouvées à partager notre premier appartement et ainsi de suite jusqu'à ce que nous nous séparions pour nous établir avec nos amoureux respectifs quelques années plus tard.

B. adore marcher. Elle dit que c'est moi qui lui a donné le goût à force de sillonner les rues de la métropole à l'époque où nous partagions notre troisième appartement ensemble, celui de la rue Fabre. B. marche beaucoup. À Hong Kong, où elle habite maintenant et pour un autre deux ans, elle grimpe la montagne à l'arrière de la tour dans laquelle ils sont installés. Elle m'a parlé des sentiers bien aménagés et de la forêt aux airs de végétation des Tropiques hébergeant des oiseaux exotiques semblables à des perroquets blancs. À tous les matins, elle gravit le dos de cette vague terrestre et elle rencontre ses réguliers. Elle m'a dit qu'il y a un couple âgé avec qui elle a jasé un peu qui fait ce trajet ensemble depuis 36 ans, à tous les jours. Il paraît qu'il y a aussi une vieille femme qui la salue toujours et lui parle en cantonnais, ce que B. ne comprend pas ni ne parle.

Tout ça pour dire que de mon côté, depuis que je suis installée au paradis, les kilomètres invisibles à passer du point A au point B dans la ville sont derrière moi. Bien sûr, je marche encore sur l'heure du dîner au onzième, mais ce n'est pas suffisant pour garder la forme. Alors quand B. part pour faire sa marche et que je l'accompagne, je lui dis qu'elle est mon entraîneuse personnelle. De fait, ses circuits sont des défis en soi. Les premières fois, elle m'a fait faire le tour du Lac des Chats qui cumule environ sept kilomètres et qui s'accomplit en une heure trente. Mais cette semaine, elle a monté la barre d'une coche lorsque nous sommes parties et qu'elle m'a dit que nous allions faire la côte. La côte? Laquelle? Dans ce coin de campagne, le route est sinueuse et le ruban d'asphalte ressemble au tracé des rails d'une montagne russe. Mais quand nous sommes arrivées au bas de LA côte et qu'elle m'a annoncé que maintenant nous devions la remonter, j'ai bien failli mourir là. Même une voiture a de la difficulté à parvenir au sommet sans manquer de jus à un certain point. Cette côte est hard core, infernale. Elle n'en finit plus de monter. En hiver, elle est périlleuse à emprunter. Eh bien, nous l'avons montée, un pas à la fois, une respiration brûlante à la fois, un muscle contracté à la fois. Ce jour-là, nous avons abattu douze kilomètres, incluant cette ascension titanesque. Nous n'avions pas amené d'eau et pendant la marche nous avons blagué en chantonnant Le goût de l'eau. Mais à deux moments il m'a fallu m'arrêter pour boire à des sources jaillissant de la forêt. La première fois, l'eau avait un arrière-goût métallique qui m'a rebutée et je ne me suis qu'aspergé le cou et le visage avec, mais la seconde fois, vers la fin du périple, j'ai bu une eau au goût franc, clair, véritable liquide désaltérant et léger. B. n'a pas eu besoin d'une seule goutte. Elle est mon yogi.

Cependant, l'épisode en question qui demeurera gravée dans notre histoire à deux, c'est hier matin qu'il a eu lieu. Quand nous avons quitté la maison, il pleuvait un peu. Nous avons donc enfilé nos coquilles imperméabilisées et glisser nos capuchons sur notre tête. B. a blagué sur le fait que j'étais un cardinal, vu mon manteau rouge, et elle un geai bleu, vu son manteau bleu. Ainsi, tout en parlant tranquillement, nous nous sommes redirigées vers la côte infernale. En cours de route, la pluie ne cessait de tomber et mon manteau commençait à laisser passer l'eau, surtout sur les bras. Au début, j'ai trouvé ça rafraîchissant et ainsi, nous avons dévalé l'inclinaison de la mort. Rendues au bas de la pente interminable, les cieux se sont déchirés et le débit des gouttes s'est précipité. Nous devions remontées et poursuivre malgré l'eau s'infiltrant partout dans nos vêtements. B. a commencé par sentir ses chaussures céder et l'eau se glisser entre ses orteils. Après, une coulisse entre ses seins a confirmé que nos manteaux étaient plus que détrempés. Mes pantalons d'entraînement, alourdis par l'eau, se sont plaqués à mes cuisses et à environ un kilomètre de la maison, j'ai senti l'eau arrivée à mon entre-jambe. Quand nous sommes enfin arrivées chez maman, nous avons tordu tous nos vêtements et nous avons pris une douche chaude. Des heures plus tard, lorsque nous arrivions en ville, B. disait qu'elle avait encore froid.

Des épisodes comme celui-là, nous en avons quelques-uns en banque elle et moi. Quand nous nous retrouvons, nous en parlons parfois, comme pour nous rappeler par où nous sommes passées. C'est un peu ça la tradition orale. Chaque lien significatif entretient un récit. Ces mots échangés, ces histoires parfois embellies ou exagérées, ils existent pour consolider les bases de la relation. Bâtir l'attachement, ça prend des années. Ça prend aussi toute une gamme d'émotions et de qualités. S'ouvrir et se lier, c'est grandir et grandir, ça demande d'aller vers l'Amour.

Je t'aime ma B.

1 Comments:

At 7:58 p.m., Anonymous Anonyme said...

Quelle joie de pouvoir (re)lire ton bonheur qui rayonne à travers tes paroles et l'amour qui y est palpable.

J'ai eu très chaud aussi durant une bonne partie de mes vacances et l'eau était sacrée.

Elle l'est toujours, d'ailleurs.

 

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